Un déploiement exigeant
Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a transféré à la MINUSMA(1), au 1er juillet 2013, l’autorité de la MISMA et du bureau Politique des Nations Unies au Mali (UNOM) pour un mandat initial de 12 mois, en incluant les anciennes unités militaires et de police panafricaines. Les Nations-Unies avaient ouvert un bureau à Tombouctou dès juin 2013(2) en prévision de ce transfert. Dans ce contexte post conflit complexe et fragile, les premiers personnels permanents de la MINUSMA à Tombouctou ont eu le sentiment d’être des pionniers.
Les premiers personnels précurseurs (« les First ») provenaient, comme c’est l’habitude dans une telle configuration, des divisions Soutien (Support), Sécurité (Security) et des différents services substantifs des Nations-Unies. Ils s’installèrent dans l’enceinte de l’hôtel Hendrina Khan de Tombouctou, choisi pour sa proximité avec le coeur de ville et son accès aisé avec l’aéroport international.
En l’état, cet établissement et le quartier général (HQ) afférent était le seul pouvant accepter le personnel onusien (une vingtaine) avec un minimum de garanties en termes de sécurité, d’accès et de conditions de travail et d’hébergement. L’aventure tombouctienne révèle que, pour exécuter et réussir une opération de maintien de la paix, il est des lieux où il faut être présent même au prix fort, quel qu’en soit le prix mais qui posent des défis sécuritaires aux enseignements inattendus.
Le renforcement sécuritaire
Une forme de sécurité existe au Mali, n’en déplaise à une vision normative sinon bornée. Il ne s’agit pas d’une sûreté commune aux standards des pays développés, plutôt « clean » et « soft », mais plutôt d’une forme de sécurité connue, comprise et admise par des populations vivant dans un environnement pauvre en ressources et hostile à la présence humaine. Sur la base de coutumes ancestrales, des formes de régulations existent ; des exutoires également.
Le Mali contemporain connait une période de transition post conflit, doublée de défis climatiques, démographiques sur fond de menaces terroristes. Les autorités maliennes, excentrées géographiquement dans le Sud-ouest du pays, doivent poursuivre l’équipement d’un espace géographique immense et l’administration de populations culturellement méfiantes à toute forme de centralisme sinon d’autorité. Vu de Bamako, le Nord Mali et ses populations touaregs, arabes et maures, communément appelé le Septentrion, est une zone à part qu’on évoque toujours avec une pointe d’inquiétude et qu’on délaisse par habitude.
A son tour, la MINUSMA, qui se doit d’appuyer le processus politique au Mali tout en effectuant un certain nombre de tâches d’ordre sécuritaire, s’est déployé dans le Nord Mali pour accompagner le retour de l’Etat dans une logique de proximité et d’action. Ceci est sa grandeur, « sa mission », mais aussi sa difficulté.
Le concept de violence est endémique à Tombouctou et sa vaste région. Au sommet de la boucle du fleuve Niger, au point où celui-ci se rapproche le plus du Sahara, la « passe » de Tombouctou est le théâtre de trafics en tous genres depuis des siècles. Jadis, il était coutumier de rançonner les Azalai, caravanes transportant le sel gemme extrait des mines de Taoudéni et, au retour, des esclaves ou de la poudre d’or. Les 4×4 japonais ont désormais remplacé les dromadaires et perpétuent les flux de marchandises : produits de consommation, carburants, migrants, armes…sans oublier différentes drogues. Tout est régulé, ne laissant pas la place à la petite délinquance faisant paradoxalement de Tombouctou une ville plutôt sûre.
En l’état, deux types d’insécurité cohabitent à Tombouctou et créent une certaine confusion dans l’esprit du lecteur pressé. La première est dite culturelle, liée à la région où trafic et rivalités des bandes perdurent. La seconde, liée au terrorisme, est plus récente et cible les membres de la MINUSMA à Tombouctou, d’où un sentiment d’insécurité permanent.
