Depuis la chute du dirigeant tunisien Zine El-Abidine Ben Ali, les Algériens croient encore plus à la possibilité de changer le régime au pouvoir depuis près de 50 ans. Pour cette raison, ils multiplient les stratégies de contestation et tentent de s’organiser pour une révolution pacifique.
Les syndicats autonomes, soutenus par quelques partis de l’opposition, ont déjà essayé de mener la lutte au sein de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). Au bout d’un mois d’existence, cette organisation a éclaté en deux groupes : les partis politiques d’un côté et les syndicats de l’autre.
L’expérience aura néanmoins servi de détonateur à une série de manifestations qui continuent à ce jour. De nombreux secteurs économiques et sociaux du pays expriment leur ras-le-bol à travers des grèves et des marches. Mais le mouvement qui paraît être le plus sérieux et le plus prometteur est sans doute celui des étudiants qui touche presque tous les campus universitaires du pays. Forts des leçons tirées après l’échec de la CNCD à mobiliser, les étudiants comptent rassembler toute la société civile pour susciter le changement.
C’est le décret présidentiel 10-315 du 13 décembre 2010, établissant une nouvelle correspondance entre les diplômes du nouveau système LMD et le système classique qui a déclenché la grogne des étudiants, rapidement rejoints par les enseignants. Les grandes écoles, qui sont les premières à avoir manifesté leur colère dans les rues de la capitale, refusent toujours d’entrer dans une lutte contre le régime : « Le gouvernement ne prend pas au sérieux nos revendications, s’indigne Mahfoud. Malgré cela, nous ne voulons pas entrer dans le cadre d’un mouvement de contestation plus général. » Pour cet étudiant de l’Ecole Supérieur d’Informatique (ESI) à Alger, « il est difficile de maintenir une grève de plus de deux mois pour deux raisons. La première est une loi qui autorise les recteurs des universités à porter plainte contre les organisateurs des mouvements de grève. La seconde est le refus des étudiants de rater leurs examens. »
Qu’à cela ne tienne ! Les étudiants des universités publiques sont décidés à aller jusqu’au bout de leur combat. « Mais en procédant étape par étape », remarquent Karim Yamoun et Mahmoud Allouche. Pour ces deux étudiants, « il faut d’abord sensibiliser les étudiants. Ensuite, nous nous adresserons au reste de la population. »
Au départ, le mouvement s’était concentré sur des exigences purement universitaires et le chef de l’Etat, M. Abdelaziz Bouteflika, a vainement espérer éteindre le feu en annulant le décret qui faisait polémique. « Nos revendications se sont élargies depuis, explique M. Allouche. Nous voulons aussi exprimer notre rejet de la privatisation progressive de l’université publique ainsi que la mise en concurrence des filières et nous voulons participer à la gestion de nos universités. Cela dit, nous savons que cette dictature ne nous apportera pas la démocratie. » Il a donc fallu s’orienter vers « une » nouvelle exigence : le départ du système.
Dans cette optique, des élus de différentes universités algériennes se sont donné rendez-vous à Bejaïa pour créer la Coordination Nationale des Etudiants (CNE). « Nous avons choisi cette ville symbolique pour dire que nous nous inscrivons dans l’esprit du Congrès de la Soummam[1]. », nous dit Karim Yamoun de l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou qui rappelle que les universitaires se sont déjà rassemblés par milliers et pendant plusieurs jours devant les portes du ministère de l’Enseignement supérieur.
La force de la CNE est sa connaissance des stratégies du pouvoir pour faire avorter toutes les actions de l’opposition. Elle est aussi consciente de la méfiance des Algériens à l’égard de tous les partis politiques. C’est pour cette raison que Mahmoud Allouche refuse de révéler de quelle région du pays il est issu. Il accepte à peine de dire qu’il est étudiant à l’université de Bejaïa. En effet, le pouvoir, à travers la presse officielle, a toujours opposé des régions à d’autres et les arabophones aux berbérophones. M. Allouche indique que « la CNE est représentée par des universités des différentes régions comme Constantine, Oran, Mostaganem…Nous voulons un mouvement national et sans accointances avec les partis politiques. » Si le rejet des partis politiques au pouvoir est facilement compréhensible, le refus de se rassembler avec des partis de l’opposition s’explique par les engagements, parfois contre-nature, et les compromissions de ces derniers durant la décennie noire des années 90. A l’époque, certains se sont rapprochés des intégristes et d’autres des militaires, deux camps que la population tient pour responsable de la mort de 200 000 personnes. La CNE, quant à elle, est confiante qu’une fois tous les campus acquis à sa cause, une ligne politique claire se dessinera.
« La CNE est composée de Coordinations locales (CLE), ajoute Mahmoud Allouche. Ainsi, tous les mouvements que nous organiserons au sein des universités seront sous notre contrôle et nous pourrons résister aux relais très nombreux de l’Etat. Nous ne nous laisserons pas infiltrer par la police, ni perturber par les manœuvres des syndicats officiels l’UNEA et l’UGEL. D’ailleurs, des jeunes de l’UGEL, proche du parti islamiste MSP[2], ont agressé des manifestants à Alger et à Bouira. A Batna, un étudiant de la Coordination locale est interdit d’accès dans toutes les universités. » Mais une nouvelle difficulté vient s’ajouter à celles déjà citées. Le déplacement de navires militaires américains vers la Libye laisse les Algériens méfiants quant à une révolution qui les mettrait sous la domination des Etats-Unis. « La situation en Algérie n’est pas la même qu’en Libye, tempère M. Yamoun. Le régime algérien ne réagira jamais comme Kadhafi. »
En termes d’actions sur le terrain, la CNE compte organiser des meetings dans toutes les universités et des sit-in devant les rectorats. Elle espère aussi provoquer un front social plus large en rassemblant toutes les organisations actuellement en lutte pour leurs droits et engager, sans aucun complexe régionaliste, partisan ou religieux, un « combat pacifique pour le changement ».
[1] Le 20 août 1956, les représentants du Front de Libération Nationale (FLN) et de l’Armée de Libération Nationale (ALN) se sont réunis dans la vallée de la Soummam pour organiser la Révolution et la doter de structures politiques solides. Abane Ramdane, la tête pensante de ce Congrès, a été tué en 1957 par l’armée des frontières installée à l’extérieur du pays. Celle-ci a pris de force le pouvoir après l’indépendance et le garde jusqu’à aujourd’hui.
[2] Le Mouvement de la Société pour la Paix fait partie de l’alliance gouvernementale.
Ali Chibani
est docteur en littérature comparée avec une thèse soutenue à la Sorbonne et intitulée Temps clos et ruptures spatiales dans les œuvres de l’écrivain francophone Tahar Djaout et du chanteur-poète kabyle Lounis Aït Menguellet. Il collabore au mensuel Le Monde diplomatique, aux sites web SlateAfrique.fr et Tv5 Monde, ainsi qu’à la revue Cultures Sud. Il a également co-fondé le blog littéraire La Plume Francophone.