Le sommet de la Francophonie à Kinshasa a été l’occasion de parler de beaucoup de choses, mais pas de l’utilité de la langue française dans un monde qui court à sa perte. Dommage.
Le monde dans lequel nous voulons vivre, il faut le modeler maintenant. Depuis dix ou vingt ans, les mutations sont rapides. La parole publique est confisquée par les menaces venues de toutes parts: les croyants face aux infidèles, les riches face aux pauvres, le Nord face au Sud. L’argent brûle, les villes se raidissent, les religions hurlent. La Francophonie est une vieille lune.
De nouvelles et grandes puissances ont émergé. Dans ce temps d’hystérie de l’argent et des religions, la Russie tartarinne, la Chine se goinfre, l’Iran agresse. A l’abri derrière leurs océans, les Etats-Unis haranguent, seuls dans leur désert lointain. Le Brésil, l’Inde, Israël, les monarchies du Golfe et les autres complotent, s’enrichissent, pactisent. L’Europe, elle, s’effondre lentement, paralysée sur son lit d’hôpital, en s’efforçant de se convaincre que ce n’est qu’une grippe. Les djihadistes portent des Nike, les libertaires des hidjabs. Les dévots se payent des prostituées et les libertins sont végétariens. Tout a changé si vite !
Et dans ce monde-là, les Français laisseraient l’information sous le contrôle exclusif des mastodontes des Etats-Unis, du Qatar, du Royaume-Uni, de l’Iran, de la Russie ? On laisserait la parole collective, le récit du monde, le miroir du présent à CNN, al-Jazira, la BBC, Press-TV ou Russia Today ?
L’information coûte cher, c’est vrai. Mais a-t-on réfléchi aux bénéfices que notre temps pourrait tirer d’une gestion un peu sérieuse de « l’audiovisuel extérieur de la France », comme on dit ? Après plusieurs années de souffrance aiguë, on essaye une nouvelle thérapie, nous dit-on. Tant mieux. Car l’état de l’entreprise est désastreux. Les rédactions sont saignées, on fait tourner des services à trois ou quatre, les placards sont pleins de gens tristes, les directoires occupés par des marquis terrorisés. Quel gâchis !
Prendre la mesure des dangers
En négligeant ses services publics, dont celui de l’information, que le gouvernement français prenne bien la mesure des faiblesses qu’il s’inflige à lui-même et des dangers auxquels il s’expose… Chez les pauvres, il ouvre la porte aux mafias. Dans les provinces, il fait disparaître la nation et, avec ses marqueurs, le respect qui lui est dû. Et dans la sphère de l’information, il laisse un boulevard aux idéologies des Titans et aux pitreries de leurs montreurs d’ours qui, dans ce monde qui se prépare à la guerre, n’ont d’autres intérêts que leur propre survie, nous le savons.
Il faut mettre le pied dans la porte maintenant et éviter que l’information nous soit confisquée. Avec leur belle langue, parlée dans tant de recoins splendides du monde, avec des journalistes à qui on ne demanderait plus d’imiter les autres, les Français pourraient pourtant occuper une place à part, dans la cacophonie des radios et des télévisions en anglais et en arabe. Ceux qui voudraient trouver des visages calmes, de la profondeur et de l’inédit viendraient vers eux. On serait assuré de trouver des journalistes qui ont enfin le temps et les moyens de raconter le monde tel qu’il va, et non tel que les chefs le commandent.
En allumant sa radio ou sa télévision, on saurait que les Français, au moins, ont tiré les leçons de l’histoire et qu’ils sont résolus à ne pas obéir à des maîtres, à ne pas cacher la vérité à leurs amis et à parler à tous avec l’élégance de la sincérité. On apprendrait leur langue pour accéder à cette rareté. Les médias des Français offriraient au monde un regard neuf, délivré des hystéries à la mode et des courses au podium. On serait sûr de ne pas y être embrigadé. On y trouverait ce qu’on ne trouve pas ailleurs, parce que seuls les Français auraient conjugué l’honnêteté et des moyens. On réaliserait cette profession de foi d’Albert Camus selon laquelle il vaut mieux, pour un journaliste, être le dernier à dire la vérité que le premier à raconter un mensonge. Ce monde désemparé respirerait enfin, grâce à la francophonie.
Léonard Vincent
Il est l’auteur du récit « Les Erythréens » paru en janvier 2012 aux éditions Rivages.
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