Les cinquante ans du documentaire en Algérie : mémoire collective vive

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Le 5 juillet 2012, l’Algérie fêtera le cinquantenaire de son indépendance. Ce sera l’occasion de convoquer les images qui témoignent de plus d’un siècle de colonisation. Déjà, on assiste à un étalage de photographies, fictions, reportages et à une profusion d’émissions télévisées.

Le documentaire a toujours occupé une place privilégiée dans ces célébrations tant il est riche en informations et représentations. Il est aussi riche que l’est l’Algérie en cultures et histoires. Nous proposons de revenir sur le parcours du documentaire en Algérie pendant ces cinquante dernières années.

 Retour aux origines : la première guerre des images

Les premières images algériennes à caractère documentaire sont nées dans les maquis de l’Armée de Libération Nationale (ALN) en 1957. Participant à une véritable guerre des images censée contrer la propagande coloniale, elles sont connues sous le titre « Embuscade entre EI-Arrouch et Azzaba » montrant une embuscade filmée en 1956. Ces images avaient pour but de participer à la guerre contre la France coloniale mise face à la légitimité du combat des Algériens pour leur liberté ; un combat que le monde entier devait connaître. D’autres productions marquantes ont eu lieu en pleine guerre. Parmi elles, L’Attaque des mines de l’Ouenza, Les infirmières de l’ALN, Les réfugiés, en 1957. En 1961, il y a eu L’Algérie en flamme, Sakiet Sidi Youcef, Djazaïrouna, Les fusils de la liberté, J’ai 8 ans, La voix du peuple, Allons z’enfants pour l’Algérie et Yasmina. Un véritable front de guerre était ouvert : le front des images qui a mobilisé des militants courageux comme Djamel-Eddine Chanderli, Ahmed Rachedi, René Vautier, Yann Le Masson, Pierre Chaulet, Pierre Clément, Cécile de Cujis, Karl Gass, Mohamed Lakhdar Hamina et Stevan Labudovic.

A l’aube de l’indépendance, le pouvoir algérien a considéré le cinéma comme un domaine réservé[1]. Il a ainsi encouragé la production d’une image de valeur documentaire et didactique qui seront en fait des films nationalistes louant l’héroïsme du peuple algérien pendant la lutte de libération. Entrant dans ce registre, quelques films sont restés célèbres comme Les fusils de la liberté (Djamel Chanderli et Mohammed Lakhdar-Hamina), L’Aube des damnés (Ahmed Rachedi) et Peuple en marche de René Vautier. Ces documentaires devaient dessiner et confirmer le rapport que les Algériens étaient attendus avoir avec la guerre d’indépendance[2]. Des fictions documentarisées ont aussi été réalisées dont La Nuit a peur du soleil par Mustapha Badie (1963), Une si jeune paix par Jacques Charby (1964), le célèbre Vent des Aurès de Mohamed Lakhdar-Hamina (1966) et Des faits et des faits d’Azzeddine Meddour (1990).

 Silence, on ne tourne plus

Après l’indépendance, l’Etat algérien a pris le monopole de la production cinématographique, à travers trois organismes : l’Office d’actualités algériennes (1963), la Cinémathèque d’Algérie (1964) liée au Centre National de Cinématographie (CNC) rebaptisé Office National du cinéma et des industries cinématographiques (ONCIC). Si la production était soutenue les premières années de l’indépendance, à partir de 1970, la production de films révolutionnaires recule, cédant la place à des films abordant des thématiques sociales. Les cinéastes se penchent alors sur le quotidien des Algériens, comme dans la fiction Omar Gatlato de Marzek Elouache (1976). La femme, peu représentée au cinéma dans les années 60 (on notera une exception : Elles de Ahmed Lallem), est devenue l’un des thèmes majeurs avec notamment Leïla et les autres, réalisé par Sid Ali Mazif en 1977. Cependant, le système socialiste de l’époque continuait à se servir du documentaire pour mobiliser la société derrière ses projets. Il y a eu par exemple des films ruraux de fiction sur la Révolution agraire. Pour ne citer que les plus marquants : Le retour de Ben Omar Bekhti en 1979, Le charbonnier de Mohamed Bouamari et Noua d’Abdelaziz Tolbi en1972. Le thème de la guerre d’indépendance n’était pas occulté complètement puisque les documentaristes étaient aussi appelés à « réaliser des films de conception, articulés, construits, illustrant les combats d’hier contre l’envahisseur et la construction du pays[3] ».

L’Algérie a longtemps été la capitale des artistes. Durant les années 70, les réalisateurs se donnaient rendez-vous à Alger devenu un haut-lieu culturel. Mais le cinéma, qui a contribué à construire cette image du pays, va peu à peu s’éteindre dans les années 1980, particulièrement après la dissolution de l’ONCIC en 1984[4]. La même année, l’Etat décidait de ne plus financer les réalisations filmiques. La gestion des salles de cinéma est confiée aux communes provoquant leur fermeture quasi-systématique. La crise du cinéma algérien s’est aggravée dans les années 90 où les artistes et les intellectuels étaient devenus des cibles de choix pour les intégristes. Ces derniers ont même imposé la fermeture des salles de cinéma survivantes comme ce fut le cas à Bordj Bou-Arréridj[5].

