Stratégie média, groupes-cibles et tueurs cupides

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Les vidéos de leurs otages filmés et postés sur YouTube par les kidnappeurs du monde entier participent au triste monde du spectacle. Que faut-il en faire ? Au moins reconnaître que c’est du show-business avec un vernis pervers.

Au Mexique comme au Nigeria, au nom du fanatisme de l’argent ou d’un Dieu quelconque, les assassins de tous acabits ont désormais leur « dircom ». Pour perpétrer leurs crimes, ils ont des « médias planning », des « supports de référence » et des « déclinaisons ». Un texte publié sur un site ami, une séquence audio envoyée à un média de masse, un clip posté sur YouTube. Ils ne sont pas coupés du monde, ils le connaissent très bien.

C’est à dessein que nous ne proposons pas ici le lien vers une quelconque plateforme pour visionner cette vidéo de trois minutes, où l’on voit les otages français et leurs enfants sous la menace de la secte Boko Haram. Un décor de fou, de Dieu ou d’autre chose… Ce serait simplement ridicule si les zozos n’agitaient pas une AK 47 sous le nez des mômes et de leurs parents, en parlant de les égorger.

Pas d’images réellement et pas d’histoire. Combien de grandes ignominies sont jugées « trop compliquées » parce qu’on ne peut rien en montrer au 20 heures ? Dans ce pauvre monde agité, le marketing sert à tout, à la mendicité et à la production de l’inutile, mais aussi à l’ultra-violence. Les gangsters font du storytelling, comme les autres. Les jihadistes veulent être célèbres, eux aussi. Ils déplient les bannières des grandes occasions, rajustent leurs turbans, règlent les lumières. A ce titre, les vidéos de leurs proies sont d’ignobles communiqués de presse.

Pourquoi donc se poser la question de savoir ce que les médias devraient en faire ? Chacun jugera de la pertinence éditoriale de ces objets. Mais au moins devra-t-on simplement les traiter pour ce qu’ils sont : des outils de communication au service d’une entreprise. C’est le monde brutal et factice dans lequel nous vivons.

Pour s’en convaincre, voici le détail qui tue. En prenant connaissance de la vidéo postée l’autre jour par les kidnappeurs de la famille française enlevée au Cameroun, il a fallu supporter, avant sa diffusion, le spot de publicité imposé par les turlurons de YouTube. Il me semble que c’était pour une grande marque française d’automobile, dont le dircom ne demandait sans doute pas tant. Son spot publicitaire passait alors pour une sorte de rémora embarrassant se nourrissant sur le dos d’un Jabba le Hutt à barbe longue.

Et dans cette comédie de masques et ce jeu de rôles, les tueurs cupides ont le culot de se faire passer pour des moines-soldats. Mais les victimes sont pour eux des objets sans importance, des untermenschen fort lucratifs. Qu’ils tentent de faire croire qu’ils agissent au nom de la morale est juste le « spin » qui n’est avalé que par les imbéciles. A l’opposé, les gouvernements visés sont la concurrence, dont ils cherchent à grignoter les parts de marché.

La société du spectacle prospère aussi dans le Sahel.

 

 

 

 

 

 

 

 

Léonard Vincent

Léonard Vincent

Léonard Vincent est journaliste, ancien responsable du bureau Afrique de RSF.
Il est l’auteur du récit « Les Erythréens » paru en janvier 2012 aux éditions Rivages.

Léonard Vincent

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