L’autorégulation des entreprises de sécurité privée est-elle suffisante pour faire respecter les normes du droit international ?

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Le nombre d’entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP) contractées par le Département de la Défense américain (DoD) afin d’intervenir sur les territoires en conflit n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Entre 2005 et 2010, les Etats-Unis ont engagé plus de 146 milliards de dollars dans des contrats passés avec des entreprises privées en Irak et en Afghanistan, élevant leur participation à 54% des forces américaines et faisant de ces deux conflits de réelles guerres privées. Il fallut pourtant attendre le scandale de Nisour Square, opéré par Blackwater Worldwide le 16 septembre 2007 au cœur de Bagdad, pour révéler aux yeux du grand public l’importance de la sécurité privée aux côtés des forces armées régulières.

Aujourd’hui, il serait bien difficile de définir une société de sécurité privée sans prendre en compte le large choix de services qu’elle fournit, ceux-ci allant du simple transport de matériel à la menée d’interrogatoire de prisonniers, à la planification stratégique et, parfois, au soutien dans les combats.

La privatisation dans le secteur de la sécurité n’est pas un phénomène nouveau. Elle s’est fortement accentuée dans les années 1990 pour finalement créer un véritable marché à destination des Etats mais aussi des organisations internationales, des ONG, des humanitaires et des acteurs privés. Cette intensification est le résultat de plusieurs paramètres confrontant la rationalisation des budgets de défense à l’augmentation de la demande sécuritaire et aux impératifs croissants d’expertise et de technicisation des forces armées. Les pays occidentaux ont également connu le fort développement d’une logique libérale qui a restreint les domaines d’intervention de l’Etat.

Une nécessité de régulation

Cette privatisation croissante a réalisé un changement inévitable dans les approches sécuritaires entrainant parfois d’indésirables conséquences. En 1999, DynCorp International est accusé de participer à un réseau de trafic d’armes en Bosnie ; en 2003 et 2004, CACI International est impliquée dans la torture de personnes incarcérées dans la prison irakienne d’Abu Ghraib ; au mois d’avril 2004, quatre employés de Blackwater sont mutilés et pendus à Falludjah. Le massacre de Nisour Square, opéré par cette même société quatre plus tard, a fini de consacrer la mauvaise presse dont les EMSP font l’objet depuis toujours.

On constate ainsi que la prise en charge des services de défense, légitimement étatiques, sur des zones de conflit à haut risque par des acteurs privés peut entraîner une confusion des genres sur les terrains altérant la confiance des populations locales et l’efficacité des opérations menées.

S’il est utopique de croire à un possible retour en arrière et à une réintégration totale des domaines régaliens de défense et de sécurité dans le giron purement étatique, l’ensemble de ces incidents soulignent néanmoins l’importance de considérer une régulation effective des EMSP et de leur personnel. Il existe déjà un certain nombre de textes nationaux et internationaux qui tentent à la fois de réguler ces acteurs privés et d’engager la responsabilité des Etats pour leurs actions.

Cependant, la régulation faite par les pays où les sociétés privées sont le plus présentes, ou qui ont connu des expériences particulières avec ces dernières, s’avère trop souvent incomplète et restrictive. Au niveau international, en théorie, le droit international humanitaire (DIH) doit être respecté par le personnel des EMSP.

Mais, en pratique, ce dernier est d’une nature trop variable pour tomber sous la coupe d’un des trois statuts reconnus par le DIH (mercenaire, civil ou militaire). Le problème de la régulation de la sécurité privée ne se pose alors pas tant en terme d’absence de régulation mais d’adéquation de celle-ci à la réalité du terrain et à la complexité de ses acteurs.

 L’initiative suisse

De nombreux rapports étatiques, conférences ou contributions académiques ont été écrits et organisés au sujet de cette nécessité de régulation. Les pays qui connaissent le phénomène (États-Unis, Royaume Uni, Afrique du sud) ont engagé des réflexions sur la question.

A Bruxelles, le think tank Security & Defence Agenda a récemment initié un débat sur les implications et les problématiques liées au phénomène des EMSP, en réunissant des acteurs issus de l’Union Européenne, de l’OTAN ou encore de différents gouvernements.

Enfin, à un niveau plus international, les Nations Unies ont également mis en place un groupe de travail sur les mercenaires qui traite de ces acteurs privés. Cette dernière approche associe le débat sur la régulation des EMSP à celui de l’interdiction des mercenaires, dont la définition juridique est bien plus restrictive.

En 2006, face au constat d’une stagnation du débat sur la problématique restreinte du mercenariat et face à l’inadéquation des textes existants, le Département Fédéral des Affaires Etrangères suisse, conjointement avec le Centre International de la Croix Rouge et le centre privé pour le Contrôle Démocratique des Forces Armées (DCAF), a initié une série de réunions multipartites afin de clarifier le statut des EMSP sur le plan du droit international.

L’objectif de cette initiative était de faire en sorte que seules les entreprises conformes au DIH et aux droits de l’homme soient autorisées à offrir leurs services dans les conflits armés. Elle n’avait nullement pour but de légitimer l’usage de ces entreprises ou de porter un jugement sur leur utilisation.

L’initiative suisse se fonde sur une double régulation. D’une part, elle entretient la conviction que la régulation des acteurs privés doit engager les Etats. En effet, puisque les Etats sont engagés dans l’externalisation des services de sécurité et dans l’emploi d’EMSP pour assister leurs forces armées, ils en sont de ce fait aussi responsables. Une réelle volonté politique de leur part est donc nécessaire. C’est ce que tente d’engager l’initiative suisse par le biais du Document de Montreux[1] ratifié en septembre 2008 par 17 Etats.

