Chaque année depuis presque vingt ans, la communauté humanitaire intervient pour répondre aux crises complexes de grande ampleur qui frappent la République démocratique du Congo (RDC). Cette année, comme il est probable que les crises continuent, les donateurs ont accepté de financer des projets humanitaires à long terme plus souples en RDC.
Pour la première fois, un Fonds Commun Humanitaire (CHF) dirigé par les Nations Unies à Kinshasa financera des projets d’une durée maximale de 24 mois au lieu de la limite actuelle de 12 mois.
L’examen des propositions de projets devrait se terminer en juillet ; cette année, le CHF espère recevoir 70 millions de dollars de financement pluriannuel (sur les 893 millions de dollars de l’appel humanitaire demandé pour le pays).
Le financement pluriannuel est une innovation dans le système humanitaire, a déclaré Gemma Cortes, directrice par intérim de l’unité de financement du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) à Kinshasa.
« Nous lançons cette initiative au Congo », a-t-elle déclaré à IRIN. « C’est en grand débat depuis des années ici. Aujourd’hui, le défi de taille sera de relier tous les projets à des projets de développement ».
Avantages
L’OCHA affirme que ces projets « de transition » « répondront aux besoins humanitaires récurrents qui demandent des interventions durables dont les effets aid[eraient] à renforcer la résilience communautaire » et permettront de « réduire le nombre de mesures d’urgence de courte durée qui répondent plus aux symptômes qu’aux causes ».
D’autres projets financés par les 70 millions de dollars « renforceront la capacité d’intervention en cas d’urgence » et « contribueront à renforcer les capacités des ONG nationales ». L’OCHA prévoit aussi une meilleure collecte et surveillance des données, ainsi que des économies de coûts.
« Cela devrait aider à faire des économies de transport, de recrutement, de formation et d’assimilation [des connaissances], par exemple », affirme Mme Cortes.
Le CHF envisage également de rationaliser les programmes. Par exemple, il pourrait financer deux organisations pour effectuer le type de travail prévu précédemment par huit petits projets différents.
Mme Cortes constate que les propositions de projets ont tendance à promouvoir davantage l’agriculture et les moyens de subsistance, ainsi que des solutions plus durables pour répondre aux besoins en eau et en hygiène.
« L’agriculture est l’un des secteurs où l’enveloppe budgétaire a le plus augmenté. Les agences et les ONG peuvent désormais aller plus loin que les actions d’urgence pour renforcer les moyens en proposant des techniques agricoles et de transformation des aliments différentes, en réalisant des études de marché et en formant des coopératives. Nous avons aussi reçu de nombreuses propositions d’achat et de distribution de chèvres, de moutons et de lapins ».
Mme Cortes estime que près de 15 pour cent du financement pluriannuel pourrait être réservé aux projets agricoles et 30 pour cent aux projets de moyens de subsistance, même si l’attribution définitive reste à déterminer.
« Cela a été très bien accueilli par les travailleurs humanitaires, les ONG et les communautés locales. C’est quelque chose qui manquait avant. Chaque fois nous venions faire la même chose, alors qu’ils voulaient une action plus durable ».
Olivia Kalis, conseillère en matière de politique et de plaidoyer au bureau de pays du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) à Goma, dans l’est de la RDC, confirme ces propos tout en faisant remarquer que le débat persiste quant à savoir ce « qui est le plus durable ».
« Si nous avons uniquement des cycles à court terme, les gens finissent par faire les mêmes choses, donc c’est très bien que le CHF offre désormais des cycles de 24 mois. Mais il reste encore beaucoup de travail à réaliser pour comprendre ce que signifie la résilience dans ce contexte », a déclaré Mme Kalis.
Résilience
Comme le concept de résilience s’est répandu au sein des organisations humanitaires, sa définition s’est élargie.
Christophe Béné, chercheur à l’Institut britannique des études en développement (Institute of Development Studies, IDS) a évoqué l’évolution du terme lors d’un récent séminaire IDS. « Initialement, a-t-il dit, la résilience était seulement la capacité de se relever et de rebondir. Et aujourd’hui, au fil du temps, nous avons de plus en plus de gens qui déclarent que la résilience est affaire d’apprentissage et d’adaptation. Plus récemment, il y a aussi aujourd’hui le fait d’anticiper et d’empêcher [les crises] ».
Prenant en compte tous ces aspects, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en a récemment donné une définition, affirmant que la résilience est « la capacité de réagir face aux catastrophes et aux crises, ou d’anticiper, d’absorber et de se remettre d’un choc [.] en temps voulu et de façon efficiente ».
Le coordonnateur du Programme alimentaire mondial (PAM) dans l’est de la RDC, Wolfram Herfurth, affirme que la résilience est tout simplement synonyme d’autonomie, et il propose une manière pratique de faire en sorte que les communautés vulnérables deviennent autonomes.
« Il n’est pas nécessaire de compliquer les choses. Nous devons fournir des possibilités de subsistance simples et acceptables aux réfugiés dans les camps. Puisque nous savons qu’environ 85 pour cent de ces déplacés sont des agriculteurs, il est logique – nous recherchons la solution la plus simple – de fournir aux agriculteurs des outils et des semences afin qu’ils puissent produire leur propre nourriture et qu’ils ne dépendent plus des aides financières en liquide », a-t-il déclaré.
