«Ne tirez pas ! J’ai mon t-shirt…»

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On peut partir en mission pour mille et une raisons, rapport à sa vie du moment. On se dit que c’est un bon moyen de voyager tout en ayant la possibilité de donner une utilité et un sens à sa vie quotidienne. On se dit qu’on va aider, et c’est vrai, concrètement, on aide, dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l’amélioration de la vie de gens dont le monde se fout ouvertement. On y va.

Et c’est bien toutes ces bonnes volontés réunies qui effectivement, participent à la construction d’une solidarité internationale réactive, efficace et généralement pertinente. Puis on se professionnalise de missions en missions, et alors on réalise qu’au-delà d’être devenus des acteurs de l’aide internationale, on est aussi, peut être malgré nous, devenus des acteurs du jeu politique international. Il n’y a pas d’humanitaire professionnel aujourd’hui qui n’ait pas conscience de faire partie d’un jeu d’échec planétaire, où les bénéficiaires de l’aide d’hier sont ceux d’aujourd’hui et sans fatalisme facile, seront certainement  encore ceux de demain.

On ne peut plus être humanitaire aujourd’hui sans avoir conscience des enjeux politiques inhérents aux causes et conséquences de l’apport de l’aide internationale dans un pays. Cela inclus également une certaine acceptation du risque, on part en connaissance de cause, et on signe en faisant confiance en son logo.

Car on ne part pas non plus en mission pour se faire kidnapper. On peut se former à la gestion de la sécurité en mission humanitaire… Pour se faire, on peut s’exercer à la simulation de prises d’otage avec l’armée française à Bioforce, ou encore apprendre à tirer au fusil (pour se défendre) à l’école des 3A … (sic)

Mais enfin au final, concrètement, face aux kalachnikovs des belligérants, on a bien conscience que ce qui importe, c’est la valeur du logo sur notre t-shirt. Plus il sera reconnu et admis par le plus grand nombre, plus notre sécurité sera respectée. Plus l’espace de travail dans lequel nous sommes implantés aura été négocié par l’organisation, plus la sécurité des acteurs humanitaires sera assurée. Plus l’indépendance de l’ONG vis-à-vis des politiques d’Etats sera admise par les belligérants, plus l’accès aux populations bénéficiaires sera facilité. Car c’est bien là tout l’objectif.

La sécurité du personnel humanitaire est un axe à prendre en compte pour la bonne marche de l’action humanitaire. Mais cette vision de défense d’un espace neutre, pour sa crédibilité future, ne doit pas se faire sans une clarification des rôles de chacun, et particulièrement sur la séparation des entités militaires et humanitaires. Lorsque ce travail de négociation d’espace «neutre» n’est pas, ou mal, défini en amont, ou pire, lorsqu’il est ouvertement mis à mal par certains responsables d’états en mal d’utilité politique, alors, le risque pour les travailleurs de terrains d’être utilisés à des fins politico-crapuleuses est démultiplié.

Car la plus grande force d’un acteur humanitaire en contexte de conflit armée, c’est justement le fait de lui, n’être pas armé. Si on lui enlève l’autocollant «no weapon», et qu’on l’arme, même (surtout !) pour sa défense, l’humanitaire cesse tout simplement d’être considéré comme tel, neutre et acteur de l’aide d’urgence. Il ne peut donc aider les populations en difficultés car il est devenu, aux yeux des gouvernants, mais aussi aux yeux des populations elles mêmes, un acteur économique et politique, avant tout.

Il est alors, presque légitimement, en droit d’être kidnappé.

La frontière est mince entre actions humanitaires indépendantes, efficaces et pertinentes et organisations de type militaro-commerciales à but indirectement lucratif. Le donateur n’y voit pas toujours très clair, et ceci participe à la confusion des genres.

Pour la sécurité du personnel humanitaire certes, mais surtout pour un meilleur accès aux populations les plus en souffrance, il est essentiel de clarifier les rôles de chacun, en mettant en avant avec la  transparence nécessaire, l’essentielle indépendance vis-à-vis des politiques d’Etats.

Cette sensibilisation doit se faire à l’échelle locale, nationale et évidemment, internationale. L’implantation d’une ONG dans un pays ne passe pas sans une négociation avec les acteurs nationaux, et ceci est, finalement, assez normal. A nous, ONG de mettre en avant l’indépendance politique et la neutralité nécessaire à la mise en œuvre des programmes, afin d’être réellement considérés comme des pompiers de l’urgence et non comme les petits pions d’un quelconque roi.