« Chroniques du Darfour » de Jérôme Tubiana.

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Rebelle au DarfourLes médias sont souvent accusés de traiter de manière manichéenne les conflits lointains. Certains des journalistes avec lesquels j’ai évoqué la question imputent cette simplification à la complexité même de contextes comme celui du Darfour, d’autres estiment aussi que les choses sont souvent aggravées par une sorte d’effet de « masse » : à partir du moment où, souvent dans l’urgence, une partie peu connue du globe connaît une soudaine médiatisation, une grille de lecture s’impose. C’est ce qui s’est passé au Darfour à partir de 2004, et beaucoup ont alors considéré que contester ou nuancer la perception la plus répandue était peine perdue.

Dans Chroniques du Darfour (éditions Glénat), je n’ai pas voulu m’opposer frontalement à cette perception, mais simplement revenir à la réalité de la manière la plus évidente, par le récit et la photographie. J’ai tenté de raconter cette guerre au plus près du terrain, en prenant la parole et en la donnant à ses acteurs, connus ou anonymes, civils et combattants, quelle que soit leur ethnie, quel que soit leur camp. Ce sont les faits eux-mêmes qui parfois démontrent, vont à l’encontre des idées reçues et de la vision véhiculée par une partie des médias et des organisations militantes. Dans cette guerre comme dans d’autres, la neutralité a été écornée par ceux qui ont peint les groupes rebelles, de manière angélique, en héros en lutte contre un gouvernement forcément diabolique.

Dès le premier chapitre de Chroniques du Darfour, on voit que les civils ont été aussi bien victimes du gouvernement que des rebelles, dont les soucis sont bien plus politiques qu’humanitaires. Comme dans toutes les guerres, sans doute.

Mais la simplification de loin la la plus néfaste a été, en gommant au passage les revendications éminemment politiques des rebelles, de présenter ce conflit comme un massacre de civils «africains» par un gouvernement et des milices «arabes». On verra dans Chroniques du Darfour que les Arabes sont aussi africains que les autres.

Chaque témoignage rappelle à quel point le Darfour est composé de communautés multiples, particulièrement imbriquées et métissées. On voit aussi que certains Arabes ont eu des raisons, bonnes au mauvaises, de combattre pour le compte du gouvernement. On voit enfin que beaucoup ne l’ont pas fait et que certains, de plus en plus, ont au contraire rejoint les rebelles.

Enfin, on voit à quel point cette simplification du conflit a eu des effets négatifs sur le terrain, creusant les divisions entre les communautés, rendant plus difficile la réconciliation. Mais le plus étonnant est sans doute que la Cour pénale internationale ait repris à son compte la description « raciale » (extermination planifiée des « Africains ») du conflit.Quoi qu’on pense de la légitimité de la justice internationale, on ne peut qu’être surpris qu’une institution censée être impartiale puisse faire un véritable coupé-collé d’un discours réducteur et stigmatisant.

Cela nous rappelle que la justice, même parée d’un étendard international, est aussi une affaire d’hommes et de politique, et en l’occurrence d’un homme, le procureur Luis Moreno-Ocampo, dont le bras-de-fer avec le président soudanais semble répondre à des considérations moins juridiques, que, justement, médiatiques. Rien d’étonnant dès lors qu’il se livre aux mêmes raccourcis spectaculaires que certains médias – en comparant par exemple les camps de déplacés aux camps d’extermination de la Shoah -, mais sans l’excuse de l’urgence ou de l’audience.

L’institutionnalisation d’une vision erronée n’est pas seulement dangereuse en raison de son impact sur le terrain aujourd’hui, elle pose aussi problème par rapport à demain. Les juges n’ont pas vocation à écrire l’histoire, mais ils contribuent à ce qu’on appelle désormais la « mémoire » d’événements lors desquels des crimes de masse ont été commis. Que retiendra-t-on du Darfour demain ?

Jérôme Tubiana

Jérôme Tubiana

Jérôme Tubiana, chercheur, journaliste, vient de publier Chroniques du Darfour (éditions Glénat)