Libye : « Il n’y a pas d’avenir dans ce pays… »

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Envoyé spécial à Saloum… Chameliers, soudeurs, ouvriers agricoles : ils étaient des centaines de milliers de migrants subsahariens ou originaires de la corne de l’Afrique à travailler en Libye avant le début du conflit. Fuyant les combats, mais aussi et surtout les exactions dont ils ont été victimes dès le début des hostilités, ils sont toujours nombreux à se retrouver bloqués au poste frontière de Saloum, côté égyptien, où ils attendent dans des conditions extrêmement précaires.

Non loin des locaux administratifs du poste frontière, des enfants sautent au dessus d’une corde que font tournoyer des jeunes scouts égyptiens. Plus loin, dans la grande halle des femmes, où sont étendues des couvertures faisant office de lits, la vie s’organise en attendant le jour du prochain départ. Nous sommes au poste-frontière de Saloum, dans la partie égyptienne du No man’s Land qui sépare l’Egypte de la Libye.

Quelques grands baraquements servent de refuges provisoires pour les milliers de travailleurs migrants qui ont fui les combats, mais aussi la terreur que faisaient régner ceux qui s’en sont pris à eux dès le début de la crise. « Un Libyen est venu me voir, explique Abakar, il m’a proposé une somme ridicule pour racheter mon magasin ». Abakar est Soudanais d’origine darfourienne. Avant le début du conflit, il vivait à Benghazi, où il possédait une petite échoppe. «J’ai refusé, alors il est devenu menaçant et m’a dit de foutre le camp».

Et comme beaucoup, Abakar est parti, fuyant la répression qui s’est abattue sur les populations africaines dès les premiers jours de combats. Tous les réfugiés, ici, affirment que les Africains « noirs de peau » étaient accusés d’être des mercenaires à la solde de Kadhafi, ou qu’ils les soutenaient. Un amalgame prétexte à de multiples agressions ou vexations. Insultes, vols, pillages par des groupes armés. Nombreux sont ceux qui évoquent  également des violences physiques, voire des assassinats. Sur la route de la frontière, la plupart ont par ailleurs payé cher leur droit de passage aux différents check points (argent, portables, …). Ahmed, un médecin darfouri, lui-même réfugié, qui a soigné quelques uns de ces réfugiés blessés à la suite de ces attaques, évoque également des cas de viols.

Une situation ubuesque

La plupart de ceux qui ont fui ces agressions se sont retrouvés bloqués ici, à Saloum. Très vite les organisations internationales comme le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) ou l’Organisation Internationale des migrations (OIM) sont arrivés sur place, et l’on se serait attendu à voir – après trois mois de présence sur place – les traditionnelles infrastructures existantes dans n’importe quel camp de réfugiés. Mais « à Saloum, les autorités égyptiennes ont interdit toute installation qui pourrait ressembler à des camps, explique Geneviève Jacques, qui a coordonné une mission d’enquête de la FIDH sur place il y a quelques semaines.

Conséquence de ces pressions égyptiennes, une situation ubuesque de « précarité durable » s’est peu à peu installée : à quelques dizaines de mètres des habitations de fortune fabriquées à partir de bâches du HCR arrimées tant bien que mal, des ossatures en métal de grandes tentes ont certes été posées mais aucune toile ne les recouvre.

Devant ces conditions précaires, l’OIM a multiplié les opérations de rapatriements de masse vers le Tchad, le Niger, ou encore le Mali. Une vingtaine de bus stationne en permanence sur les immenses parkings du poste frontière, attendant le feu vert du départ vers les aéroports de Marsa Matrou, Alexandrie, ou Le Caire, où des vols charters sont organisés. Près de 35000 travailleurs migrants ont ainsi été renvoyés en urgence dans leur pays d’origine, et certains, comme Daniel expriment volontiers leur soulagement. Ce Libérien de 44 ans travaillait depuis quelques années seulement en Libye, et il n’en garde pas que des bons souvenirs. Jets de cailloux, peines de prison, mauvais traitements par les forces de l’ordre : il témoigne de ce climat de racisme au quotidien qui existait avant le conflit, et qui a certainement constitué le terreau de ces persécutions dont ces populations font aujourd’hui l’objet.

