Le 22 mars 2012 des mutins de l’armée malienne, basés à Kati dans les environs de Bamako, montent au palais de Koulouba et prennent le pouvoir pour, disent ils, «mettre fin à l’incompétence (entendez incapacité)» du président Amadou Toumani Touré (ATT) à lutter contre la rébellion touareg qui, non seulement a pris les villes du Nord (Aguelhok, Tessalit), mais en plus aurait été coupable d’atrocités sur leurs camarades désarmés.
Le 08 avril 2012, sous la pression de la communauté internationale conjuguée à l’avancée fulgurante de la rébellion indépendantiste Touareg du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) – et Ansar Dine allié à Al Qaeda pour le Maghreb Islamique (AQMI) -, les mutins rendent le pouvoir aux civils.
Comment le Mali en est-il arrivé là ?
Sans remonter plus loin dans l’histoire et aller aux origines de la rébellion touareg, on observe que depuis novembre 2010 et la rencontre de Tombouctou avec la création du Mouvement National de l’Azawad qui a appelé à un élan de solidarité des Azawadis installés au Mali et à l’étranger, un premier signal était donné au pouvoir central de Bamako de ce qui sera par la suite la série de d’attaques ayant abouti à la prise du Nord.
En effet, malgré de très nombreux signaux au cours des deux dernières années, le Président malien semblait s’installer dans un déni permanent quand il ne se réfugiait pas derrière d’autres arguties : pas question de laisser croire à l’insécurité, pas question non plus de laisser l’opinion nationale pointer du doigt la communauté touareg qui ne peut être tenue responsable des agissements de quelques éléments égarés. L’enjeu est de continuer à donner l’image d’un pays stable et sûr, notamment pour maintenir l’activité touristique dont l’essentiel s’effectue en territoires touareg et Dogon. Alors que des Islamistes sont en train de faire de la forêt de Wagadou une espèce de base retranchée presque fortifiée.
Le refus du président ATT de s’engager dans la lutte contre l’Aqmi et son soutien à Kadhafi ont fini par rendre son pouvoir moribond. Il paye cash.
En effet, la chute du régime de Kadhafi s’est traduite pour les pays de la sous-région sahélienne par le retour dans leurs pays d’origine de près de 400 000 personnes, selon un rapport de l’ONU publié en fin janvier 2012. Le nombre des ex-combattants dans l’armée libyenne rentrés au Mali est estimé par les autorités de ce pays entre 2000 et 4000 personnes. Leurs représentants ont été reçus en haut lieu.
Le coup d’Etat du 22 mars apparaissait comme une œuvre salvatrice pour une frange de la population qui vivait mal les revers de l’armée et représentait aux yeux de ces derniersl’opportunité de mettre de l’ordre dans le Nord du pays et de rétablir la sécurité et l’intégrité territoriale du Mali. La découverte de la réalité des choses mettra fin aux illusions de la junte putschiste et de cette partie de la population malienne.
En l’absence d’une armée opérationnelle dont des insurgés disputent le pouvoir aux civils à Bamako, laissant les rebelles asseoir leur emprise jour après jour, une intervention étrangère armée semble peu probable même si la CEDEAO laisse entrevoir le contraire.
Le double jeu de Mohamed Ould Abdel Aziz
Vu de Bamako, le soutien du président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz à la rébellion touareg ne fait aucun doute. Outre le fait d’héberger des éléments du MNLA, il utiliserait ses deux généraux, passés maitres dans l’art de la répression à l’intérieur et de la déstabilisation à l’extérieur, pour conseiller, aider et manipuler cette rébellion dont des responsables auraient pignon sur rue à Nouakchott. On cite les généraux mauritaniens Hadi et Meguette.
La Mauritanie qui a eu à faire face à des actions de terrorisme sur son territoire a souvent poursuivi, au nom du droit de poursuite que le président Touré aurait accordé aux pays voisins, dits du champ, jusqu’en territoire malien, des éléments qu’elle considérait comme responsables, organisés et installés dans ce pays. De plus, le président Mohamed Ould Abdel Aziz demeure convaincu que les autorités maliennes préféraient fermer les yeux devant la présence sur leur sol, en forêt de Wagadou, au Nord-Ouest du Mali, des Islamistes tant que ceux-ci ne s’attaquaient ni aux populations maliennes ni aux intérêts et symboles de l’Etat, au risque de laisser la partie Nord du pays devenir un sanctuaire pour le mouvement intégriste bien présent sur le territoire malien et prêt à combattre avec ou à côté des Touareg.
La répétition de ces opérations pose questions :
– Quelle légitimité fonde cette action ?
– Comment une armée étrangère (la mauritanienne) peut-elle pénétrer dans un territoire souverain (le Mali) sans l’aval des autorités de ce pays ?
– ATT aurait il sous-traité la sécurité dans le nord de son pays ?
Quel que soit le résultat des opérations conduites par l’armée mauritanienne, elles apparaissent comme un signalement, voire un coup d’envoi pour les forces rebelles qui n’attendaient qu’à en découdre avec le régime de Bamako.
Désormais c’est sur la place publique que les représentants Touareg et Lebrabiches (maures blancs ou arabes maliens) se réunissent qui à Nouakchott, qui en congrès début juin à Nbeïket Lahwache, localité située 1 200 km à l’Est de la capitale, en vue de créer un cadre d’action, assurer une coordination et affiner du moins une stratégie en tout cas une vision politique n’excluant pas des actions militaires à engager. Les uns et les autres espèrent, voire affichent même l’appui et l’implication des autorités de Nouakchott.
