Après l’embrasement des médias et des foules lié à la vidéo L’Innocence des musulmans et les caricatures de Charlie Hebdo, le calme est revenu, probablement de façon provisoire. Ces récents événements sont-ils le symptôme du « choc des civilisations » cher à Samuel Huntington et à ses sympathisants qui s’affirment tant dans le monde musulman qu’en Occident ?
Il est clair qu’il existe des ressentiments de part et d’autre, exprimés de façon plus ou moins audible et vigoureuse. D’un côté, on reproche pêle-mêle l’ingérence des puissances occidentales, militaire comme en Irak ou politique, une islamophobie qui se manifeste de plus en plus ouvertement, ou même la situation faite en Occident aux émigrés. De l’autre côté, on s’inquiète de la montée de la violence dans les pays musulmans et on dénonce l’islam comme une religion où règne l’intolérance, les atteintes aux droits de l’homme ou le sort réservé aux femmes traitées en mineures.
L’arrivée du printemps arabe n’a guère modifié cette perception dont certains aspects remontent à la nuit des temps. Il faut être conscient que la crise à laquelle nous venons d’assister se reproduira immanquablement. La parution des Versets sataniques de Salman Rushdie en 1990, la publication des caricatures danoises en 2005, les agissements du pasteur Terry Jones qui menace régulièrement de brûler des Corans, autant de prétextes à des manifestations violentes contre l’Occident.
Comment expliquer ces poussées de fièvre à répétition ?
En première approche on peut sans doute relever une incompréhension profonde entre les pays d’Islam et l’Occident. Dans le premier cas la religion est prégnante, la pratique religieuse est de plus en plus forte, et le terme même de laïcité est assimilé à l’athéisme. En Occident, le religieux est en déclin et le concept de blasphème n’existe plus, parfois depuis longtemps, dans des sociétés sécularisées.
Mais dans le même temps, de part et d’autre, les fondamentalismes progressent. Mais cet état de chose serait sans conséquences, si les nouveaux médias – télévisions satellitaires, Internet et réseaux sociaux – ne répandaient, en temps réel, l’information, parfois en la dramatisant. Il faut compter également, des deux côtés, sur des éléments radicaux, fondamentalistes musulmans, comme les salafistes, ou chrétiens pour mettre de l’huile sur le feu.
Les mouvements jihadistes, relevant ou non d’Al-Qaïda, jouent dans le même sens. S’y ajoute enfin l’action des provocateurs de profession ou des « journalistes pyromanes », pour reprendre l’expression de Christophe Ayad du Monde : ils exploitent et amplifient, au nom d’une liberté d’expression pervertie, des événements insignifiants ou des manifestations réunissant 200 personnes, dans le sens d’une dramatisation.
Certes il arrive que les gouvernements instrumentalisent ces tensions. Les manifestations « spontanées » récemment organisées en Iran en témoignent. Dans l’ensemble, les gouvernements responsables essaient de calmer le jeu tant dans le monde musulman qu’en Occident. Telle a été l’attitude des autorités américaines ou européennes, notamment françaises. Les organisations représentatives des communautés musulmanes et chrétiennes ont agi également en ce sens. Mais la tentation est grande de la part de certains partis d’utiliser ces tensions à des fins de politique intérieure. On ne s’étonnera pas que Marine Le Pen veuille « mettre à la porte tous les intégristes étrangers ». On sera plus surpris que François Fillon, certes candidat à la présidence d’un parti politique, désavoue les propos apaisants du premier ministre et apporte de façon inattendue son soutien à Charlie Hebdo au nom d’une « liberté d’expression totale ».
En France comme dans de nombreux pays occidentaux, vivent d’importantes communautés musulmanes qui désapprouvent ces actes de violence par la voix de leurs associations représentatives. Dans les pays musulmans, à quelques exceptions près, après les premiers débordements, les manifestations n’ont réuni qu’un nombre limité de personnes et les gouvernements en ont repris le contrôle. S’il existe un choc, il est de plus en plus évident qu’il se trouve à l’intérieur même des sociétés musulmanes ou occidentales, chacune ayant leurs fondamentalistes. Fort heureusement dans les deux cas, les éléments radicaux sont minoritaires. Ne nous laissons pas gagner par les fondamentalistes des deux bords, qui utilisent des paroles de haine ou les slogans simplificateurs voire falsificateurs, à des fins d’affrontement.
Denis Bauchard
Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.
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