Les chambres mixtes spécialisées constitueraient-elles une thérapeutique inappropriée dans la lutte contre l’impunité des crimes internationaux les plus graves en République démocratique du Congo ? Nous proposons ci-dessous un résumé de l’analyse de Marcel Wetsh’Okonda Koso Senga, suivi de l’intégralité du texte.
La mise en place des chambres mixtes spécialisées intégrées dans le système judiciaire, plus exactement au sein des cours d’appel : telle est l’option que le gouvernement a levée en guise de réponse aux crimes internationaux les plus graves commis sur le territoire de la République démocratique du Congo au cours du cycle de conflits armés de 1996 et 1997 et 1998 à 2003 et dont les séquelles se manifestent encore à ce jour.
Depuis son accession à l’indépendance le 30 juin 1960, l’histoire de ce pays situé au cœur de l’Afrique se caractérise par la violence. Il ne pouvait en être autrement quand on sait que la lutte contre l’impunité n’a jamais dépassé le stade des discours politiques pour ce traduire dans les faits. L’expérience de la transition consécutive au Dialogue inter-congolais de Sun City (2002) est assez éloquente à cet égard.
Au nombre des résolutions ayant sanctionné ce forum politique, il importe de mentionner notamment celles relatives à :
– L’adoption d’une loi d’amnistie pour les faits de guerre, les infractions politiques et d’opinion à l’exclusion du génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité,
– L’institution d’une Commission vérité et renonciation,
– La création d’un tribunal pénal international pour la République démocratique du Congo
Le moins que l’on puisse dire c’est que la mise en œuvre des unes et des autres s’est heurtée à plusieurs difficultés et que le bilan à cet égard reste en dessous des attentes.
Après une période faste se traduisant pas l’arrestation et la remise de personnes recherchées par la Cour pénale internationale, la coopération entre la République démocratique du Congo et cette organisation internationale traverse également une période difficile avec le refus d’exécution du mandat d’arrêt à charge de Bosco Tanganda.
De là l’intérêt de marquer un temps d’arrêt sur les chambres mixtes spécialisées pour voir dans quelle mesure elles peuvent constituer une thérapeutique adéquate à l’impunité chronique qui passe ainsi pour l’une des plaies honteuses de la République démocratique du Congo.
L’identification des obstacles qui se dressent s’avère nécessaire pour voir si le projet de loi sur les chambres mixtes spécialisées permettent de les lever et de faire la différence avec les autres options expérimentées jusque là.
Les obstacles à l’administration de la justice
Pour ne s’en tenir qu’aux plus importants d’entre eux, il y a lieu de mentionner :
– Le manque de volonté politique,
– L’inféodation du pouvoir judiciaire au pouvoir politique,
– Le manque d’expertise du personnel judiciaire,
– L’absence des moyens nécessaires,
– L’insuffisance du budget,
– Les difficultés liées à la coopération internationale.
La question qui se pose est celle de savoir si telles que pensées par le Gouvernement, les chambres mixtes spécialisées seront en mesure de contourner ces différents obstacles.
Les remèdes proposés par les chambres mixtes
à l’impunité chronique des crimes internationaux
Une lecture approfondie du projet de loi portant institution des chambres mixtes spécialisées permet d’affirmer que ces remèdes ne sont malheureusement pas appropriés. Pour nous en tenir à ces quelques faits parmi tant d’autres :
– En tant que formations des cours d’appel, ou les chambres spécialisées seront toujours à couteaux tirés avec les premiers présidents et les procureurs généraux auprès des cours d’appel, ou elles exerceront leurs activités sous l’autorité ces derniers. Pire encore, en raison des privilèges de juridictions et des immunités de poursuites consacrés en leur faveur, de nombreuses personnes y échapperont, qu’il s’agisse des membres du Gouvernement ou des parlementaires. Seul du menu fretin pourra ainsi être jugé par ces chambres ;
– Déjà entamée du fait de leur nature juridique, l’indépendance des chambres mixtes spécialisées sera vidée de tout son contenu si, comme le prévoit le projet de loi, la composante internationale de leur personnel dépendait, pour son recrutement, du pouvoir exécutif ;
– En l’absence des critères objectifs ainsi que d’une procédure indépendante du recrutement de leur personnel international, les chambres mixtes spécialisées risquent également de souffrir du manque d’une expertise éprouvée en matière de répression des crimes internationaux les plus graves et le renforcement des capacités du personnel national, objectif principal de leur mixité risque d’être hypothéqué ;
– Comme conséquence de ce qui précède, les moyens financiers et matériels que la Communauté internationale pourrait consentir pour le fonctionnement des chambres spécialisées risque de ne pas produire les résultats escomptés .
Lire le texte dans son intégralité
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Sur cette affaire, lire notamment http://www.congoforum.be/fr/nieuwsdetail.asp?subitem=1&newsid=145312&Actualiteit=selected.
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Marcel Wetsh’Okonda Koso Senga
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