Accès aux toilettes en Inde, un enjeu de genre dans les bidonvilles

0
291
journée des toilettes en inde
© AFP PHOTO / Roberto SCHMIDT, 18/11/14.

Nous allons ici nous intéresser à un des deux thèmes qui sont à la fois des indicateurs de Développement, des sujets-objets de projets de solidarité internationale, d’appels par les bailleurs de fonds (banque mondiale, FMI, instances diverses et variées de l’ONU, etc.), mais aussi reconnus comme des entraves du quotidien pour les femmes des pays en développement et principalement pour celles résidantes d’espaces urbains paupérisés, particulièrement de bidonvilles : Il s’agit de l’accès aux toilettes pour les femmes des bidonvilles.

 

Accès aux toilettes et à l’assainissement pour tous :
entre croisade et désenchantement

« Les conditions de vie dans les bidonvilles créent un terrain propice à la propagation des maladies. On voit souvent des enfants jouer dans les immondices ou se baigner dans les eaux polluées. De plus, le système central d’adduction d’eau est défectueux et beaucoup de points d’eau sont contaminés. Le risque que des maladies se répandent rapidement dans ce genre d’endroits est très élevé, à moins que l’on prenne des mesures de précaution strictes. »
MSF, in Les conditions de vie des bidonvilles aggravent l’épidémie de choléra à Freetown, 2012.

Près de 2,5 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès à des toilettes de manière pérenne et salubre (ce que l’OMS désigne comme des installations sanitaires améliorées), et incontestablement ce sont les pauvres et précisément les femmes (qui représentent 70 % des pauvres dans le monde) qui en sont les plus exclues et de ce fait les plus vulnérables aux conséquences de cette privation.

Or l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est indispensable à la santé et à la dignité de tout être humain. Chaque année, 1,5 million d’enfants meurent de maladies diarrhéiques imputables aux effets conjugués d’un assainissement insuffisant, d’un approvisionnement en eau insalubre et d’une hygiène défectueuse. Et les habitants des bidonvilles étant les moins desservis, ils subissent à la fois de graves nuisances sur leur santé, une marginalisation et la dégradation de leur environnement immédiat (Yesudhas & all., 2014).

Après la question de l’eau, qui a cristallisé les débats et les actions de coopération et de solidarité internationale (tout en restant le binôme lié à l’apport de nourriture dans les interventions humanitaires d’urgence), parfois en simultanée, de grandes ONG se saisissent de ce combat pour l’accès aux toilettes, et militent comme jamais sur un sujet qu’elles estiment et présentent comme étant une entrave fondamentale aux Droits de l’Homme (1) et un socle commun pour la lutte contre les « maladies de la pauvreté » et l’empowerment et la sécurité des femmes.

Ce plaidoyer, fondé, leur permet par là même, de faire appel aux bailleurs de fonds post-Bretton Woods dont le thème catapulté pour 2015 est éponyme de cette nouvelle croisade, laquelle prépare les désenchantements des OMD 2015 (2) !

 

Les toilettes dans le monde

Proportion de la population mondiale qui utilise des toilettes améliorées en 2012.

En effet, l’acteur incontournable lié à la problématique de l’accès aux toilettes dans le monde, WaterAid qui est une ONG de solidarité internationale dont l’objet est de faciliter l’accès à l’eau potable et à l’assainissement pour les communautés pauvres du monde, précise que l’objectif d’assainissement des OMD (Objectifs du Millénaire) est susceptible d’être caduc en raison d’une importante marge négative entre les prévisions et les résultats de terrain : « La majorité des pays en développement sont sérieusement en retard et, si des mesures urgentes ne sont prises maintenant, l’Afrique subsaharienne, par exemple, n’atteindra pas cette cible avant 150 ans. »

Dans son rapport annuel de 2012, l’Unicef déclarait que les questions d’assainissement et de toilettes restaient un « parent pauvre » des politiques publiques, aussi bien par les pays concernés que les agences d’aides au développement (p. 44, 2012). D’ailleurs, au moment de la rédaction des Objectifs du Millénaire en 2000, l’ONU n’y mentionne pas directement la question de l’assainissement. C’est seulement deux ans plus tard lors du Sommet de la Terre à Johannesburg qu’un objectif concernant l’assainissement y a été ajouté (Objectif 7, « Assurer un environnement durable »).

Dans un entretien avec le journaliste Étienne Dubuis (2011), Jack Sim, le fondateur de l’Organisation Mondiale des Toilettes (OMT), expliquait que pour lui, la lenteur des progrès réalisés depuis les années 2000 dans le domaine de l’assainissement est directement liée à l’erreur de l’ONU « de mélanger l’assainissement et l’eau dans un même paquet d’objectifs. Or, l’eau est une star : on la boit, on s’en sert pour la production agricole et donc pour manger. »

C’est ce qu’avait précédemment relevé Maggie Black (2010) dans un article « Le tabou des excréments, péril sanitaire et écologique » paru dans le Monde diplomatique, « les pourvoyeurs d’aide […] consacrent en général dix fois plus de ressources à l’eau qu’aux installations sanitaires. […] Ils omettent souvent de dégager les budgets pour l’éducation à l’hygiène, la promotion des toilettes ou la construction de systèmes d’évacuation des eaux et des excréments. »

Ainsi en mars 2013, un nouvel appel international est lancé. Le Vice-Secrétaire général de l’Organisation des Nations-Unies fait une sommation à l’action d’urgence pour les questions d’assainissement incluant la fin des pratiques de défécation en plein air (DAL) pour 2025. Cette interpellation avait pour but d’en « finir avec le cercle vicieux qui combine le cycle de la maladie et de la pauvreté et est un affront à la dignité des personnes ».

