Les droits de l’homme dans le monde arabe

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Osman el Hajjé est professeur, Président du Centre pour les droits de l’homme de l’Université Jinane. Il nous livre sa réflexion sur « droits de l’homme et monde arabe »…

homme musulman
Photographie IRIN

Beaucoup de personnes dans le monde arabe croient que les droits de l’homme sont inventés en Occident. Ils oublient que les premiers droits de l’homme connus sont apparus dans notre région avec les tablettes de Hammourabi, Moïse et ses dix commandements, le Christ et ses recommandations en faveur de la femme et de l’enfant, Mohammad avec ses appels à l’égalité, la solidarité et l’universalité des droits.

Les êtres humains ont compris depuis toujours qu’il est impossible de vivre en Paix, si les droits de la personne et sa dignité ne sont pas assurés, et la solidarité n’est pas établie entre les membres d’une communauté locale qui s’est élargie pour devenir nationale puis régionale et internationale avec l’apparition des religions monothéistes. Les guerres et révoltes leur ont montré que la Paix établie sur un rapport de forces aboutit à l’oppression et au despotisme et ne dure qu’un temps alors que la Paix par le respect des droits dure tout le temps.

Dans ce sens, la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui résume l’effort de l’humanité dans sa recherche de la Paix, et les conventions internationales, qui détaillent le contenu de cette Déclaration, ne peuvent être étrangères pour nous ou d’origine occidentale, puisque nous en sommes les précurseurs.

Quel est l’état des droits de l’homme dans le monde arabe ?

Trois exemples tirés des observations du comportement et expressions des personnalités politiques et d’autres personnes, ne s’occupant pas du quotidien des gens, donnent une idée de l’état général des droits de l’homme dans le monde arabe.

1. Lors des discussions avec les hommes politiques, et à la demande d’élargir et d’approfondir l’enseignement des sciences politiques, la réponse est toujours la même : vous voulez que tout le monde fasse de la politique ? Mais pourquoi pas et pourquoi cet ostracisme ?

Faire de la politique est un droit et un devoir moral, il est même obligatoire dans les pays qui sanctionnent, en infligeant des amendes aux citoyens qui ne participent pas aux élections et votations.

D’aucuns semblent oublier que le contrôle de l’activité de l’Etat et des responsables politiques reviennent aux citoyens et citoyennes et par leur intermédiaire à leurs représentants.

Par conséquent, enseigner les sciences politiques revient à mettre les citoyens en état de pouvoir exercer leurs droits qui sont à vrai dire leurs devoirs. Toute autre attitude constitue une négation de ce droit conduisant à l’indifférence ou au refus des citoyens d’adhérer aux alliances, regroupements, orientations politiques, économiques, sociales et culturelles adoptées et promues dans le cadre des structures institutionnelles de l’Etat et enfin de compte un affaiblissement de l’unité indispensable au fonctionnement et à la défense de ce même Etat contre toutes sortes d’ennemis.

D’une autre manière, il ne faut pas négliger notre culture qui conseille de recourir à la CHOURA chaque fois qu’il faut prendre une décision, ce qui suppose des connaissances politiques et une liberté d’exprimer ses opinions sans crainte, et de se regrouper avec ceux qui adoptent la même opinion non pas pour menacer mais pour mettre en marche la démocratie en donnant à l’opinion exprimée le poids nécessaire à sa prise en considération pour plus tard sa mise en oeuvre.

Ainsi, la CHOURA légitime d’une certaine manière le droit de constituer des associations de la société civile et des partis politiques avec des programmes écrits et visibles, permettant aux citoyens de se défendre, de défendre leurs droits et de décider en connaissance de cause ce qu’ils acceptent et ce qu’ils rejettent, sans improvisation.

2- Récemment, une personnalité arabe importante s’est permise de déclarer : Les intellectuels arabes sont critiques parce qu’ils aspirent au pouvoir. D’ailleurs beaucoup d’autres personnes expriment la même opinion en privé.

