Dans les camps de déplacés au Kurdistan irakien

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Camp de déplacés à Erbil
© Dr Sarah Ahmed

Cet article est le premier d’un récit en 4 parties, dans les camps de déplacés, au Kurdistan.

Partie 1

Au printemps 2017, les événements tragiques du Kurdistan irakien avaient évolué depuis la dernière mission d’évaluation de 2015 effectuée par Amel-France. Il était devenu utile d’actualiser les besoins des déplacés Kurdes afin d’évaluer l’éventuelle aide qu’on pourrait leur apporter.

Pour ce faire, il apparaissait nécessaire de renouer des contacts avec les acteurs de la société civile, les autorités religieuses incontournables dans le pays et les autorités locales et françaises présentes à Erbil.

Je me suis donc fixé un double objectif : d’une part, faire le point sur la situation dans les camps de déplacés, pour le compte de l’association Amel-France et, par conséquent, pour l’ONG Amel International dont le siège est à Beyrouth et, d’autre part, rencontrer les communautés religieuses, au sens large, c’est-à-dire les Chrétiens mais aussi les Yézidis, les Shabaks, les Syriaques, les Chaldéens…

Dans cette première partie, je ferai part des impressions que j’ai ressenties durant mon séjour. Je serai amené à évoquer souvent des situations douloureuses, voire tragiques, mais parfois aussi, malgré tout, des moments où le sourire est venu effacer les heures sombres et où j’ai pu constater le besoin irrépressible d’espoir qui anime les populations du Kurdistan.

Voyage vers l’Orient…

Le projet, piloté par Amel France en 2015, prévoyait « l’implémentation d’activités psychosociales au bénéfice des personnes déplacées internes (PDI) présentes dans le camp ». En effet, les déplacés internes, témoins des violences de la guerre, souffrent de chocs psychologiques. Par ailleurs, les conditions de vie à l’intérieur du camp renforcent l’instabilité et la vulnérabilité des bénéficiaires (d’aide humanitaire ???). C’est donc dans cette logique et en connaissance du contexte qu’Amel France souhaitait s’impliquer dans la région.  

En 2017, à Ankawa, dans une cité chrétienne située à la périphérie d’Erbil, 150.000 réfugiés sont entassés depuis un an et demi dans des tentes, des hangars, des bungalows, un hôtel en construction et même un centre commercial abandonné. Ils attendent.

A Ankawa, on entend encore la population s’interroger, émettre des doutes, même si, depuis le début de l’année, ils s’atténuent. Il n’en reste pas moins que l’on peut percevoir une certaine méfiance face aux visites trop rapides d’humanitaires étrangers et par rapport à « ces promesses jamais tenues ».

Alors, faut-il rester ou partir ?
Ces chrétiens d’Irak, qui se trouvent dans les camps situés autour d’Erbil, ont sauvé leurs vies, mais ils n’en ont plus.

Et demain ? «  L’histoire s’est rompue, confie Mgr Sako, patriarche de l’Eglise chaldéenne. Ils rêvent de continuer une vie normale, ailleurs. Ils rêvent de partir, ils pensent que l’Occident est différent mais ils ne parlent pas la langue et ils perdraient leur culture. C’est un mirage. Une fois là-bas, quand ils seront dans un appartement, quel sera leur avenir ? »  

Désœuvrés pour la première fois de leur vie, les hommes que je rencontre enchaînent cigarette sur cigarette. Les femmes rêvent de retrouver leur maison, là où elles étaient dignes, autonomes et respectées. Dans la plaine de Ninive, les maisons étaient vastes, entourées de jardins.

Dans le centre commercial abandonné d’Ankawa Mall, on rencontre une foule de réfugiés. Escalators condamnés, couloirs sans fin, obscurs, avec peu d’électricité (en ville, dans les quartiers résidentiels pour expatriés, où l’électricité est coupée cinq à six fois par jour, des groupes électrogènes prennent le relai). Pas d’eau aux robinets, pas de douches et toilettes complètement insalubres ! A cela s’ajoute une promiscuité entre familles, qui génère des conflits de voisinage. En comparaison, un camp de tentes semblerait presque confortable.

Ici vivent 220 familles. Le désespoir des habitants se lit sur leur visage. Un étage, un autre, un couloir, un second… Ressortir de ce dédale de béton grisâtre et humide prend un bon quart d’heure, et encore, avec un guide. Les baraques de chantier semblent s’aligner à l’infini. Derrière chaque porte, une famille. Devant chaque porte, des yeux qui vous fixent. Au détour d’un couloir, un homme nous interpelle, en anglais : «  On ne peut plus vivre comme cela ! ».

Dans un autre camp, celui d’Ankawa 2, dirigé remarquablement par le père syriaque Emmanuel, vivent 5000 personnes (1200 familles et 1100 bungalows). Des magasins gérés par les déplacés du camp ont ouvert leurs portes.

L’ONG française EliseCare y est installée et prodigue des soins de première urgence. Une église où les habitants du camp se retrouvent a été construite, générant une amorce de vie sociale. Un petit terrain de jeux permet aux plus jeunes enfants de jouer en toute sécurité. Mais l’aide n’arrive pas suffisamment. Le père Emmanuel aurait bien voulu que l’on prête assistance à une famille pour financer une transplantation rénale du père.

Dans son petit bungalow, Sœur Elishoua nous explique de quoi vivent ces familles : du bœuf et du riz, beaucoup de haricots, un peu de soda, quelques cigarettes, et du thé… beaucoup de thé.

Le camp de Mar-Chmounit à Ankawa accueille de nombreuses familles chrétiennes mais aussi Yézidies et Kakaï. Dès le début de la crise, plusieurs Eglises chrétiennes ont apporté de l’aide aux autres « minorités », partageant avec elles les vêtements

Pour tous, la même et principale question : « Quand allons-nous pouvoir retourner chez nous ? »

Conclusion

Les besoins restent importants mais, aujourd’hui, l’accent est mis sur les conditions de retour des déplacés dans leurs villes ou leurs villages. L’aspect psychosocial reste une priorité, mais comme nombre d’ONG s’en chargent déjà, il n’est pas nécessaire d’envisager une action en ce sens. Le concept de « base-vie »(1) peut être retenu, d’autres bases pourraient être installées pour faciliter le rapprochement des familles de leurs villages, en prenant exemple sur la base-vie d’Erbil (Œuvre d’Orient) près de l’archevêché syriaque ou sur la base-vie de Karamnesh dans la plaine de Ninive.

La fermeture du camp d’Ankawa-2 est prévue pour la fin de l’année 2017. Les déplacés devraient revenir à Qaraqosh et ceux qui resteraient à Erbil seraient réinstallés dans d’autres camps.

Rien n’est terminé, tout reste à reconstruire : les villages mais aussi et surtout les vies !

(1) – Le concept de « base-vie » : construction modulable de qualité, un peu plus vaste qu’un bungalow. L’environnement prévoit des « lieux de proximité » comme des échoppes gérées par les déplacés : alimentation, distribution d’eau potable, cordonnier, boulanger, coiffeur, lieu de rencontre (« tchaï Khana »/maison de thé, ateliers…), aire de jeux pour les enfants…

Gilles-Henri Tardy

Gilles-Henri Tardy

Gilles-Henri Tardy est président d’association humanitaire et
administrateur d’Amel-France en Grèce. Ancien diplomate, il est
diplomé de l’Université de New-York en sociologie politique. Il a passé 45 années dans des postes à l’étranger et a participé aux évacuations sur le terrain au Liban et pendant la guerre au Kosovo. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, notamment
le domaine des relations Orient-Occident.