En parallèle à cette incontestable déception, des OMD, des ONG et différents acteurs de la coopération internationale, mais aussi des municipalités locales et les habitants eux-mêmes continuent le combat de fourmis sur le terrain, entre construction de toilettes communautaires et campagnes de sensibilisation auprès des populations locales bénéficiaires.

Et on voit émerger ces dernières années un nouvel acteur sacralisé, celui du secteur marchand traditionnel, qui revêt cependant ses plus beaux vêtements via l’appellation « entreprise sociale ». Ce dernier se positionne en créateur de solutions, promettant des révolutions, presque vertes, pour gérer les excréments des plus pauvres. Ces « solutions » sont vendues aux ONG internationales et aux différents bailleurs de fonds.

Pour financer ces projets d’ESS (Économie Sociale et/ou Solidaire) sur la durée (outre l’effet de mode actuel qui permet un financement plutôt facilité des bailleurs de fonds liés aux OMD), certaines ONG ont compris qu’elle devait sensibiliser les futurs donateurs privés à cette cause. Pour cela, elles s’emparent de supports de communication de type happening dont le public français est encore peu habitué (mais friand) afin d’alerter le grand public tout en se déclarant, d’une certaine façon, compétentes et attachées à cette problématique.

C’est le cas de l’opération coup de poing « Parlons Toilettes » de fin 2014, orchestrée dans un espace public parisien des plus emblématiques qu’est l’esplanade du Centre Georges Pompidou par l’ONG internationale Secours Islamique France (soutenue par la Coalition Eau) (3), qui n’est pas passée inaperçue, permettant, aux dires des passants, une réelle conscientisation du public à ce drame humain entravant la dignité et l’état de santé de celles et ceux qui en sont dépourvus. L’évènement s’est calé sur la journée mondiale « World Toilet Day » célébrée, depuis 2001, chaque année le 19 novembre (4), en plein cœur de la Semaine Nationale de la Solidarité Internationale (portée par le CRID – Centre de Recherche et d’Information pour le Développement) (5).

Quelques semaines plus tard, le début d’année 2015 (du 19 au 20 janvier) a été marqué par le 14e Sommet mondial des toilettes, rencontre internationale sur la question des toilettes qui a élu domicile cette année (pour la deuxième fois depuis son existence) en Inde.

Le WTS (World Toilets Summit), est organisé chaque année depuis plus d’une décennie mais reste loin derrière la renommée du FSM- Forum Social Mondial en termes de participation citoyenne et politique (représentants d’États et institutionnels) et en termes de couverture médiatique.

De rares articles indiens ont annoncé l’évènement et ses implications. Pourtant la célébration, organisée par l’OMT (l’Organisation Mondiale des Toilettes) qui est une plate-forme mondiale de l’assainissement dont le mot d’ordre est de « briser le silence sur la crise de l’assainissement », a été conduite localement sous l’égide du Ministère du Développement urbain et du Gouvernement Indien. Venkaiah Naidu, porte-parole du ministère du Développement Urbain et du logement et de la lutte contre la pauvreté urbaine, n’a pas hésité, en préambule, à rappeler l’importance du rôle des toilettes et de l’assainissement pour le développement, tout en soulignant que 80 % des maladies en Inde sont d’origine hydrique (ou par contamination de l’eau), ce qui rend impératif d’adopter des programmes d’assainissement dans le pays.

Lire dans son intégralité le texte
Accès aux toilettes en Inde, un enjeu de genre dans les bidonvilles

 

(1) Paradoxalement, la dignité des uns n’est pas défendue avec la même ardeur que celles des autres (même s’il est vrai que l’échelle et le nombre de personnes concernées sont peu comparables) ! En effet, les habitants des bidonvilles d’Inde ou du Brésil ont peu à envier aux conditions de vie des Roms en France qui rencontrent les mêmes difficultés d’accès à l’eau, aux toilettes et à l’assainissement, drainant des problématiques de santé et de développement identiques. Pourtant l’indignation se fait plus rarement entendre. Se pose alors la question de savoir si l’indignation n’est pas souvent corrélée aux potentielles subventions ciblées (du Nord vers le Sud) et à la capacité d’empathie des actuels et futurs donateurs.

(2) Dont l’un des objectifs comprenait, avec pour date butoir fin 2015, la réduction de moitié de la population mondiale qui n’avait pas accès à des toilettes décentes, accès reconnu comme un droit de l’Homme par les Nations Unies en 2010.

(3) Coalition eau 

(4) En effet, lancée en 2001 par l’Organisation mondiale des toilettes, elle désigne le 19 novembre comme la « Journée Mondiale des toilettes ». Cette date n’a été instituée par les Nations-Unies qu’une dizaine d’années plus tard, suite à l’adoption de la résolution 67/291 « Assainissement pour tous » coparrainée par 122 pays, en juillet 2013.

(5) La semaine de la solidarité internationale

 

Linda Bouifrou

Linda Bouifrou

Bouifrou Linda est géographe, chargée de mission en Coopération et Solidarité Internationale.

Linda Bouifrou

Derniers articles parLinda Bouifrou (voir tous)