Kony2012 vs #SomeTellCNN…

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 Les messages du Premier ministre ougandais, Amama Mbabazi
Les messages du Premier ministre ougandais, Amama Mbabazi @Sonia Rolley

Ces dernières semaines, deux phénomènes Internet ont interrogé la capacité des médias traditionnels à intéresser un large public à l’Afrique, sans pour autant devenir caricatural.

Le phénomène Kony2012 a dérangé les médias. Cette vidéo réalisée par l’organisation américaine Invisible Children a fait le tour de la toile. 100 millions de personnes l’ont vue en une dizaine de jours.

Du jamais vu. Un phénomène viral donc, relayé par les réseaux sociaux, soutenus par des stars américaines. « Rien n’est plus fort qu’une idée ». Voilà le postulat de départ. S’en suit des images de la Terre vue du ciel accompagnées d’un commentaire sur le poids des réseaux sociaux. Une manière habile d’impliquer d’emblée le spectateur. Pour parler de quoi ? De qui ? De Joseph Kony, le leader de la rébellion ougandaise, la LRA, recherché par la Cour Pénale Internationale. L’objectif avoué est de le rendre célèbre, non pas pour le glorifier, mais pour mettre un terme à ses agissements. Jason Russell, l’un des fondateurs d’Invisible Children, n’hésite pas à mettre en scène son propre fils pour comparer son quotidien à celui de Jacob, un jeune ougandais victime de la LRA. «  Et cela dure depuis des années . Si cela arrivait une seule journée aux États-Unis, cela ferait la couverture de Newsweek », commente dans la vidéo Jason Russell.

Des enfants, deux destins croisés, images, musique, dramatisation, tout dans Kony2012 est fait pour provoquer une émotion et ça marche. Mais aussi pour impliquer  le spectateur. Mettre un terme aux agissements de Joseph Kony ? « Cette année, 2012, est l’année où nous allons pouvoir enfin réaliser cette promesse », explique encore la voix off. « Et je vais vous expliquer comment ».

C’est une vidéo d’activiste, bourrée d’erreurs de fond. On pourrait toutes les citer. Mais de nombreux articles ont déjà souligné les zones d’ombres. De même que celles qui entourent cette organisation Invisible Children, la mégalomanie de Jason Russell, ces déboires récents aussi. Il y a évidemment quelque chose de dangereux à simplifier une situation qui ne l’est pas.

On ne sait pas exactement où se trouve Joseph Kony. La LRA commet des exactions au-delà des frontières de l’Ouganda. Ce pays d’Afrique centrale est dirigé d’une main de fer par Yoweri Museveni depuis 1986. Soutenir l’armée ougandaise dans ce combat risque de renforcer un régime coupable lui aussi de violations des droits de l’Homme. D’ailleurs, les internautes ougandais étaient plus que partagés après avoir visionné cette vidéo. Ils l’ont fait savoir eux aussi sur les réseaux sociaux. Le Premier ministre ougandais lui-même a répondu sur Twitter aux stars qui ont dit soutenir de cette campagne. « Je vous remercie de votre intérêt et vous invite à visiter notre grande nation pour la paix qui existe », expliquait-il. Contre-propagande maladroite face à la machine Kony2012.

Il y avait quelque chose d’assez comique dans les premières réactions des journalistes américains entre glorification des réseaux sociaux et une défense de principe. Nous aussi, nous avons parlé de ce sujet. « Oui, mais avec quel impact ? » ont répondu les responsables d’Invisible Children. L’administration Obama était aussi bien en peine d’expliquer que depuis octobre 2011, elle avait déjà pris des mesures pour mettre fin aux agissements de Joseph Kony et de sa rébellion, en envoyant une centaine de conseillers militaires chargés d’encadrer des unités africaines en Ouganda mais aussi  en Centrafrique, au Soudan du Sud et en République démocratique du Congo.

Dans Kony2012, Jason Russell martèle que les personnes avec lesquelles il a parlé à Washington lui ont dit que rien ne pouvait être fait. Lesquelles? C’est une bonne question. Passons. Tout comme Save Darfur avant elle, l’organisation Invisible Children a su toucher les foules. Il ne s’agit pas d’un article de presse, ni d’un programme politique. Juste d’une vidéo d’activiste. Et si cela dérange à ce point, c’est parce qu’avec des reportages dans les médias traditionnels ou même par des discours politiques, personne, avant cette organisation, n’a réussi à attirer l’attention d’un large public sur cette question.

Au même moment, sur le continent africain, on assistait à un autre phénomène, moins viral sans doute, #SomeTellCNN. C’est la révolte d’internautes kenyans contre la couverture d’un attentat à Nairobi, la capitale, par la chaîne américaine CNN. « Violence au Kenya » était le gros titre. Le correspondant régional de CNN s’est excusé sur Twitter pour la manière dont son reportage avait été présenté à l’antenne et sur le site internet. Mais cela n’a pas suffit. Quelqu’un devrait dire à CNN que les Kenyans la regardent. Quelqu’un devrait dire à CNN qu’il faudrait qu’ils vérifient leurs informations. Quelqu’un devrait dire à CNN que le Kenya, ce n’est pas ça. Que nous aussi, on a internet. Quelques tweets traduits parmi d’autres pour illustrer la dérision et la colère aussi qui s’est emparé des Kényans et de la diaspora. Faire du sensationnalisme, parler toujours des mêmes aspects, bons ou mauvais, résumer l’histoire d’un pays à ses événements les plus tragiques. Un ras-le-bol vis-à-vis des médias traditionnels et de leurs incapacités à parler de leur pays. Est-ce nouveau? Pas vraiment.

Cette vision simpliste du continent avait été moquée par l’écrivain kenyan Binyavanga Wainaina dans la revue britannique Granta en 2005. Dans un essai intitulé « Comment écrire sur l’Afrique ? », il fait le tour des clichés : « Ne pas publier sur la couverture de votre livre l’image d’un Africain sans un prix Nobel ou une AK47 à la main », « Traiter l’Afrique comme si c’était un seul pays »; « Les sujets tabous : des scènes domestiques ordinaires, l’amour entre Africains (à moins que cela ne les conduise à la mort), les références aux écrivains et intellectuels africains, parler des enfants qui vont à l’école sans souffrir de ballonnements, de la fièvre Ebola ou de mutilation sexuelle ». Et peut-être l’extrait qui fait le plus écho à la mobilisation voulue par Invisible Children : « Quel que soit l’angle que vous preniez, assurez-vous de laisser l’impression que sans votre intervention ou votre livre, l’Afrique sera vouée à l’échec ».

 

Article d’un bloggeur sur #SomeoneTellCNN
Traduction de l’article How to write about afrique
La VO
Le phénomène vu par Charlie Brooker de 10 0’Clock Live sur Canal 4
Plus intéressant… ou surprenant. Par Jon Stewart du Dailyshow : http://www.thedailyshow.com/watch/mon-march-12-2012/my-little-kony et  http://www.thedailyshow.com/watch/mon-march-12-2012/my-little-kony—youth-activism

 

Sonia Rolley

Sonia Rolley

Sonia Rolley est journaliste indépendante, auteure de «Retour du Tchad – Carnet d’une correspondante» chez Actes Sud (2010).

Sonia Rolley

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