Les humanitaires savent bien qu’une des forces de leur engagement réside dans l’universalité des principes qui guident leur action, l’humanité, la neutralité et l’impartialité.
L’humanité qui habite chacun en le rendant attentif et disponible à la souffrance de l’autre est un des fondements de la conscience humaine. Ce principe d’humanité qui fait de tout humanitaire un « intranquille » permanent parce qu’il le conduit à sortir de lui-même pour se mettre au service de l’autre. Cette humanité qui réunit quand tant d’autres sentiments peuvent séparer, à commencer par l’égoïsme étriqué d’une société matérialiste. Cette humanité qui nous rappelle que nous détenons chacun une petite parcelle d’une seule et même humanité faisant de nous tous des « frères humains ». C’est à ce titre que les philosophes et théologiens ont pu dire que blesser un homme ou le tuer, c’est blesser ou tuer l’humanité entière. De la même façon, on peut dire que soulager ou sauver un homme, c’est soulager ou sauver l’entière humanité. De fait, nous ne nous appartenons pas.
La neutralité vient préciser que quelles que soient les différences, les divergences, les oppositions, tous les êtres humains se valent, porteurs qu’ils sont d’une même dignité. Lorsque les masques et les carapaces tombent, lorsque celui qui souffre est à terre et retrouve sa fragilité, demeure cette humanité pure et sans tâche de l’innocent qui découvre le monde et l’autre qui l’habite avec lui, son semblable. Ce principe, initialement destiné aux terrains de guerre, s’applique aussi tous les jours puisque la vie est souvent un combat, d’autant plus quand la guerre s’installe dans la vie civile.
L’impartialité signifie simplement que lorsque l’humanité est menacée, toutes les idées, les croyances ou les doctrines s’effacent pour laisser la place à l’essentiel. Quelles que soient mes convictions et la force de mon engagement pour les mettre en pratique, voire pour tenter de convaincre, qui suis-je pour prétendre les imposer par la contrainte, voire sous la menace de mort ?
Ces principes devraient être partagés par tous les hommes, persuadés de l’égale dignité de chacun, ils ne sont pas l’exclusive des humanitaires. Chaque homme, chaque femme, les a profondément enfouis au fond de lui, trop souvent cachés par pudeur ou par crainte, peut-être, d’afficher une faiblesse ou de paraître d’un autre âge. Or, les événements tragiques récents ont tellement bouleversé les consciences que ces valeurs-là ont resurgi pour hurler que c’est toute l’humanité qu’on assassinait ! Ce qui était enfoui est revenu à la surface, ce qui était caché est apparu en pleine lumière posant la question : « mort, où est ta victoire ? »
C’est ainsi que cette mobilisation sans précédent de millions de personnes conduit à un surprenant paradoxe : elle transfigure la mort de 17 personnes en une victoire de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine, des valeurs partagées sur l’égoïsme quotidien. N’est-ce pas la plus belle réponse qui soit à toutes les questions que nous nous posons sur notre humanité ? La tolérance mieux que le fanatisme, la liberté mieux que la contrainte et le respect plutôt que le rejet. C’est l’exigence du respect de l’autre sans compromis possible, qui, après le drame, exprime le mieux la dignité qui nous habite. Puissions-nous lui rester fidèles alors que l’avenir s’avère incertain. L’attention à demain et à notre prochain s’impose comme jamais.
Jean-François Mattei
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