Mohamed Ould Abdel Aziz qui s’était fixé comme objectif de lutter contre la mouvance islamiste d’AQMI a-t-il réussi son pari ? Bien sûr que non. Il a participé au démembrement du Mali, c’est certain. Il a, maintenant, le long de la frontière Est de la Mauritanie, un futur possible Etat islamiste, refuge de tous les Djihadistes du monde. Cet « Aqmiland » constitue désormais une menace pour son propre pouvoir et un risque de déstabilisation permanent pour toute la sous-région.
La France soutient-elle les rebelles ?
Pendant que la situation politique et militaire se compliquait pour le régime du président ATT, la diplomatie française s’activait tous azimuts, même si l’on peine à savoir réellement pour quelle(s) fin(s).
Le ministre français de la Coopération, Henri de Raincourt, en visite en février 2012 à Alger, Niamey, Bamako et Nouakchott, a expliqué la position de la France sur la crise au Nord Mali en exprimant « le souhait que l’unité et l’intégrité du Mali soient préservées, que les élections puissent avoir lieu comme prévu et qu’un cessez le feu soit rapidement instauré, afin d’entamer un dialogue avec tous les acteurs ».
Son homologue des Affaires étrangères, Alain Juppé, approchait des responsables de la rébellion installés dans l’Hexagone et présentait la situation intérieure malienne devant la représentation nationale française. Il n’hésite pas à dire l’inquiétude de la France «devant le péril islamiste qui va de la Libye jusqu’au Nigéria » et pour laquelle il faut une réponse régionale.
A l’en croire, le MNLA bénéficierait du soutien de la France de Sarkozy. Le Président de son bureau politique, Mahmoud Ag Aghaly, s’est en effet fendu d’un communiqué depuis Ménaka le 08 février 2012, dans lequel on peut lire : «le MNLA exprime ses vifs remerciements aux Autorités Françaises pour l’intérêt qu’elles accordent à la révolution du peuple de l’Azawad ». Le bureau politique exécutif, salue l’initiative de la France, telle exprimée par son Ministre des Affaires Etrangères, son Excellence Alain Juppé face au Sénat Français ce mardi 07/02/2012, soutenant que « la question de la révolution du peuple de l’Azawad, mérite d’être traitée au fond pour une issue définitive, étant donné que militairement, le Mali a échoué face aux combattants du MNLA. (…..) ». … Le MNLA accueille ouvertement le soutien de la France pour la recherche d’une solution durable et définitive de cette crise ».
Au Mali, l’opinion est convaincue de ce soutien. le FORAM, pourtant pas tendre avec le régime d’ATT, souligne que « …la France espère obtenir de la future République Laïque et Démocratique de l’Azawad ce que le président malien Amadou Toumani Touré n’a pas su ou pas voulu lui accorder : la base de Tessalit hautement stratégique au plan économique et militaire ; de la fermeté dans la lutte contre l’émigration clandestine et Al Qaeda au Maghreb ».
François Hollande, le président français fraichement élu, poursuivra t-il la politique de « soutien » de son prédécesseur à la rébellion Touareg ? Comment conciliera-t-il la libération des otages français encore détenus dans le désert malien, qu’il faut en tout état de cause rechercher, et le respect de l’intégrité territoriale de ce pays, qu’il faut préserver ?
Les inquiétudes des Mauritaniens
Outre, les risques de contagion en termes de sécurité et de déstabilisation, Mohamed Ould Abdel Aziz apparait désormais comme l’homme fort de la sous-région et le meilleur ami de Paris.
Notre armée, même si elle a renforcé ses capacités de frappes aériennes et au sol avec la commande de nouveaux avions, peut elle faire face a un adversaire mobile, déterminé et fanatisé ? Elle risque un embourbement. Qui paiera la facture, forcément lourde, de cette guerre alors que la famine menace une fois plusieurs milliers de nos concitoyens ?
Si la situation actuelle du Mali se maintenait, ce qui constitue aujourd’hui une frontière entre nos deux pays, pourrait ne plus l’être. La nouvelle géopolitique pourrait avoir des conséquences multiformes. La base de la revendication indépendantiste étant identitaire (Touareg), que deviendraient les milliers de Songhaï, Arabes, Peulh, Bamanan et autres minorités enracinées depuis des siècles dans cette partie du territoire malien ? Plus généralement, la porosité de nos frontières Est et Nord et le développement d’activités de trafic de tous genres dont cette partie est jusque-là le théâtre constituent une source d’instabilité sérieuse pour les populations des Hodhs et de l’Assaba, ainsi que pour leurs activités productives d’agriculture et d’élevage.
L’enseignement ultime à tirer de cette situation pour nous Mauritaniens, est que dans un pays multiracial, il faut prendre en compte les revendications légitimes des différentes composantes au risque de les voir ressurgir plusieurs dizaines d’années plus tard.
La Mauritanie ne joue-t-elle pas avec le feu ? Ne risque-t-elle pas de favoriser la naissance d’une revendication séparatiste dans la partie Est de son territoire, le Hodh, dont les liens culturels, historiques, sociologique et économiques sont très forts avec le Nord-Mali ?
Pour le cas malien comme pour la Mauritanie, la prise en compte des intérêts de l’ensemble des populations à travers une véritable politique qui mette en valeur les ressources et les spécificités de chacune des parties semble être le meilleur rempart. Cette situation rappelle la nécessité impérieuse d’une véritable décentralisation dont l’objectif recherché est le développement des collectivités territoriales, accordant une large place à la gouvernance locale.
Ciré Ba, Boubacar Diagana
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- Mohamed Ould Abdel Aziz, l’Azawad et la sous-région – 4 décembre 2012