Par fatalité, ces deux types de violence se recouvrent. La perméabilité entre groupes armés, groupes narcotrafiquants, criminalité organisée, grand banditisme et terrorisme politico-religieux crée une incertitude de situation et de choix parmi tous les protagonistes. Elle affecte la stabilité locale, à laquelle s’ajoute des contentieux séculaires entre les ethnies du Nord, dont certaines acquises à la cause de l’indépendance de l’Azawad (3).
Les différents groupes ont laissé se déployer la MINUSMA avec un mélange d’attente politico-sécuritaire et d’opportunités économiques, ne serait-ce que parce que l’étranger à Tombouctou, qui fut dans les années 60-70 et 80 une destination touristique, n’en n’est pas vraiment un.
Les terroristes tancent de temps à autre Tombouctou, comme le 5 février 16, avec une attaque par véhicule suicide spectaculaire contre l’une des bases de l’ONU ou l’attaque contre le HQ le 14 aout 17. Ou les tentatives de cadrage par missiles sur l’aéroport le 1er nov 16, suivi de mortiers le 29 nov 16, des missiles le vendredi 13 janv 17 et enfin touchèrent le but en mai et juin 17. Comme il est dit dans de nombreux compte-rendu, la situation reste calme mais imprévisible.
Être présent
Le déploiement du bureau Régional de Tombouctou est un modèle école de projection longue portée qui rappelle une conclusion plutôt évidente : la logistique a toujours raison.
Comme ordre de grandeur, un 4×4 seul, en bonne état mettra 1 jour et demi pour monter de Bamako à Tombouctou, avec une étape sur Mopti alors qu’un convoi de camions civils mettra 4 à 5 jours.
Un convoi logistique militaire mettra entre 9 et 10 jours en raison de l’escorte, les pauses techniques réglementaires ainsi que les aléas de passage du bac fluvial sur Didi à proximité de Tombouctou sur le fleuve Niger.
Tombouctou a pu sembler épargnée par les attaques terroristes avec une concentration d’affrontement le long de la Transsaharienne (Gao-Kidal-Tessalit). Toutefois, la situation sécuritaire s’est lentement et inexorablement détériorée et la région de Tombouctou, sur laquelle certains ont pu croire qu’il y avait consensus pour la tenir à l’écart des affrontements, s’est retrouvée être le théâtre d’actes terroristes : attaques asymétriques, parfois complexes, et kidnapping de ressortissants étrangers.
Si Tombouctou n’a pas autant de raisons stratégiques que d’autres villes du Septentrion malien, par exemple Kidal, « la ville aux 333 saints » conserve un symbolisme fort qui suscite immédiatement une résonnance chez les médias et l’opinion internationale. De plus, de nombreuses ONG sont présentes à Tombouctou dans le cadre du plan de reconstruction de la ville. De nombreuses délégations extérieures, malgré des avis d’opportunité sécuritaire défavorables, considèrent un déplacement sur site à Tombouctou comme une escale incontournable en terme de symbole et de visibilité.
La présence de la MINUSMA à Tombouctou revêt une dimension opérationnelle et symbolique particulière. De surcroit, l’ONU présente la vulnérabilité en en termes d’exposition aux risques d’être une cible molle par rapport à l’opération militaire franco-alliée Barkhane, dite « cible dure », dont les règles d’engagement sont bien plus intrusifs et robustes.
Cette détérioration du contexte sécuritaire à Tombouctou a eu pour effet insidieux de causer un repli du Bureau Régional sur lui-même, limitant ainsi les sorties « mission » et les contacts en hors de la ville. Ceci a précipité une prise de distance entre le personnel de la mission et la population civile.
En parallèle, la MINUSMA est davantage exposée aux critiques des parties au conflit intra-malien. Par ricochet, cela s’est traduit par un accroissement des menaces directes contre le personnel onusien et donc des restrictions dans les libertés de mouvement dont il avait initialement bénéficié. Une fois ces restrictions de circulation adoptées, une fois la sensibilisation aux risques dispensée, il faut renforcer les mesures de protection passives avec pour objectif de préserver les vies humaines.
