Le dialogue inter-religieux et inter-culturel pour venir en aide aux populations fragilisées par les événements

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« A quoi sert-il d’avoir la foi, si nous n’avons pas les œuvres »(1)

On ne peut ignorer l’importance prise par les religions dans les débats internationaux ainsi que les mobilisations trop souvent violentes suscitées par le recours aux mots d’ordre religieux. Des conflits d’interprétation autour des droits de l’homme et de la légitimité de leur universalité tentent de remettre en question les principes de liberté d’expression. C’est ainsi que nombre de groupes politiques arrivent à mobiliser le référent religieux : l’instrumentalisation politique des religions dans les conflits et leur exploitation par certains Etats ne cessent de croître.

Cette situation soulève un certain nombre de questions. Quels doivent être les acteurs du dialogue interreligieux. Quels sont leurs objectifs ? Quelle doit être la position de la France ?(2)

Les objectifs évoluent au rythme des gouvernements qui se succèdent. Néanmoins, une constante semble se dégager depuis le discours prononcé par Alain Juppé, le 12 novembre 2008, lors de la 63ème Assemblée générale des Nations Unies. Il a tout d’abord rappelé que l’Etat français n’est pas un acteur du dialogue interreligieux et n’a pas à interférer dans des dialogues à portée théologique, en vertu de la séparation des institutions publiques et des communautés religieuses.

Toutefois, on ne peut négliger les retombées et l’impact symbolique et politique des dialogues intra religieux. Aussi, dans ce contexte, convient-il de favoriser les conditions nécessaires à la tenue d’un dialogue aussi large que possible et tenir compte des initiatives susceptibles de renforcer les contacts entre hiérarchies religieuses.

C’est ce que me rappelait François Fonlupt, évêque de Rodez et membre du Conseil permanent des évêques de France, lors de notre rencontre du 15 octobre 2016, en précisant que c’est dans cet objectif qu’a été créée l’Instance de dialogue entre le gouvernement et l’Eglise catholique en janvier 2002(3).

En outre, l’Union européenne appelle à poursuivre, au titre de l’article 17 du Traité fondateur de l’Union, un dialogue avec les Eglises, précisant que dans l’article 11 du Traité (alinéa 2) « les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives de la société civile ».

Pour la France de 2017, la position est claire : les acteurs du dialogue interreligieux sont les religieux eux-mêmes. Ils ont la responsabilité de l’organisation de ces dialogues qui doivent rester en dehors de toute ingérence politique. Cependant, trois considérations doivent être bien comprises :

– 1) Ces dialogues doivent permettre de mieux connaître les autres religions, d’en comprendre davantage les aspects spirituels. Ici nous touchons à la dimension culturelle des communautés.

– 2) La seconde considération à retenir est que, lorsque le dialogue se déroule entre communautés d’une même foi, cela relève d’une intention œcuménique. La finalité est clairement de rapprocher les diverses communautés appartenant à une même religion tout en respectant leur diversité d’approche.

– 3) Enfin, la troisième considération est celle où la finalité théologique s’estompe au profit de rencontres thématiques sociales mais aussi, de plus en plus souvent, autour de l’actualité politique internationale. Ces rencontres agissent comme une sorte de « passerelle » entre morale et action politique, au nom d’une certaine éthique humaniste.

Les hiérarchies religieuses agissent alors en qualité « d’autorités morales ». Les concertations amènent à des prises de positions communes lorsqu’il y a dialogue, avec parfois des réserves de part et d’autre, mais l’objectif reste acquis dans les domaines de la violence, des guerres, du terrorisme ; il en va de même en ce qui concerne les problématiques du développement durable, de la bioéthique, du droit des femmes…

S’appuyant sur les recommandations internationales (Fonds des NU pour les populations – FNUAP, l’Européan Council of Religious Leaders-ECRL…), la France participe aux échanges tout en rappelant les valeurs régulatrices des échanges interculturels et interreligieux : elle met en avant l’universalité des droits de l’homme, la laïcité, la démocratie, la tolérance et la solidarité. C’est ainsi qu’elle sollicite des personnalités du monde politique ou académique, mais aussi les acteurs de la société civile : associations humanitaires et ONG qui,  dans les pays dévastés par les guerres ou appauvris pour des raisons économiques, accomplissent un travail concret de terrain après que les experts se soient entretenus au cours de conférences, de séminaires…

Ce panel d’experts recommande au gouvernement de bien veiller à faire la distinction entre « dialogue interreligieux » (échanges entre religieux) et « dialogue interculturel » (débat entre les cultures dont font parties les religions). Cette clarté permet de dégager des politiques d’aides gouvernementales, sans que l’Etat soit mis en position de devoir se prononcer sur des questions religieuses.

De cette manière, dans des pays où le religieux est intrinsèquement lié au mode de vie et donc prépondérant dans leur culture, la participation aux actions humanitaires devient possible, sans que les pays qui accueillent l’aide y ressentent une ingérence religieuse ou politique.

Comme on le voit, il est indispensable, dans nombre de pays, de lier le dialogue interreligieux au dialogue interculturel. La clarté permet de maintenir une écoute et de sortir d’une position défensive où toute action doit toujours être justifiée, retardant les interventions parfois urgentes.

