L’épidémie d’Ebola continue de se répandre en Afrique de l’Ouest, ayant officiellement fait plus de 1500 morts dans au moins 4 pays. L’évolution dans les semaines à venir reste incertaine, mais cette urgence sanitaire mondiale met déjà en évidence les limites des systèmes de santé des pays affectés. Au-delà de son impact humain et des dangers qu’elle fait courir à chacun, des conséquences plus globales sont aussi à prévoir sur la vie et la santé des populations dans les zones concernées.
L’épidémie touche en effet des pays dont les systèmes de santé sont déficients dans leur ensemble : manque de personnel, de formation et d’approvisionnement en médicaments, difficulté à mettre en place des mécanismes efficaces de veille épidémiologique. Les causes sont nombreuses, incluant un manque de financement : la plupart des États africains n’accordent pas les 15 % de leur budget global à la santé tel qu’ils s’y étaient engagés lors du sommet d’Abuja en 2001. Et les programmes spécifiques financés par de grands bailleurs pour lutter contre des pathologies telles le VIH sous-estiment le besoin de renforcement global du système.
C’est dans ce contexte que se développe la plus grave épidémie d’Ebola jamais enregistrée. Des personnels de santé y laissent leur vie (plus de 120 décès selon l’OMS), les approvisionnements sont interrompus, le suivi épidémiologique et le contrôle des cas sont déficients, et la méfiance de la population envers les acteurs de santé est réelle.
L’impact d’Ebola est donc double : direct, par sa mortalité, et indirect, par ses conséquences sanitaires et sociales dans des États qui ne peuvent faire face financièrement. Les échanges commerciaux diminuent, des régions entières sont mises en quarantaine, les marchés ne sont plus suffisamment approvisionnés, et les centres de santé ne peuvent ni prendre en charge correctement l’épidémie ni mener les activités habituelles vitales (traitement des autres pathologies infectieuses, suivi des grossesses, etc.).
Dans des régions déjà pauvres où la santé d’une grande partie de la population est précaire, le manque d’accès à la nourriture, les problèmes d’eau et d’assainissement, l’absence de prise en charge d’autres maladies mortelles dans un système désorganisé par l’épidémie risquent d’entraîner une flambée des problèmes de santé et de sous-nutrition.
Cette situation se répète à chaque crise, épidémies de paludisme, de choléra, crises nutritionnelles nécessitant la prise en charge de milliers de personnes atteintes de malnutrition aiguë sévère. Le système de santé, incapable d’absorber les activités habituelles, ne peut répondre à ces chocs épisodiques qui demandent une augmentation exceptionnelle des activités et requiert des compétences spécifiques.
Les ONG et d’autres acteurs non-étatiques sont alors sollicités pour apporter le personnel et le matériel manquants. Elles le font au mieux et tentent de développer les capacités des ministères à prendre le relais, mais ce transfert de compétences présente de nombreuses limites.
Que faire alors pour éviter ce scénario catastrophe ?
Il est primordial de traiter l’urgence Ebola avec des moyens bien supérieurs à ceux mis en œuvre, sans attendre que des pays plus influents soient touchés, ceci sous l’égide des Nations Unies et de l’OMS. Cette réponse ne doit pas sous-estimer les effets secondaires de la crise et doit inclure des actions pour limiter l’impact sur la sécurité alimentaire des populations et sur leur santé.
Il faut, dans un second temps, prioriser le renforcement des systèmes de santé pour avoir partout dans le monde des personnels en nombre suffisant et bien formés, ayant les moyens matériels de faire leur métier, capables de gérer des systèmes efficaces de surveillance et de réponse aux crises. C’est cette approche qui permet une prise en charge préventive et curative des pathologies habituelles et des crises aiguës ou chroniques (choléra, VIH, tuberculose, sous-nutrition…)
Pour atteindre cet objectif, les États doivent augmenter leur budget en santé et améliorer leur gouvernance en développant, avec le soutien des bailleurs internationaux, des programmes de renforcement des systèmes de santé nationaux. Les ONG, quant à elles, doivent continuer à faire au mieux pour combler les manques en acceptant leurs limites et en passant dès que possible la main à des acteurs institutionnels, seuls à même de répondre à des urgences planétaires telles qu’Ebola.
Serge Breysse
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