« J’ai échappé à Boko Haram »

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Bombardements Boko Haram
© Diario Critico de Venezuela

Il a échappé au pire. Témoignage d’un humanitaire français parti en mission au Nigeria dans l’un des fiefs historiques de Boko Haram. L’histoire se passe en décembre 2014, au nord du Nigeria.

Olivier, un jeune français, conseiller en sécurité, vient d’arriver dans le pays pour le compte d’une ONG humanitaire. Sa mission : évaluer le niveau de sécurité dans des localités situées à Yobe, Adamawa et Borno, trois États du Nigeria alors sous la menace de Boko Haram et placés sous état d’urgence depuis plus de deux ans.

Le travail d’Olivier, expert en sécurité humanitaire, consiste à se déplacer sur une zone de conflit donnée pour en étudier les risques d’insécurité avant que les agents humanitaires ne s’y rendent. Après l’évaluation, il fournit, si nécessaire, des protocoles sécuritaires que le personnel humanitaire devra suivre une fois sur place.

À 34 ans, Olivier est déjà aguerri à ce genre de mission. Afghanistan, Palestine, Irak, Syrie, Liban, Centrafrique, ou encore Mali. Ce sont quelques-unes des zones de conflit parcourues par le jeune français au cours de ces dix dernières années. Mais cette nouvelle mission au Nigeria est particulièrement périlleuse. Le conseiller en sécurité, rodé aux missions difficiles, assure l’avoir senti d’emblée dès son arrivée à Damaturu, ville située au Nord-est du Nigeria, dans l’État de Yobe, et première étape de sa mission dans les fiefs historiques de Boko haram.

Olivier est accompagné d’un groupe de Zimbabwéens et de deux locaux nigérians. « J’avais étudié un peu l’historique de Damaturu et découvert que la ville avait été attaquée par Boko Haram à plusieurs reprises. J’ai eu un pressentiment, et je me suis dit qu’il ne fallait pas rester ici. » Les collègues d’Olivier suivent alors son avis. Les membres de l’équipe s’accordent à quitter Damaturu le jour suivant leur arrivée. Boko Haram se trouve à seulement 17 kilomètres. Ce que Olivier redoutait est sur le point de se produire.

Il est 5 heures du matin, des tirs sporadiques puis nourris retentissent à Damaturu. Les combattants de Boko Haram encerclent d’abord la ville, ils y pénètrent ensuite par petits groupes d’une trentaine d’hommes lourdement armés. Le bruit des combats résonne partout dans cette petite ville d’environ 45 000 âmes.

À ce moment-là, le français se trouve encore dans son hôtel avec ses 16 collègues africains. Il est le seul occidental de l’équipe. « Je pensais que ces combats allaient durer quelques heures, mais ça ne s’arrêtait pas. Il y avait des tirs partout, des flammes…» De la fenêtre de sa chambre, Olivier peut apercevoir les combattants de Boko Haram : « Ce sont des jeunes âgés de 16 à 20 ans, très bien armés », précise-t-il.

Un groupe de combattants s’avance vers l’hôtel, s’approche de l’entrée. Depuis sa chambre, Olivier retient son souffle : « Je me suis dit : cette fois-ci c’est fini, je vais mourir ou ils me prendront en otage. Je suis le seul blanc dans la ville. C’était ma peur. S’ils arrivent à prendre le contrôle de la ville et si, en plus, ils ont un otage occidental, ce sera la fête pour eux.»

Le miracle

Olivier vient de repérer un endroit dans la chambre où il pourra éventuellement se cacher si les djihadistes venaient à pénétrer dans le complexe hôtelier. Toujours de la fenêtre de sa chambre, il peut voir les djihadistes qui tirent et s’agitent devant le portail de l’hôtel. Soudain, sous ses yeux, « un miracle », raconte-il.

Contre toute attente, le groupe de combattants de Boko Haram renonce à prendre d’assaut l’hôtel et vient de rebrousser chemin. Dans sa chambre d’hôtel, Olivier retient toujours son souffle mais il se répète à nouveau ce qu’il vient de vivre : « un miracle ». Miraculé, Olivier ne sera donc ni le futur otage français entre les mains du groupe djihadiste nigérian, ni sa énième victime.

Les Djihadistes partis, Olivier raconte qu’il doit encore rester terré dans son hôtel. Dehors, on s’achemine vers une accalmie. Les affrontements deviennent moins intenses, on entend moins de bruit d’explosions. « C’est le signe que ce sont les islamistes qui contrôlent la situation »,  interprète Olivier de sa chambre d’hôtel.