Le bureau de TOMBOUCTOU se renforce en permanence pour atteindre presque 500 personnes internationales et nationales de 60 pays différents.
Il a intégré en son sein de manière progressive presque toutes les représentations substantives (Affaires civiles, Affaires politiques, Affaires juridiques, Droits de l’homme, JOC, DDR, JMAC, PIO, POC et Stabilisation).
Quant au Support, il représente le trois quart des effectifs (Finances, Transport, Movcon, Supply, Engineer) avec une surreprésentation de Aviation et CITS (informatique). La composante Force est regroupée autour d’un Etat-major de Brigade et les Forces de police s’articulent entre une entité FPU et un groupement d’IPO (International Police Officer).
Le bureau régional de Tombouctou dispose d’atouts : un « Super Camp UN Standards », situé dans l’enceinte de l’aéroport et une concentration de moyens et de vecteurs (hélicoptères, dépôt de carburants, 1 bataillon d’infanterie, des démineurs, un hôpital de niveau 2, un groupe cynophile, une section de transmetteur, une police militaire…)
Cependant, ce dispositif contient aussi des points faibles persistants : vulnérabilité du personnel face au risque d’enlèvement des ressortissants internationaux, qualifié sans ironie à forte valeur de rançon ou à haute valeur symbolique, menace mines-IED, et enfin le stress dans un environnement exigeant. Les lourdeurs logistiques et tactiques face aux impératifs sécuritaires obèrent les stratégies les plus ambitieuses lorsqu’il s’agit de monter des missions sur le terrain. Cependant, les volontaires onusiens ont fait un choix de carrière pour accepter cette destination et les composantes de la sécurité la considèrent comme une mission.
De manière surprenante, le retour d’expérience ne se focalise pas sur l’aspect le plus chic de l’allant, bien au contraire, les choses les plus basiques se rappellent d’elles-mêmes avec une résonnance encore plus forte au fin fond du désert. L’objectivité oblige à reconnaitre le mérite de ceux qui y servent, quel que soit le motif. Le seul vrai acquis pérennisé fut la confiance des Tombouctiens, gagnée après la libération par les troupes françaises. Cette population « dure au mal » a appris à vivre dans des conditions difficiles, dans un milieu extrême, ce qui semble avoir renforcé les liens et la fierté des habitants. De manière flagrante, les atouts majeurs très lourds en termes de gestion logistique côtoient une surexposition du personnel aux risques. Ceci est le prix à payer de la présence dans le Nord du Mali.
Les enseignements inattendus
Le déploiement de personnel des Nations-unies à Tombouctou est exigeant. Tombouctou est l’un des endroits les plus chauds sur Terre ou le climat y est extrêmement aride pendant une bonne partie de l’année. La très longue saison sèche est elle-même subdivisée en une saison très sèche et chaude suivie d’une saison sèche et, cette fois, extrêmement chaude (avril-juin). La ville est alors balayée par des vents brûlants venus du désert, faisant de Tombouctou une ville abrasive et abrasée(4). Mais Tombouctou est également une cité captivante, inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1988, quoique davantage connue par sa légende et ses manuscrits, ou encore son festival du désert, que par ses différents sites.
Dans ce contexte renforcé par un danger environnement multiforme et soudain, trois types de réactions à caractère psychologiques s’observent parmi le personnel international présent sur place dans le cadre de la mission de stabilisation :
– Les traumatisés, qui vivent très mal le danger ambiant et qui souhaitent même quitter Tombouctou.
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Les passionnées, psychologiquement détaché, soit par intelligence de situation ou en raison de leur personnalité. Ces derniers agissent par passion.
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– les fatalistes, pleinement conscients des risques et des menaces, mais qui demeurent pour des considérations financières ou des perspectives de carrière. Ces derniers mènent une vie spartiate et se contentent d’une routine entre le bureau et leur hébergement.
Le bien-être du personnel de toutes catégories est une garantie d’efficacité dans l’exécution de la mission. Différentes études concluent que l’équilibre du personnel, au-delà du contexte sécuritaire inhérent à la raison d’être de la mission, passe par l’efficacité de l’environnement de travail et des outils professionnels, la qualités des liaisons de communication, une alimentation saine et équilibrée et des instants de relâche.