C’est en tenant compte de cette approche interreligieuse et interculturelle que je me suis rendu, en mai 2017, à Erbil (Kurdistan irakien). Pour tenter de comprendre cet « Orient compliqué », j’ai rencontré les hiérarchies religieuses chrétiennes, musulmanes et Yézidies, dans le but de mieux appréhender les rapports entre ces communautés culturelles et, bien entendu religieuses, qui se côtoient depuis plusieurs siècles.

Au début de notre ère, Erbil était l’une des capitales du royaume d’Adiabène dont les rois se sont convertis au judaïsme dans les années 30. C’est une région où le christianisme s’est aussi implanté très tôt. Aujourd’hui, la première communauté connue sous le nom d’Eglise de l’Orient est devenue l’Eglise syriaque (catholique ou orthodoxe selon le rituel retenu).

On ne peut ignorer, dans cet Orient complexe, l’influence des Eglises
mais comment l’appréhender ?

En tout premier lieu, il faut se souvenir que les sectes gnostiques « ophites » d’Asie Mineure, qui s’établirent au Ier siècle après Jésus-Christ, étaient d’obédience chrétienne. Un texte central des gnostiques, puis des manichéens fut, par exemple, le recueil des Logia  de l’apôtre Thomas, également tenu pour l’Evangile selon Saint Thomas.

Madeleine Scopello(4) dénonce les procès en hérésie intentés par l’Eglise contre ces mouvements, procès qui se sont déroulés du Vème au Xème siècle. Pour elle, il s’agit  « d’une approche obscurantiste des hérésiologues catholiques, tendant à discréditer les courants informels d’un mouvement gnostique chrétien cohérent ». Pourtant, dans les panthéons orientaux, la divinité médiane joue un rôle « essentiel » : elle révèle ‘‘les choses cachées depuis la fondation du monde’’, elle permet la compréhension ésotérique du sens du réel. Elle met ainsi la Connaissance au centre des religions ophites.

Tout cela est un peu compliqué, mais ce qu’il convient de retenir c’est que les mythes anciens assyriens ont influencé les communautés ophites mais aussi les valentiniens, les séthiens, les borborites, et les basilidiens, notamment par l’innovation (Je ne comprends pas le sens de ce mot !!!!!! ?) du démiurge. Cette silsila (mettre en note la définition de ce mot ? « chaîne initiatique de transmission spirituelle ») conduira la pensée des Messaliens, puis des Pauliciens et enfin des Bogomiles. Or, à cette multitude de communautés chrétiennes et paléochrétiennes s’ajoutent les Yézidis puis, plus récemment, les musulmans qui, eux aussi, sont constitués de nombreuses communautés.

Alors, comment appréhender
les rapports communautaires au Kurdistan irakien ? 

J’ai été reçu par Mgr Petros Moshé, archevêque syriaque catholique d’Irak. Nous avons ainsi évoqué le sort des chrétiens et la manière dont leur retour dans les villages pourrait s’effectuer prochainement.

Je lui ai demandé quelles relations entretiennent aujourd’hui, au vu des événements passés et actuels, les chrétiens et les yézidis de la plaine de Ninive (située à l’Est de Mossoul). Pour le prélat syriaque, les relations restent basées sur la confiance. Les deux peuples ont été martyrisés à l’extrême et leur existence est compromise.  Certaines communautés veulent profiter du chaos pour accaparer les terres et les maisons. Telle est la première raison qui pousse les chrétiens, comme les yézidis, à rester au pays et à ne pas demander l’asile en Occident.

Pour le représentant religieux des Yézidis, qui a son siège à Lalesh (à l’Est de Mossoul), il faut aider ceux qui veulent partir pour quelque temps, il faut mettre à l’abri la population, mais la reconstruction passe par un retour dans les villages, « c’est une évidence ».

Je lui ai demandé quelle était sa fonction principale au temple de Lalesh. Il m’a répondu par un mot : « l’humain ! … oui, aujourd’hui et avant tout, je me consacre à l’humain ».

Comme on le voit, les religions et la spiritualité sont incontournables dans cette région du monde. La France a, sans aucun doute, un rôle à jouer dans la reconstruction des villes et plus encore dans la reconstruction des personnes meurtries par la guerre. L’Etat français, par l’intermédiaire d’ONG, peut participer aux débats sur les moyens à apporter pour aider à la reconstruction, mais sans s’associer aux discussions intra et inter religieuses menées par les représentants des différentes communautés.

(1) Epître de Jacques.
(2) Selon l’argumentaire de la Direction de la prospective du ministère français des affaires étrangères (note 010-045 d’avril 2010).
(3) Au sein de ce conseil participent le Premier ministre, le Président de la Conférence des évêques et le Nonce apostolique.
(4) Correspondant de l’Institut (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres) Directeur de recherche au CNRS et Directeur d’études, EPHE-Sciences religieuses (Direction d’études : Gnose et manichéisme) depuis mars 2016.

Gilles-Henri Tardy

Gilles-Henri Tardy

Gilles-Henri Tardy est président d’association humanitaire et
administrateur d’Amel-France en Grèce. Ancien diplomate, il est
diplomé de l’Université de New-York en sociologie politique. Il a passé 45 années dans des postes à l’étranger et a participé aux évacuations sur le terrain au Liban et pendant la guerre au Kosovo. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, notamment
le domaine des relations Orient-Occident.