L’International Association for Humanitarian Studies (IHSA) a organisé la 4e édition de la Conférence Mondiale des Études Humanitaires (WCHS) du 5 au 8 mars 2016 à Addis Abeba. À deux mois du Sommet Mondial humanitaire, la conférence a mobilisé 300 chercheurs en sciences humaines et sociales du monde entier pour réfléchir sur « des crises en mutation et la quête de solutions adéquates ».
La 4e conférence mondiale des études humanitaires (1) (WCHS (2)) s’est tenue dans la capitale éthiopienne du 5 au 8 mars 2016. Une première édition africaine pour une conférence organisée les années précédentes à Groningen (Pays-Bas), Boston et Istanbul, avec une volonté exprimée par sa gouvernance de déplacer, tous les deux ans, les rencontres de « continent en continent, la conférence devant être une opportunité de présenter des recherches sur des tendances émergentes ou plus anciennes, de faciliter la mise en réseau internationale ».
La thématique de la conférence « Changing crises and the quest for adequate solutions » a été étudiée et débattue en 50 panels réunissant près de 300 chercheurs et experts du monde de l’aide internationale dans un contexte marqué par la crise syrienne, le ciblage de personnels et de structures de santé et l’organisation du Sommet Humanitaire Mondial sous la direction des Nations Unies en mai prochain.
Lors de cette édition, les organisateurs ont mis en avant le large spectre de sujets traités, de l’éthique aux innovations technologiques, de la cybersécurité à la responsabilité envers les populations affectées.
Le programme et les articles, accessibles sur le site de l’association, permettent d’explorer en profondeur les sujets traités lors de ces trois jours. Quelques tendances peuvent y être soulignées. Les notions de protection, de sécurité humaine (human security) voire de cybersécurité, ont fait l’objet de différents panels.
Cela confirme l’articulation des thématiques humanitaires avec celles des stratégies de défense nationales, de la protection des civils et des personnels humanitaires, et l’influence de l’humanitaire d’État tant dans les concepts que sur le terrain. La relation au risque est apparue comme de plus en plus étudiée et équilibrant les sujets traitant des réponses aux crises et de leur efficacité : préparation aux risques et catastrophes, transfert de risques, management du risque.
La professionnalisation des ONG, la perspective de nouveaux marchés pour les groupes privés et une affirmation de la souveraineté des États pour prévenir et gérer les crises qui les affectent sont autant de facteurs incitant à l’entrée d’une culture du risque dans le secteur humanitaire.
La prévention des risques a d’ailleurs souvent été analysée à travers le prisme des conséquences du changement climatique et une institutionnalisation croissante de la prévention. La situation de l’Éthiopie notamment, dont la vulnérabilité aux changements climatiques est particulièrement visible avec le phénomène El Nino, et qui s’est dotée d’un Centre de prévention des risques de catastrophes (3), a permis de mettre ces sujets au cœur de plusieurs interventions.
Une attention particulière a enfin été accordée aux aspects humains et économiques des politiques de résilience, qui incitent à une concertation et des investissements plus affirmés dans les phases de prévention.
Enfin, l’éthique, concept peu mobilisé jusqu’à ces dernières années dans le secteur humanitaire en dehors des principes dunantistes, a émergé de manière plus explicite sous différents aspects : l’humanitarian ethics d’une part, défendue par H. Slim du CICR en discours d’ouverture ; l’éthique de la recherche en sciences sociales et du lien avec les personnes affectées également, très interrogée par les anthropologues et sociologues ; l’éthique de la recherche épidémiologique et des big data enfin, qui concerne patients et bénéficiaires et qui demeure une question épineuse au sein des ONG, notamment médicales.
De manière générale, de nombreux aspects du changement de paradigme humanitaire ont été traités, avec une porosité croissante avec les sujets traditionnellement réservés aux domaines du développement ou aux droits de l’homme (les cash transfers, les réponses socio-économiques, les jeunes, l’adaptation au changement climatique, les missions de paix).
Les interrogations sur l’avenir de l’action humanitaire, le « malaise » ambiant vécu par les acteurs du secteur et la nécessité de le réformer ont été débattues, et sont explorées grâce à de nouveaux financements de la part des bailleurs et de nouvelles fondations (par exemple « the future of aid » (4)).