Ces détails prennent toute leur valeur dans un environnement désertique, hostile à la présence humaine. En début de mission, des conditions rustiques sont un apanage de pionniers, qui y trouvent un motif de satisfaction et de dépassement de soi. Aussi, l’absence d’améliorations sur la moyenne durée tend à l’usure.
En revanche, les limites des résistances physiologiques et psychologiques sont fortement ébranlées, et certains arrivent assez vite à saturation.
Le moindre détail, la moindre contrariété prennent alors une dimension insoupçonnée, une usure prématurée guette les plus ardents. Il est à noter que selon le statut des MSO (Military Staff Officer), des UNV (UN volonteers), des IPO, des contractors, ou des Staffs internationaux…les temps de récupération et les retours au pays sont différents. Ce qui est valable pour la machine humaine est encore plus vrai pour le matériel dont l’attrition se fait vite sentir. L’implantation d’une base ONU au milieu du désert est un défi humain et logistique permanent.
Même si de très gros progrès ont été faits, un certain nombre de signaux montrent que la pérennité de la mission repose sur des excellentes liaisons téléphoniques avec Bamako et une gestion de l’équilibre du personnel UN. Sans oublier les conditions de travail stressantes faciles à comprendre : réseau internet, climat, appui des services, promiscuité…
La mission de Tombouctou a dans ses gènes le complexe du petit génie, c’est-à-dire brillant mais encore trop jeune ! La mission a grandi trop rapidement, ceci sans concertation avec les intervenants de la protection et de la logistique en passant un peu trop vite sur la dimension humaine. Dans les périodes d’accalmie, la MINUSMA a naturellement le sentiment que l’équilibre revient tout doucement. Cependant, son empressement « moderne » se retrouve confronté à une culture qui vit dans son propre espace-temps. Or le tempo de l’Azawad se compte sur des décennies alors que le monde onusien se cadence sur des caps politiques au gré des nominations des chefs. Pour lutter contre la vulnérabilité en dehors de la ville de Tombouctou, le personnel doit être protégé, ceci malgré la dureté des conditions pour les hommes et leurs matériels, et dans un souci d’autonomie totale, exigeante et poussée. La déclinaison des exigences se transforme sur le terrain par une forte empreinte logistique auquel il faut lui donner toute la reconnaissance.
Depuis Léon l’Africain, la ville de Tombouctou a bâti une réputation mythique qui perdure. Au bout du monde, au prix d’un choix stratégique conscient, l’ONU décida d’installer un bureau au centre d’une région portant les chromosomes de l’indépendance.
Le succès de la MINUSMA passera par une prise de conscience de la nécessite du soutien de l’homme et, une fois la transition politique malienne entamée, la feuille de route onusienne devra passer par l’acceptation d’une logistique plus entendue.
Plantée au milieu du désert, par choix et par obligation, cette ville esseulée a encore de beaux jours devant elle. Mais le luxe de la solitude pourrait s’effacer avec en fond de théâtre une aspiration d’autonomie qui saura se faire entendre.
(1) MINUSMA :Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali
(2) L’armée malienne perd en avril 2012 le contrôle de Tombouctou au profit de divers mouvements rebelles touareg, qui seront eux-mêmes rapidement supplantés par les islamistes salafistes radicaux. Ces derniers se lancent dans la destruction systématique des tombeaux des saints musulmans et des mausolées de la ville. L’armée française, dans le cadre de l’opération Serval, reprend totalement Tombouctou au 28 janvier 2013. Les forces burkinabés de la MISMA sécurisent la ville à partir d’avril 2013.
(3) L’Azawad est un territoire quasiment désertique situé dans le nord du Mali, dont des groupes séparatistes touaregs réclament l’indépendance, qu’ils ont proclamé en 2012, avant d’y renoncer le 14 février 2013.
(4) Température moyenne journalière annuelle de près de 29 °C.
Benoit Bryche
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