Les réflexions d’Action contre la Faim sur le Sommet Humanitaire Mondial

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Comme attendu, le premier Sommet Humanitaire Mondial (SHM) s’est déroulé de manière chaotique. Nous étions partagés entre optimisme et ambition pour l’avenir de l’action humanitaire, mais aussi réservés sur la tangibilité des solutions que nous pourrions vraiment espérer de ce Sommet. Parmi les 9 000 participants à Istanbul, il y avait 55 chefs d’État, dont aucun des États membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU et Angela Merkel pour seul leader présent du G7.

Bien qu’attendu, le manque de représentation de haut niveau de la part des leaders mondiaux a clairement handicapé les tables rondes, tout particulièrement celle sur le « leadership politique pour prévenir et mettre un terme aux conflits » et celle sur « le respect des normes qui protègent l’humanité » sur le droit international humanitaire (DIH), où la participation des États leaders était bien entendu cruciale pour leur succès.

La participation d’ACF au Sommet

ACF a envoyé au Sommet une délégation de son réseau international avec un message simple : demander aux chefs politiques et à la communauté internationale humanitaire élargie de réaffirmer collectivement le droit des populations à avoir accès à leurs besoins fondamentaux, et de s’engager de manière plus efficace pour une action humanitaire respectueuse des principes humanitaires dans les situations de conflits armés et de crise. Dans le cadre de sa campagne « Protégeons les humanitaires » (1), ACF a porté lors du Sommet sa demande pour un Rapporteur Spécial pour la protection des travailleurs humanitaires, qui pourrait défendre plus efficacement un accès humanitaire sécurisé et permanent, et l’amélioration de la véritable neutralité de l’aide d’urgence impartiale.

Le sujet de l’érosion du respect du DIH, et en particulier de la violence croissante envers les travailleurs humanitaires dans des environnements dangereux, était central dans le rapport du Secrétaire général pour le Sommet intitulé « Une humanité : une responsabilité partagée ». Ce rapport devait donner le ton et poser le cadre de l’agenda du Sommet. Compte tenu du champ assez large des résolutions des Nations Unies relatives à la violence contre les humanitaires, et notamment suite à la récente résolution 2286 (2016), co-soutenue par plus de 80 États membres, ACF avait pu légitimement espérer que le programme du Sommet soit une opportunité intéressante pour se concentrer sur ces enjeux et pour engager des propositions concrètes qui auraient eu une vraie chance d’améliorer le respect de l’action humanitaire.

Pourtant, quelques semaines avant le Sommet, il est devenu clair que le problème indiscutable des attaques contre les missions humanitaires n’aurait pas l’attention dont il a brièvement bénéficié dans « l’Agenda pour l’Humanité » (2). En effet, la protection des travailleurs humanitaires était visiblement absente du programme du Sommet. En réponse, ACF a rédigé un appel à mobilisation avec pour objectif de donner à cette problématique la visibilité qu’elle mérite au Sommet et au-delà. Il appelle à la création d’un Rapporteur Spécial pour la protection des travailleurs humanitaires qui serait habilité à rappeler à tous les acteurs leurs responsabilités pour faciliter l’accès à une aide humanitaire impartiale et appuyer la lutte contre l’impunité relative aux attaques contre les humanitaires. 12 ONG ont signé cet appel (3).

Malgré cet agenda quelque peu décourageant, ACF a porté à Istanbul sa campagne pour la protection des humanitaires, son appel à mobilisation, et sa détermination à protéger une action humanitaire respectueuse des principes humanitaires, y compris en s’attaquant à l’impunité rampante concernant les attaques multiples qui entravent l’accès des populations vulnérables à leurs besoins fondamentaux. Ce sont les fondements d’une réponse humanitaire efficace.

Comment le droit international humanitaire
et la protection de l’action humanitaire s’en sont sortis au Sommet ?

ACF a co-écrit un mémo d’ICVA pour préparer la table ronde sur le droit international humanitaire et a présenté une déclaration orale à la Session spéciale sur les principes humanitaires. Cela avait pour but de mettre en lumière les limites de l’action humanitaire en l’absence d’attention sur la protection des travailleurs humanitaires. ACF a également participé à une conférence de presse avec Peter Maurer, Président du CICR, sur le DIH, qui a été l’occasion de promouvoir la nécessité de créer un nouveau mécanisme. Celui-ci permettrait de répondre de manière pratique aux risques croissants auxquels font face les travailleurs humanitaires et aux violations des principes clés du DIH. Malgré toutes ces opportunités, notre appel pour un Rapporteur Spécial n’apparaît nulle part dans les engagements et les demandes rapportés par l’organisme de presse du Sommet, ni sur le document officiel couvrant les événements du Sommet, ni dans le résumé du Secrétaire général sur le Sommet.

Un retour sur le Sommet réalisé par l’IRIN (4) considère le domaine du DIH comme un des « perdants » du Sommet, principalement à cause du manque de diversité des acteurs politiques de haut niveau présents. Le CICR a essayé d’être prudemment optimiste à cet égard tout en admettant qu’on ne pouvait pas parler d’avancée spectaculaire.