La mise en exergue du rôle des ONG locales et la possibilité de leur financement par le dispositif international, ou « localisation de l’aide », ont suscité des avis divergents selon les contextes et les enjeux, de la part d’Oxfam et de MSF (entre autres).
La diversité croissante des contributions et sujets traités en lien avec l’action humanitaire a en tout cas constitué un bilan positif pour l’évènement.
Néanmoins, les responsables ont déploré un intérêt moins marqué pour des analyses géospécifiques, comme cela aurait pu être le cas sur la RDC ou la crise alimentaire en Éthiopie, ainsi qu’un manque de structuration des réflexions autour du changement climatique ou de la crise des migrants.
La conférence a permis de dresser un schéma assez précis de l’organisation de la recherche dans un secteur où les consultances et évaluations sont pléthores mais où la recherche fondamentale indépendante reste encore très peu financée. « On peut dire que ce sont encore les experts et les agendas du Nord qui dominent et les choses ne changent que lentement » souligne le Pr Dijkzeul de l’Institute of International Law for Peace and Armed Conflict (Université de Bochum). « Nous espérons que les études humanitaires ne seront pas considérées comme un champ de recherche limité à l’action humanitaire, ce qui induirait une perspective occidentale, mais comme un champ d’études plus large sur les crises humanitaires en général pour examiner leurs sources, leurs évolutions, la façon dont elles affectent les individus, les institutions, les sociétés, et les réponses qu’elles suscitent. Étudier les crises au-delà des interventions nous permet d’intégrer beaucoup plus de réflexions, dont les voix des personnes touchées ».
En effet, les chercheurs occidentaux représentaient une grande majorité des participants. Certains laboratoires ou départements d’Université avaient fait le voyage en force.
Il s’agissait tout d’abord des organisations liées aux fondateurs de l’association, comme les Universités de Wageningen, Groningen (où est abrité le secrétariat de l’IHSA), et l’Institute for Social Sciences de La Haye.
Des structures de recherche parmi les plus réputées (et/ou financées) dans le monde humanitaire étaient également présentes : la Tufts University et le Feinstein International Center, la London School of Economics, l’Université de Manchester, l’Overseas Developement Institute de Londres et son groupe dédié, le HPG.
Le mouvement Croix-Rouge était bien représenté avec des représentants du CICR, de la Fédération et des différentes sociétés nationales, particulièrement engagées dans la recherche (USA, France, Liban).
La Suisse, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Scandinavie étaient ainsi très représentés à travers les disciplines de Relations Internationales et des Études Globales.
Les chercheurs admettent d’ailleurs que leur présence est très liée aux financements qu’ils peuvent obtenir de leurs établissements ou de leurs bailleurs pour les colloques, avec des situations très différentes selon les pays. On peut ainsi regretter la présence très faible de collègues asiatiques, d’Amérique du Sud et d’Europe méditerranéenne (avec une présence minimale du Chili, de l’Argentine, du Japon et de l’Inde). Il est en effet possible que l’objet « crises humanitaires » soit approprié par les disciplines de manière très hétérogène selon les pays.
En outre, l’usage d’un anglais académique de haut niveau représente une barrière linguistique importante, que l’absence d’interprétation et de traduction par manque de budget des organisations ne permet pas de surmonter. Cela fait malheureusement obstacle à une juste représentation des courants de pensée universitaires dans le domaine humanitaire.
Qui aurait pu, d’ailleurs, bénéficier d’une telle plateforme ? Les chercheurs africains, qui ne devaient pas représenter plus de 15 % des participants. L’Éthiopie était évidemment présente, ainsi que le Soudan et des chercheurs de la région des Grands Lacs. Selon Marloes Viet, la coordinatrice, les frais de participation ont pu être rédhibitoires, malgré les efforts.
Enfin, peu d’ONG locales ou internationales basées dans le pays étaient présentes. Quelques ONG internationales n’étaient représentées que par leur département de recherche ou via des projets menés en partenariat avec les universités (Concern Worldwide, Plan, Childline Zimbabwe, MSF/Crash, etc.), la conférence restant une rencontre à profil très universitaire.