Pendant cette tragédie, les cinéastes prennent la voie de l’exil. A l’étranger, essentiellement en France, ils réalisent des films de fiction et des documentaires destinés à la communauté algérienne et maghrébine immigrée. Dans ce contexte, Yamina Benguigui marque le parcours du documentaire algérien avec, en 1997, son chef d’œuvre intitulé Mémoires d’immigrés. L’héritage maghrébin, un film en trois volets – « Les pères », « Les mères » et «Les enfants ».

Dans la même décennie, des réalisateurs français s’intéressent à la guerre d’Algérie. En moins de six mois, plusieurs documentaires sont diffusés sur les chaînes françaises. Il y a eu notamment la série Les Années algériennes de Benjamin Stora, diffusée en octobre 1991 en quatre volets sur Antenne 2, La Guerre sans nom de Bertrand Tavernier et Patrick Rotman, en février 1992, et Les Frères des frères de Richard Copans, diffusé en mars 1992[6].

 La renaissance du documentaire algérien ?

En entrant dans le troisième millénaire, l’Algérie retrouve un peu de sérénité et de sécurité. Cela favorise une certaine renaissance du cinéma algérien qui se veut désormais ambitieux et bourré d’espérance. Il est encouragé par la récente réhabilitation des salles de cinéma et par des manifestations internationales comme l’« Année de l’Algérie en France » en 2003 et « Alger, capitale de la culture arabe » en 2007.

Ces dernières années, des réalisateurs algériens retournent dans leur pays afin d’y réaliser leurs documentaires. Des chefs d’œuvres passionnants en sont nés : Algérie de De Gaulle et la bombe de Larbi Ben Chiha (2010) et Le vent du sable (2008) consacrés aux conséquences des essais atomiques français dans le Sahara, précédés par Gerboise bleue de Djamel Ouahab. Après le succès mondial de sa fiction documentarisée Barakat, Djamila Sahraoui réalise Algérie la vie toujours et Algérie la vie quand même. D’autres réalisateurs se réservent exclusivement aux documentaires. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute Malek Ben Smail, l’auteur d’Aliénations, Algérie(s) en deux volets (« peuple sans voix » et « terre en deuil ») réalisé avec Thierry Leclere et Patrice Barrat, Boudiaf, un espoir assassiné et enfin La chine est encore loin tourné dans l’Aurès.

Aujourd’hui, le documentaire continue à interroger la guerre d’Algérie et la Décennie noire des années 90. Les préoccupations et le désespoir de la jeunesse ressortent comme un leitmotiv chez les réalisateurs cités et d’autres, de plus en plus nombreux,  amateurs. Autre sujet de prédilection : les documentaires biographiques. Beaucoup ont été consacrés à d’illustres artistes algériens come la chanteuse H’nifa, le journaliste et écrivain Tahar Djaout, les romanciers Kateb Yacine et Mouloud Feraoun…

A noter, la femme occupe une place centrale dans la nouvelle vie du documentaire algérien. Elles sont à l’origine de nombreux travaux d’une grande qualité. Parmi elles, il y a Nadia Cherabi (Fatima El Haouta), Nadia Bouberkas (Li fet mat [Le passé est mort]), Fouzia Fekiri (Algérie, regards de femmes), Mounia Meddour (Cinéma algérien, un nouveau souffle)…

Ces œuvres et d’autres, toutes aussi audacieuses, soulèvent des questions importantes pour l’avenir du pays,  son histoire coloniale, la terreur des années 90, ses cultures, ses territoires… Les documentaristes, pour faire connaître leur travail, organisent des rencontres et des projections dans les villages, les écoles et les universités. Des sessions de formation sont aussi ouvertes pour palier l’absence de formation universitaire dans ce domaine et initier les jeunes générations à prendre, à leur tour, la caméra pour dire en images leurs préoccupations.

 

[1] Abdelmadjid Merdaci, « La guerre d’Indépendance. Entre le mentir vrai en noir et blanc et une distanciation en couleur. Esquisse de lecture critique d’un procès de refoulement », actes du colloque international Image, imaginaire et histoire : Procédés d’écriture et représentations idéologiques, Sétif, 12-13 janvier 2008, p. 33.
[2] Benjamin Stora, Imaginaires de guerre. Algérie-Viêt-nam, en France et aux Etats-Unis, Alger, Casbah Éditions, 1997, p. 205.
[3] Mohamed Bensalah, « Genèse et évolution du film documentaire en Algérie », dans le colloque-projection Le documentaire algérien objet de patrimoine national ?, Université Paris 8, 9-10 mars 2012.
[4] Dominique Auzias, Jean-Paul Labourdette, Le Petit Futé Alger, Paris, 2009, p. 68.
[5] Salah Eddine Layachi, Le cinéma, un espace défini.
[6] Benjamin Stora, op. cit., p. 255.

Khedidja Oulm

Khedidja Oulm

Khedidja Oulm est chercheuse au laboratoire Paragraphe équipe CITU. Paris8

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