« Ceci est l’approche fondamentale. Mais l’obstacle majeur est que, là où se trouvent les personnes déplacées actuellement, il y a très peu de terres libres disponibles ».
Pour atteindre cet objectif, M. Herfurth propose de passer des accords avec les propriétaires fonciers pour qu’ils louent leurs terres, à long terme ou de façon temporaire, aux déplacés, qui recevraient ensuite des semences, des outils et une aide alimentaire en attendant leur première récolte.
Plusieurs initiatives au Nord-Kivu visent à aider les déplacés à avoir accès aux terres, soit celles qu’ils possèdent (beaucoup de déplacés ont trouvé leurs terres occupées à leur retour) soit celles où ils ont trouvé refuge. Le CHF a pour mission de soutenir ces initiatives.
Pourtant, la question foncière reste sensible. Le NRC et le Programme des Nations Unies pour les établissements humains (UN-HABITAT) possèdent les plus importants programmes de médiation de conflit foncier en RDC, mais ils sont strictement limités dans leur champ d’action, affirme Mme Kalis du NRC.
« L’étendue [de la médiation] est très réduite comparée à l’ampleur du problème. Beaucoup de conflits concernent seulement quelques mètres carrés de terre. Quand l’armée est impliquée, nos commissions [des comités locaux mis en place par le NRC] ne peuvent plus agir, c’est trop dangereux », a-t-elle déclaré.
De vastes bandes de terre dans les deux provinces du Kivu appartiennent à de hauts gradés de l’armée.
« Nous devons envisager des solutions politiques [au problème foncier] », affirme Mme Kalis. « Les donateurs doivent encourager cet aspect ».
Implantation
Aider les personnes déplacées à cultiver n’est pas la seule activité de renforcement de la résilience proposée par les travailleurs humanitaires.
IRIN a également interrogé le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), OXFAM, le NRC et l’ONG Catholic Relief Services (CRS) et a relevé un large éventail d’activités de résilience proposées, notamment des campagnes d’information pour aider les déplacés à garantir leurs droits et à avoir accès aux aides, ainsi que la création d’installations et de services durables pour faciliter leur intégration dans les communautés hôtes.
L’UNICEF a privilégié des propositions de projets visant à construire des salles de cours et des installations sanitaires durables. Le NRC a évoqué son travail pour aider les enfants déplacés à retourner à l’école. Oxfam a déclaré qu’il envisageait d’agrandir le réseau des systèmes d’eau et d’assainissement dans les régions d’accueil.
Selon les travailleurs humanitaires, il est essentiel de mettre l’accent sur les communautés hôtes, car la majorité de l’aide est destinée aux camps, même si la plupart des personnes déplacées vivent dans des familles d’accueil et finissent souvent par s’installer dans ces communautés.
« Beaucoup de déplacés ont très peu de chances de retourner chez eux », a déclaré Tariq Riebl, le coordonnateur d’Oxfam au Nord-Kivu. « Si vous prenez l’histoire de Goma, de nombreux camps se sont transformés en quartiers – nous trouvons regrettable que l’État continue de détruire les camps au bulldozer ».
« Si nous constatons une volonté étatique de conférer un droit de résidence aux déplacés, nous pourrons construire des écoles, ouvrir des centres de soins, etc. Mais le gouvernement est réticent à cette idée », a-t-il dit.
Il y a également une tendance à se concentrer sur plus de zones urbaines. L’État pourrait être amené à négocier avec les propriétaires terriens dans les zones périurbaines où il ne possède pas de terre pour permettre aux personnes déplacées de trouver un endroit où vivre, a déclaré M. Riebl.
Il a également souligné qu’il était aussi pragmatique de concentrer l’aide dans les zones accessibles plutôt que d’essayer d’atteindre les villages reculés.
« Les coûts d’exploitation pour essayer de mener à bien des projets dans des régions comme Walikale [l’un des territoires les plus reculés du Nord-Kivu] sont énormes. Personne ne va payer tous les véhicules Land Cruiser. Les donateurs veulent un retour sur investissement ».
La sécurité est également un problème majeur pour les projets en zone rurale. Un agent de la FAO a déclaré lors d’un récent séminaire de journalistes à Goma que les chargés de projets agricoles ne pourraient rien faire si la sécurité n’était pas assurée.
Il sera nécessaire d’enquêter davantage auprès des entreprises pour aider à orienter les déplacés vers des moyens de subsistance viables, dans les zones urbaines comme rurales, a déclaré à IRIN M. Herfurth.
« Nous avons besoin de plus d’experts en développement », a-t-il dit. « Peut-être faudrait-il réduire le nombre de travailleurs humanitaires et augmenter le nombre d’économistes et d’ingénieurs agricoles ».
« Mais il faut également modifier les rapports entre le gouvernement de la RDC et les acteurs humanitaires pour accepter – maintenant qu’il y a plus de paix et de stabilité – que nous nous concentrions sur des interventions durables. »
« Bien évidemment, les acteurs humanitaires ne peuvent pas y arriver tout seuls facilement. Il faut que le gouvernement prenne des décisions et qu’il existe une coordination à l’échelle des villages et des provinces. Les différents niveaux politiques doivent s’investir ensemble ».
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Irin
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