L’IHSA, en effet, a été créée en 2009 par un groupe d’universitaires désirant confronter leurs objets de recherche et leurs méthodologies au sein d’une plateforme multidisciplinaire où ils pourraient se rencontrer et débattre, en se démarquant de leurs collègues des « development studies », beaucoup plus anciennes et plus structurées. « Nous étions un petit groupe et nous avions le sentiment qu’il n’y avait aucun espace, aucune communauté autour des recherches sur les crises humanitaires », explique le Pr Théa Hilhorst, membre fondateur de l’association récemment nommée présidente, et professeur d’aide humanitaire et de reconstruction à l’Institut des Sciences Sociales (ISS – Institute of Social Sciences) de La Haye.
Aujourd’hui, le réseau compte environ 500 membres engagés dans l’analyse des crises humanitaires dans des contextes de catastrophes naturelles, de conflits ou d’instabilité politique. L’objectif de l’association est « d’établir les études humanitaires comme champ de recherche, d’encourager la qualité des travaux et les interactions entre les académiques et les praticiens », déclare le Pr Dennis Dijkzeul. Pour l’atteindre, l’association s’est dotée d’une gouvernance internationale rassemblant des universitaires affiliés aux centres et instituts, notamment américains, britanniques, allemands, néerlandais et scandinaves, les plus réputés en matière de production de pensée et de publications. Fabrice Weissman, du Centre des Réflexions et Savoirs Humanitaires (CRASH) de MSF, est devenu le premier français membre du CA.
En conclusion, les organisateurs ont constaté une qualité croissante des contributions. Ils admettent cependant qu’en dépit de leurs efforts pour promouvoir l’évènement en Afrique, adapter les frais de participation et intégrer plus de collègues africains dans les tables rondes, le résultat n’a pas été à la hauteur de leurs espérances. « Nous devons discuter comment l’IHSA peut accompagner la structuration de la recherche en Afrique et de manière générale, dans les pays du Sud. Et cela devra être un effort sur le long terme ».
L’association et la conférence ont le mérite de rassembler les auteurs des rapports de référence sur l’aide humanitaire et les unités de recherche les plus dynamiques. Elle deviendra incontournable dans les années à venir si elle parvient à faire face à trois défis majeurs : celui de la diversité, celui des financements et celui de la distance sur son objet de recherche, qui est en lui-même une perspective construite et moins encline à attirer les sciences sociales des pays du Sud.
Afin de pérenniser son action, le réseau a l’intention d’améliorer la qualité de ses évènements et publications, notamment en attribuant une place plus large à la recherche du Sud. Il s’oriente vers l’organisation de groupes de travail thématiques, comme celui récemment lancé du film documentaire sur les crises humanitaires. « Nous espérons jouer un plus grand rôle sur le plan de l’enseignement sur les crises humanitaires en élargissant de plus en plus l’organisation elle-même ». Il reste à espérer qu’une prochaine édition parviendra, en intégrant plus de praticiens et de grands bailleurs portant une responsabilité importante dans le financement de la recherche fondamentale, à mettre en exergue que les crises humanitaires et le secteur humanitaire méritent une activité de recherche autant que tout autre secteur.
(1) Les études humanitaires ou humanitarian studies sont un champ de recherche interdisciplinaire récent qui étudie l’origine et les évolutions des crises, la manière dont elles influencent les personnes, les institutions et les sociétés, ainsi que les réponses qu’elles provoquent. Elles comprennent en cela l’étude de l’action humanitaire mais ne s’y limitent pas.
(2) World conference on Humanitarian Studies.
(3) L’African Center for Disaster Risk Management (ADCRM), partenaire de la WCHS, est abrité à l’Université d’Addis Abeba et la Commision Éthiopienne Nationale du Disaster Risk Management (NDRMC) est placée sous le bureau du Premier Ministre. Les deux institutions ont participé à la conférence.
(4) Le Kings College (Londres), le Humanitarian Policy Group abrité au Overseas Development Institute (HPG/ODI – Londres) et le Feinstein International Center de la Tufts University (FIC – Boston) se sont engagés dans un partenariat de 15 mois sur un projet de recherche intitulé “Planning From the Future: Crisis, Challenge, Change in Humanitarian Action.”