Elles semblent oubliées que l’ambition d’exercer le pouvoir, chez tout citoyen et a fortiori lorsqu’il s’agit d’un intellectuel, est légitime et doit être encouragée, lorsque elle n’outrepasse pas le cadre des lois existantes, et que la division du Monde musulman entre Chiites et Sunnites, que nous subissons depuis le premier siècle de l’Islam, était au départ un refus du maintien de la succession du Khalifat dans une seule famille, même si c’est la famille du Prophète, repos pour son âme, et une exigence de l’ouverture de l’exercice du pouvoir à tout membre que la Communauté juge apte à l’exercer dans l’intérêt de tous.

Alors, faut-il que les intellectuels assistent sans broncher à l’humiliation subie quotidiennement par leurs concitoyens, privés des droits les plus élémentaires à la santé, l’éducation, le travail, la justice indépendante et impartiale et la sécurité, sans parler des droits civils et politiques ?

2. Lors d’un colloque, une intervention sur les Conventions des droits de l’homme a été prononcée. Alors, l’occasion m’a permis de demander à l’orateur pourquoi il n’a pas proposé la diffusion et la promotion de ces conventions dans le public à plus large échelle ? La réponse était qu’il n’en voyait pas la nécessité!

Etrange réponse, lorsqu’on sait qu’il ne suffit pas d’inscrire les droits sur les papiers mais qu’il faut les mettre en œuvre et à cet effet, il faut les faire entrer dans les esprits de tout un chacun, un droit reste à l’état virtuel tant qu’il n’a pas acquis l’adhésion de tous, ce qui ne s’obtient pas sans effort d’explication et de promotion.

Ces trois exemples me font dire que le Monde arabe vit dans le domaine des droits de l’homme plusieurs contradictions profondes. J’en relève quelques unes :

1. Les citoyens ont des droits fondamentaux inscrits dans les lois et les constitutions mais ils n’ont pas les moyens pour les exercer, à cause des pesanteurs psychologiques et sociales qui relèvent de l’histoire, et qu’ils ne veulent pas payer le prix nécessaire à l’exercice de ces droits.

2- Ceux qui détiennent le pouvoir le considère comme une propriété qui rapporte des revenus et toute critique de son exercice, par l’usage de la liberté d’expression, devient une violation de l’exercice d’un droit, prérogative, engendrant une condamnation et une sanction, alors qu’un pouvoir est une fonction qui ne peut être exercée sans contrôle et enfin de compte sans critique, autrement elle se transforme en despotisme insupportable.

3- L’Etat n’assume pas son rôle de faciliter la liberté d’expression et de regroupement des citoyens. Ces droits constituent le fondement de la démocratie et les instruments indispensables pour son fonctionnement. Or, l’histoire a montré que sans démocratie et participation des citoyens aux affaires de l’Etat aucun développement ne peut être durable.

Que peut-on faire dans ces conditions ?

Des siècles de soumission, sous différents régimes despotiques ou autoritaires, ont forgé une mentalité d’indifférence et de fatalisme avant l’avènement de l’indépendance. Pourtant, une telle situation ne peut se maintenir sans affaiblir l’indépendance de l’Etat acquise très chèrement, et celui-ci ne peut se développer sans l’adhésion des citoyens aux institutions établies en respectant et en protégeant leurs droits.

Les exemples sous nos yeux, de l’effondrement de plusieurs empires faute du respect des droits fondamentaux de la personne humaine sont nombreux, et les intellectuels arabes ne peuvent échapper à leur destin et leurs devoirs de travailler à la diffusion et la promotion des droits de l’homme quoi qu’ils leur coûtent et cela en expliquant, par l’écrit et la parole, en organisant des séminaires et colloques, prêchant la culture des droits de l’homme et le respect de la dignité humaine.

Osman el Hajjé

Osman el Hajjé

Osman el Hajjé est professeur, Président du Centre pour les droits de l’homme de l’Université Jinane (Tripoli/Liban).

Osman el Hajjé

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