D’autre part, les participants à cette initiative se sont adressés aux EMSP elles-mêmes. Ainsi, en s’inspirant de codes de conduite existants dans d’autres secteurs, le Département des Affaires étrangères suisse et le CICR ont travaillé à l’élaboration d’un Code International de Conduite[2] pour les sociétés militaires et de sécurité privées (ICoC) fondé sur le principe de l’autorégulation. Ce document a été signé le 9 novembre 2010 par une cinquantaine de chefs d’entreprises de sécurité privées et par 266 aujourd’hui.

L’ICoC n’est pas le premier instrument d’autorégulation au sein de la sécurité privée, les EMSP ayant déjà établi des codes de conduite internes, des chartes de conduite au sein d’associations fédérales, comme l’ISOA[3] ou la BAPSC[4] ; et, enfin, lors de cadre opérationnel particulier comme en Irak, en Europe de l’Est ou encore au niveau de l’Union Européenne. Mais l’ICoC reste une nouveauté pour la sécurité privée puisqu’il a pour ambition de réguler ce secteur à un niveau global permettant ainsi de dépasser les lacunes nationales et l’enchevêtrement de codes trop nombreux.

 Le code de conduite,
un instrument de régulation complémentaire

Le principe des codes de conduite s’est progressivement répandu dans le domaine commercial. Aujourd’hui, la plupart des entreprises en ont élaboré, afin de répondre à une volonté de transparence et de meilleure gouvernance, et ce au nom d’une responsabilité sociale des entreprises (RSE).

Le code de conduite ne créé pas de nouvelles normes mais rappelle celles existantes tout en proposant des repères d’application concrets et adaptés en fonction de la taille de l’entreprise, de la spécificité des services qu’elle propose, de la discrétion de ses clients, de la sensibilité culturelle des acteurs touchés par ses actions, et, pour une EMSP, des terrains extrêmement changeants et instables sur lesquels elle opère.

Un code de conduite est fondé sur des normes d’autorégulation qui établissent des stratégies d’apprentissage et initient un cycle continu basé sur le triptyque « comprendre – associer – s’adapter ».

Les codes de conduite ne sont pas une fin en soi mais doivent prouver leur efficacité. Ils sont ainsi tenus d’agir comme des instruments normatifs contraignants anticipant, pénalisant et réparant les éventuels abus commis par les EMSP et leur personnel.

Ainsi, même si l’établissement de ces principes est volontaire, leur implantation et leur contrôle sont régulés par des normes contraignantes dont la violation entraîne des conséquences pénales et civiles. Pour ce faire, l’ICoC prévoit la mise en place d’organes de surveillance indépendants et multipartites effectuant la vérification régulière en interne et en externe de l’adéquation des EMSP et de leur personnel aux principes énoncés par le code. En cas de non respect de ces codes, l’article 66 de l’ICoC exige des EMSP qu’elles mettent en place un système de dépôt de plaintes accessible à tous et proposant des réparations satisfaisantes.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier l’importance des codes de conduite comme « outil diplomatique » présentant les EMSP qui s’en dotent comme des partenaires fiables. Le secteur de la sécurité privée est un marché qui fonctionne comme les autres. Ainsi, l’impact du respect des codes de conduite dans les cercles directs de ces entreprises (associations, partenariats, clients) agit comme un régulateur naturel garantissant la volonté des EMSP de les respecter afin d’éviter leur marginalisation sur le marché.

Toutefois, au-delà des apports majeurs d’une telle régulation, Jean-Christophe Graz explique que « l’univers de la normalisation internationale est en proie à un antagonisme profond, qui oppose les partisans d’une socialisation des normes internationales à ceux d’une mondialisation des normes marchandes ». Ainsi, la diffusion des codes de conduite et de leur logique de profit dans un secteur si particulier qu’est celui de la sécurité pose la question de la compatibilité entre la culture commerciale, inhérente aux EMSP, et les objectifs de sécurité, de paix et de développement des théâtres d’opérations dans lesquels elles interviennent. Il reste alors primordial de veiller à contrôler la diffusion trop importante de la culture d’entreprise au sein des secteurs militaire et humanitaire avec lesquels les EMSP interagissent.

Finalement, l’externalisation des fonctions gouvernementales dans la sécurité ne signifie pas que les EMSP exercent légitimement à la place des Etats. Les décisions stratégiques et politiques antérieures à l’intervention de ces acteurs privés sur un territoire en conflit ne peuvent être privatisées. De plus, le partage informationnel et la mise à niveau des puissances sécuritaires entre les Etats est le seul moyen, aujourd’hui, de contrer des mouvements diffus comme le crime organisé ou le terrorisme. Les Etats répondent ainsi à des exigences de coopération avec les autres entités étatiques au sein d’organisations internationales ou de forums ponctuels. Voici un domaine de la sécurité qui ne peut être externalisé.

 

[1]http://www.eda.admin.ch/etc/medialib/downloads/edazen/topics/intla/humlaw.Par.0058.File.tmp/Montreux%20Document%20%28f%29.pdf
[2]http://www.icocpsp.org/uploads/INTERNATIONAL_CODE_OF_CONDUCT_Final_with_Company_Names_-_FRENCH.pdf
[3] International Stability Operations Association
[4] British Association of Private Security Companies

Marie-Amélie Clopès

Marie-Amélie Clopès

Marie-Amélie Clopès est actuellement étudiante en master 2 de « Sécurité, Défense et Stratégie » à Sciences Po Lille. Elle a rédigé un mémoire sur la régulation de la sécurité privée sous l’angle de l’initiative suisse et du principe d’autorégulation.