Daniel devrait repartir prochainement pour Monrovia, et quoi qu’il arrive, il ne reviendra pas en Libye « Il n’y  a pas d’avenir dans ce pays, je repars chez moi. Je devrais tout reprendre à zéro, mais maintenant, il y a la paix au Liberia, c’est mieux. »

Le statut de réfugié…

A l’écart, sous une grande halle traversée par les vents, des campements de fortune ont également été dressés, et visiblement occupés depuis un plus longtemps. Si l’immense majorité des migrants trouve assez rapidement une solution de départ, quelques centaines d’entre eux ne peuvent retourner dans leur pays, où leur sécurité ne serait pas garantie Darfouris, Somaliens, Erythréens, … : ils attendent en effet toujours de recevoir une réponse du HCR quand à leur demande de statut de réfugié, ou – lorsqu’ils l’ont obtenu -, qu’un pays tiers accepte de bien vouloir les accueillir. « L’Egypte a accepté de les héberger, mais a fait savoir qu’elle n’était pas en position de leur donner l’asile de façon permanente, explique de façon très diplomatique Jean-Paul Cavalieri, le coordinateur du HCR à Saloum ».

De fait, ces pressions très fortes ont là encore encouragé le HCR à activer les démarches d’attribution du statut de réfugié. Et même si chaque cas est individuellement traité – avec la possibilité de recours – souvent, l’origine ethnique ou la nationalité joue à plein dans l’attribution du statut. Ainsi les nombreux Darfouris qui peuplent le camp ont presque tous reçu le statut de réfugié, même si ils n’avaient pour la plupart aucun document d’identité à fournir.  « Nous avons un taux de réponse positive de 78% des cas », affirme Jean-Paul Cavalieri.

Cependant, obtenir le statut n’est qu’une étape, et depuis parfois plusieurs mois, ils sont des centaines à attendre dans ces conditions précaires, qu’une ambassade d’un pays tiers veuille bien passer des entretiens pour les accueillir. Et de ce côté là, si les Etats-Unis et l’Australie sont présents sur le camp, force est de constater que les Etats membres de l’Union européenne ne jouent pas vraiment le jeu.

Seule l’ambassade de Suède accorde en effet des entrevues à ces réfugiés. Jonatan fait partie des heureux élus et devrait partir pour Stockholm avec sa famille dans les semaines qui viennent. Ingénieur électricien, Jonatan avait une bonne situation à Benghazi. Recommencer sa vie en Suède ne semble pas lui faire peur mais il faut bien avouer que son cas n’est pour le moment pas généralisé. Et même si Jean-Paul Cavalieri demeure optimiste à moyen terme, l’attente risque d’être encore bien longue et inconfortable, pour la plupart des derniers réfugiés de Saloum…

 

portrait de AhmedAhmed : « J’ai peur de revenir en Somalie »

Je m’appelle Ahmed, j’ai 18 ans. En Somalie, il y a deux ans mon père s’est fait tué, et mon oncle l’a vengé en tuant son meurtrier. J’ai appris que j’étais menacé par quelqu’un qui voulait lui aussi se venger, donc je suis parti. Je suis arrivé en Libye en 2009 et j’ai trouvé un travail comme agent d’entretien. J’avais un bon salaire, mais j’avais peur des soldats, parce que j’étais illégal. Je n’avais pas de papiers. La police m’a arrêté une fois, et je suis resté six mois en prison. Les conditions n’étaient pas bonnes. Là bas, si tu as de l’argent, tu peux sortir plus tôt, mais moi, je n’avais rien. Quand le conflit a débuté, des Libyens m’ont pris mon argent, 800 dinars Libyens. Ils m’ont traité de mercenaire. Je me suis enfui et j’ai rejoint Salloum il y a un mois. J’ai passé des entretiens avec le HCR, mais ils m’ont refusé le statut. J’ai peur de revenir en Somalie. Je pense que je retournerai en Libye, si la guerre se termine.

 

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot est journaliste indépendant.

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