Selon Jan Egeland de NRC, l’évaluation du succès du Sommet se fera sur sa capacité à changer un tant soit peu la situation des civils bombardés dans la ville syrienne d’Alep, une attente peut-être injuste pour un Sommet qui doit faire face à une série déroutante de problèmes complexes.

Manuel Bessler, chef de l’unité d’aide humanitaire du gouvernement suisse, fait part d’une observation plus sobre. Bien qu’il fût clair pour les participants qu’il y avait un fossé indiscutable et inacceptable entre les obligations internationales issues du DIH et la réalité sur le terrain, la table ronde sur le DIH a prêché des convaincus avec des engagements venant des membres qui s’étaient déjà engagés. « Nous avons besoin d’engagements de ceux qui ne sont pas, ou pas encore, ou doivent être convaincus. Sur ce point, nous devons faire plus. »

La presse du Sommet a largement couvert les acteurs humanitaires, notamment ACF et NRC, engagés pour investir dans une formation obligatoire pour toutes les équipes sur les principes humanitaires. Cependant, on y trouve un silence assourdissant sur le besoin des États d’imaginer un mécanisme de surveillance sur leur propre respect des principes et obligations.

Une telle démarche aurait pu permettre aux acteurs de proposer une réponse humanitaire plus forte, plus constante, et plus respectueuse des principes humanitaires. Il n’est pas difficile d’en conclure que certains acteurs du milieu humanitaire ne souhaitaient simplement pas avoir cette conversation, et qu’ils se sont assurés, doucement mais sûrement, qu’aucun débat sur les mérites d’un rapporteur spécial ne pourrait avoir lieu.

Comme HERE-Geneva l’a noté dans son rapport sur le Sommet Humanitaire Mondial publié en amont du Sommet, « sans un meilleur respect politique pour le droit international et les politiques d’engagements existantes, le renforcement de l’action humanitaire restera sans grande valeur ajoutée… La conduite actuelle des hostilités bafoue les obligations du DIH et du droit international des droits de l’Homme avec des conséquences dévastatrices pour les civils et l’acheminement de l’aide. » Cet article décrit la Syrie comme « l’enfant modèle de l’impunité, incontesté par des États avec pourtant le pouvoir et l’obligation de le faire ».

Le rapport reconnaît aussi que le renforcement de la responsabilité des États pour leur non-conformité au DIH est une problématique pour les États eux-mêmes, mais c’est également une véritable inquiétude pour les travailleurs humanitaires ; particulièrement dans ce contexte paradoxal où on observe d’un côté un accord mutuel sur le fait que le DIH n’est pas suffisamment respecté, et de l’autre une absence de consensus quant aux mesures qui pourraient permettre un meilleur respect (5).

En effet, la violation quotidienne des principes établis, qui doivent assurer une protection des civils et la préservation d’un accès humanitaire, fait clairement apparaître le besoin urgent d’une considération pour un nouveau mécanisme améliorant le respect du DIH et de l’action humanitaire, à la fois léger, flexible et focalisé. Comme l’a rappelé Peter Maurer du CICR, « vous devez faire plus que simplement vous réengager sur ce que vous vous êtes déjà engagés depuis 50 ans ».

Le Secrétaire général avait soumis l’idée d’un « watchdog international » dans son rapport pour le Sommet : un mécanisme pour suivre et rapporter les données sur les violations du DIH et les écarts de conformité, pourtant il n’en a plus été question lors du Sommet. La protection des activités humanitaires dans les conflits armés et le droit des populations vulnérables à une réponse humanitaire efficace sont à nouveau sous les projecteurs à l’occasion du Segment Humanitaire de l’ECOSOC le 27 juin. ACF continue de construire une communauté d’intérêts autour du sujet et élargit son plaidoyer pour un Rapporteur Spécial vers de nouveaux partenaires dans la communauté humanitaire et les États concernés. Gardez l’œil ouvert !

(1) Protégeons les humanitaires

(2) Act Alliance, Acted, Action contre la Faim, Amanuddin Foundation, Bangladesh NGOs Network for Radio and Communication, CARE International, Concern Worldwide US, ICVA, Handicap International, Relief International, Report the abuse, Secours Islamique France. 

(3) The World Humanitarian Summit : winners and loosers

(4) On the Right Track ? Reasserting the Priorities of Humanitarian Action

(5) No deal to strengthen respect for Geneva Conventions

 

Alexandra Strang

Alexandra Strang

Alexandra Strang travaille sur les questions de droit international humanitaire (DIH) et de droit international des refugies depuis 2004. Elle fait partie de l’équipe plaidoyer humanitaire de ACF- France depuis cette année et a coordonné les activités de ACF-IN auprès du Sommet Mondiale Humanitaire. Elle a opéré en Asie, au Moyen Orient et maintenant en Europe.

Alexandra Strang

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