Iran : Le business du corps des pauvres

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Une chômeuse espagnole a défrayé la chronique en novembre dernier en proposant de vendre ses organes. Si ce type de pratique est interdit en Europe, il est pourtant légal dans un pays, l’Iran. Au bout de vingt ans d’expérimentation, le constat est sans appel : malgré la légalisation du système, les dérives continuent.

Vous voulez rembourser une dette, acheter une télé ou payer des études à vos enfants ? Vendez un rein. La proposition a de quoi choquer. Elle est pourtant parfaitement légale en Iran. Dans ce pays, la vente d’organes, autorisée depuis les années 80, a permis de fournir des greffons à toutes les personnes en attente de transplantations. Un succès qui, conjugué à la pénurie croissante d’organes dans le monde, amène en ce moment des spécialistes de la santé et la bioéthique, notamment anglo-saxons, à se demander s’il ne faudrait pas légaliser la vente d’organes. Le sujet a d’ailleurs  été évoqué lors du dernier forum européen de bioéthique à Strasbourg  en janvier dernier.

La question part d’un constat : on manque de plus en plus d’organes dans le monde. La population mondiale vieillit. Les malades du troisième âge, qui souffrent de problèmes de reins, sont de plus en plus nombreux. De plus, les pays émergents connaissent désormais un changement de paradigme. Auparavant, on y mourrait surtout de maladies infectieuses. Désormais, avec le changement d’alimentation et de mode de vie, ce sont des affections comme le diabète ou l’hypertension qui tuent le plus. Or ces deux maladies sont les deux principales causes de l’insuffisance rénale. Dans ce contexte, la tentation de légaliser la vente d’organes pourrait susciter plus d’attention que d’habitude.

C’est cette même situation de pénurie qui a entrainé l’Iran à autoriser la vente d’organes. Le système est né lors de la guerre contre l’Irak (1980-1988). Confronté à un embargo, le pays n’avait pas accès aux médicaments pour traiter l’hémodialyse. L’Etat a donc instauré ce système en urgence, en veillant cependant à ce qu’il soit réservé aux seuls Iraniens, afin d’éviter le tourisme de transplantation. Un programme met en rapport vendeurs et donneurs. Les donneurs reçoivent deux rémunérations. L’Etat leur octroie environ 1200 dollars, en guise de remerciement pour « le cadeau de l’altruisme », ainsi que le bénéfice d’une assurance maladie durant un an. Les receveurs fournissent eux aussi une rémunération au donneur.

Depuis sa création, ce système a permis de lutter contre la pénurie de greffes et de sauver des vies. Chacun serait donc satisfait : les receveurs obtiennent un rein et peuvent désormais mener une vie normale, et les vendeurs ont pu nourrir leur famille. Mais il se fait au détriment des pauvres. D’une part il enracine une discrimination sociale : ce sont les pauvres qui vendent leurs organes, et les riches qui les achètent. Selon une étude publiée par la revue Transplantation, en octobre 2008, les donneurs n’acceptent l’intervention que pour des raisons financières. La majorité des « candidats » a été confrontée à une hausse de ses dépenses, une perte d’emploi, ou une baisse de ses revenus les mois précédant la vente de leur rein. Seuls 13% d’entre eux travaillent à plein temps. « Ce sont par exemple des étudiants sans le sou, des mères célibataires, des toxicomanes qui vendent leurs organes. » explique Luc Noel, coordinateur de l’unité « procédures cliniques » à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), chargé de la question des transplantations.

Et s’il permet aux vendeurs de gagner un peu d’argent, il ne les sort presque jamais de la pauvreté, bien au contraire. Passés quelques mois, une fois l’argent de la vente dépensé, ces gens redeviennent aussi pauvres qu’avant. Avec un rein en moins, ce qui les rend finalement encore plus vulnérables, surtout dans le cas où ils ont minimisé leurs problèmes de santé afin de toucher la prime. Certains métiers, nécessitant de lourds efforts physiques leur sont impossibles après l’opération.  Si la chirurgie a été pratiquée de façon expéditive, ils peuvent souffrir de douleurs chroniques qui les handicaperont à vie. Selon une étude « Quality of life of Iranian « donors » » citée par Mohamed Salah Ben Ammar dans son livre Islam et transplantation d’organes, 58% des donneurs affirmaient que la vente de leur organe avait eu des effets négatifs sur leur état de santé et 65% rapportaient des conséquences négatives sur leur statut professionnel.

Pire, cet encadrement du marché, censé lutter contre les trafics, n’a même pas mis fin au marché noir estime « Organs Watch », une association travaillant sur place. Il existe toujours des dessous de table. « C’est très difficile d’encadrer un système basé sur l’appât du gain. Il y a trop souvent une mafia qui s’intercale » confirme Luc Noel. La rémunération que donne le « preneur » au vendeur varie en fonction de plus ou moins grande rareté de son groupe sanguin. Elle peut aller jusqu’à plusieurs milliers de dollars. En outre, s’est développé un business d’intermédiaires, de rabatteurs allant chercher des donneurs dans les quartiers pauvres et les « préparant » à l’opération.

Le receveur, lui, n’est même pas sûr de s’en tirer à bon compte. En Iran beaucoup de donneurs sont des drogués. Le programme vérifie surtout la compatibilité sanguine entre les deux personnes. Le bilan de santé des vendeurs n’est pas fatalement approfondi. L’organe acheté peut donc donner une maladie transmissible par le sang. Certains receveurs ont ainsi été contaminés par des hépatites ou le sida. Le système est donc loin d’être parfait. L’Iran cherche d’ailleurs en ce moment des alternatives au système.

 

 

 

 

 

Agnès Noël

Agnès Noël

Agnès Noël est journaliste, responsable du Département Santé internationale & Bioéthique de Grotius International.