«Guantanamo ne sert pas les intérêts de l’Amérique» et «continuera de saper la sécurité du pays» affirment 31 ex- généraux et amiraux américains, parmi lesquels figure le général Charles Krulak, ancien chef d’état-major de l’Air Force qui ont publiquement apostrophé le président Obama dans une lettre publiée par l’organisation Human rights First. Dans cette lettre, ils demandent notamment l’accélération des transfèrements de détenus de la prison de « Gitmo », comme est surnommé la prison de Guantanamo outre-Atlantique.
La réponse d’Obama à cette lettre, diffusée à l’occasion du douzième anniversaire de l’ouverture du camp, ne s’est pas fait attendre, et le président américain s’est une nouvelle fois engagé, lors de son discours sur l’état de l’Union, le 29 janvier 2014, à fermer le camp. « Depuis la fin de la guerre en Afghanistan il est indispensable que le Congrès lève dans le courant de 2014, les restrictions sur le transfert des détenus de Guantanamo, pour que nous puissions fermer cette prison, a-t-il affirmé gravement, parce que nous luttons contre le terrorisme non seulement à l’aide du renseignement et des opérations militaires, mais aussi en restant fidèles aux idéaux de notre Constitution et en donnant l’exemple au monde. »
Droits des détenus
C’était déjà l’une des promesses de campagne d’ Obama en 2008, et qu’il a réitérée à de nombreuses reprises depuis. Cinq ans plus tard, ce qui est au fil du temps devenu une tâche sur la bannière parsemée d’étoiles n’a toujours pas fermé. « Les personnes qui ont été envoyées à Guantanamo y ont été détenues sans inculpation ni procès, explique Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France. Elles y ont en outre subi des mauvais traitements, voire des actes de torture dans de nombreux cas ».
Très rapidement, le centre est donc devenu le symbole, avec la prison irakienne d’Abu Ghraïb, des violations des droits de l’Homme commis au nom de la lutte antiterroriste. Les organisations de défense des droits civiques, à l’instar du Center for constitutional rights, ont dû se battre avec l’administration américaine pour que celle-ci reconnaisse des droits aux détenus de Guantanamo.
Si aujourd’hui, « il n’existe plus de témoignage faisant état de cas de torture dans le camp, reprend Geneviève Garrigos, les conditions de détention sont telles qu’elles constituent en soi des mauvais traitements, au moins comparables à celles des prisons de haute sécurité qui existent sur le territoire américain (mise en isolement, privations sensorielles).» De nombreux détenus – ils ont été plus d’une centaine au pus fort du mouvement – se sont d’ailleurs mis en grève de la faim au printemps 2013 pour protester contre ces conditions de détention.
« Les prisonniers ne peuvent être renvoyés dans leurs pays
pour des raisons de sécurité… »
12 ans après l’arrivée des premiers détenus, sur les quelque 779 personnes qui ont pu être détenues à Guantanamo, il en reste donc un peu plus de 150, « dont la grande majorité ne peut être inculpée et est en plus considérée comme libérable par les autorités américaines, précise la présidente de l’organisation. Mais compte-tenu du fait que ces personnes ne peuvent être renvoyées dans leur pays d’origine pour des questions de sécurité les concernant, (notamment des risques d’incarcération, ou de torture à leur retour, ndlr) et que la population américaine n’en veut pas sur son territoire, elles sont bloquées à Guantanamo depuis 2 ou 3 ans. »
La seule solution trouvée jusqu’à maintenant, pour cette catégorie de détenus, a donc été de trouver des pays tiers qui acceptent de les prendre en charge. Mais peu se sont portés candidats. « Là où finalement, il y a pas mal d’hypocrisie, explique Geneviève Garrigos, c’est que les conditions de sécurité demandées par les Etats-Unis pour que des pays tiers les accueillent ces personnes – comme cela a été le cas pour ces Algériens accueillis en France, ou ces Ouïghours qui se sont retrouvés en Slovénie, en Albanie, ou encore aux îles Palaos -, sont tellement élevées, que les pays « amis » ont été très réticents à les accepter ».
Entre la pression exercée par les pays d’origine (la Chine, pour prendre l’exemple ouïghour), et les contraintes imposées par les Etats-Unis, ces personnes se retrouvent dans des situations absolument épouvantables. Pour d’autres pays, la question était d’un ordre plus politique : ce sont les Etats-Unis qui se sont mis dans une telle situation, pourquoi dès lors devraient-ils compter sur les autres pour s’en sortir. D’autant que la prison a longtemps été présentée, notamment par l’administration Bush, comme le lieu où se trouvaient les individus les plus dangereux de la planète, ce qui représente là encore un handicap, pour convaincre ces Etats de les accueillir aujourd’hui.
Parmi les détenus, figurent de ceux qui ne peuvent être inculpés, mais que les services américains ne veulent pas libérer parce qu’ils les considèrent comme présentant un risque réel pour leur sécurité, et « ceux-ci seraient donc détenus de façon illimitée, sans inculpation ni procès, ce qui est totalement contraire au droit international », s’insurge Geneviève Garrigos. Enfin, une quinzaine de détenus, sur lesquels pèsent des soupçons plus justifiés, devraient être jugés, mais ils encourent la peine de mort.
Il faut enfin préciser que toutes les personnes qui ont été libérées, après avoir été enlevées, puis détenues à Guantanamo, interrogées, voire torturées, n’ont aucune voie de recours pour être indemnisées pour les préjudices subis.
Une lente prise de conscience … Financière
La réaction des anciens cadres de l’armée qui ont interpellé le président Obama témoigne néanmoins d’une lente prise de conscience de la population américaine, jusque la pourtant dubitative quant aux arguments avancés par les ONG. Un autre argument, risque pourtant d’accélérer cette prise de conscience.
En juillet 2013, des élus démocrates ont pointé du doigt le coût accumulé du fonctionnement de Guantanamo pour les finances publiques américaines, ce qui les a amené à rebaptiser Guantanamo, la « prison la plus chère du monde ». Depuis 2002, il aurait en effet coûté la somme de près de 4,7 milliards de dollars (3,53 milliards d’euros), et environ 2,4 millions de dollars seraient dépensés par an pour chaque détenu. Un chiffre qui dépasse de loin ceux mis en avant par Obama lui-même, qui évoquait quelques mois plus tôt celui de 900 000 dollars par détenu.
Reste que jusqu’à maintenant, la balance penche encore du côté du refus d’accueillir ces fantômes du droit international sur le sol américain. Ils se retrouvent, pour la grande majorité d’entre eux, dans une situation totalement ubuesque, libérables sans être libres, à des milliers de kms de leur pays d’origine ou d’un éventuel pays d’accueil. « Il ne suffit pas que l’on prenne les gens qui sont à Guantanamo et que l’on les incarcère ailleurs, conclut Geneviève Garrigos. Ceux sont libérables doivent être libérés, et ceux qui doivent être jugés, doivent l’être lors d’un procès équitable. »
Selon certains juristes, le président Obama se cache derrière la responsabilité du Congrès pour éviter de prendre de lui-même la décision de fermer le camp. Ils estiment que, ce centre de détention ayant été créé par George Bush de façon dérogatoire, il peut tout autant être fermé de la même manière. Mais le risque politique est trop grand pour que le président s’engage sur une telle voie, et les chances de voir se refermer prochainement les portes de « Giton » de manière définitive demeurent très faibles.
Gaël Grilhot
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