Pourquoi les combattants de Boko Haram ont-ils renoncé à investir l’hôtel où il se trouvait ? Même si pour Olivier cela relève du miracle, il a une petite explication : « Les combats étaient très intenses, ils avaient une autre priorité. Leur objectif c’était de prendre le contrôle entier de la ville, mais avant cela, il fallait pouvoir neutraliser les soldats nigérians. »

Et pour l’heure, c’est bien Boko Haram qui contrôle la situation dans la ville et fait régner sa loi. Défaits dans la bataille, les militaires nigérians s’organisent pour tenter de reprendre le contrôle. Après quelques heures d’accalmie, l’aviation nigériane entre en action pour bombarder les positions de Boko Haram et détruire ses nombreux stocks d’armes.

Au sol, pour traquer et chasser les combattants djihadistes, les soldats nigérians sont appuyés par les habitants constitués en milices d’autodéfense. Face à cette coalition militaro-civile, Boko Haram n’a pas tenu longtemps, se rappelle le conseiller en sécurité.

Damaturu est à nouveau libre ! Olivier et toute son équipe sont impatients de voir leur calvaire se terminer. Mais ils devront patienter encore. Au lendemain de son offensive pour libérer Damaturu, l’armée nigériane instaure un couvre-feu dans la ville. Quand ce couvre-feu sera t-il levé ? Demain ?  Après demain ? La semaine prochaine ? Nul ne le sait encore. Les Djihadistes peuvent à tout moment lancer une nouvelle attaque contre la ville.

Le couvre-feu sera finalement levé au troisième jour de l’arrivée du groupe. Le jeune français et ses collègues africains peuvent maintenant fuir Damaturu pour regagner la capitale Abuja dans le sud du pays.

Après le miracle, le traumatisme

« J’ai fréquenté de nombreuses zones de conflit et, pour la première fois, j’ai vraiment eu peur pour ma vie, je n’avais jamais vécu quelque chose d’une telle ampleur, c’était l’apocalypse », se souvient Olivier. « Après l’évènement, nous avions besoin de parler. Il y avait un vrai traumatisme. Pour le groupe de Zimbabwéens qui étaient avec moi, c’était leur première expérience dans une telle mission. »

Olivier, lui, serre les dents. « Il ne faut pas se laisser abattre ». Ainsi Olivier restera deux semaines dans la capitale Abuja pour poursuivre sa mission, convaincu que les populations de ces zones où sévit Boko Haram ont plus que jamais besoin d’aide. « Il faut y aller pour se rendre compte. Les gens que Boko Haram recrute sont des jeunes sans éducation, désespérés et prêts à tout accepter pour survivre », se désole l’humanitaire français.

Lors de sa mission, Olivier a pu également échanger avec quelques militaires nigérians. Il se souvient de « militaires très mal équipés, mal payés, dont le moral était au plus bas. Certains disaient ouvertement qu’ils ne sont plus prêts à se faire tuer pour rien par les combattants de Boko Haram ».

Tourner la page

De retour à Paris, Olivier était encore hanté par l’assaut de Boko Haram et les trois jours d’horreur qu’il a vécus, cloîtré dans sa chambre d’hôtel à Damaturu. Un choc post-traumatique qui se manifestait par des peurs soudaines : « Au moindre bruit entendu,  j’étais paniqué, je regardais autour de moi pour savoir ce qu’il se passait », explique t-il.

Pour autant, Olivier n’aura pas besoin de consulter un psychologue pour se remettre du plus douloureux épisode de sa carrière de conseiller en sécurité pour les organisations humanitaires. Pourquoi ? Olivier arbore un large sourire : « À Paris, j’ai appris que je serai bientôt papa et là j’ai dit : ça y est, je n’ai plus le droit de me plaindre ».

Après avoir parcouru pendant dix ans les zones de guerre, risquant sa vie à chaque fois, Olivier veut aujourd’hui « se poser et avoir une vie de famille », dit-il. Cependant pas question pour lui de tourner définitivement le dos aux questions humanitaires et à la géopolitique.

À partir de ses expériences sur les terrains de conflit, et notamment au Nigéria, dans le cadre d’un Master en géopolitique, Olivier a fait son mémoire de fin d’études sur Boko Haram et les racines idéologiques du djihadisme.

 

 

 

Moïse Mounkoro

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