Crise migratoire : plaidoyer pour un visa européen

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camp de Vathy en Grece
camp de Vathy en Grece

Depuis 2015, l’Europe est confrontée à une arrivée importante de migrants qualifiée, à tort, de «crise migratoire». La migration est un élément clé de l’histoire de l’Europe, puisqu’elle a façonné la société européenne. Toutefois, depuis quelques années et au fil des arrivées, l’immigration est devenue un sujet proéminent dans les débats et la question migratoire est un enjeu électoral incontournable.

Devant les images de familles réfugiées en exil, naufragées sur les plages grecques ou
exténuées sur la routes des Balkans, il apparaît clairement que l’Europe n’a pas été à la hauteur des enjeux. En effet, les politiques migratoires européennes semblent avoir davantage contribué à la multiplication des drames et à la violation des droits fondamentaux des hommes et des femmes venant chercher refuge en Europe, qu’à leur diminution.

Au lieu de prendre acte de l’échec de ses politiques migratoires, l’UE et ses États membres ont répondu à l’afflux de personnes tentant de rejoindre l’Europe par une politique répressive de limitation drastique de la mobilité, les conduisant à déployer aux frontières des dispositifs policiers et militaires, à édifier des murs, et à conclure des accords de coopération indignes avec la Libye et la Turquie pour empêcher les personnes migrantes d’atteindre le territoire européen.

Cette politique de fermeture se mène au mépris des droits humains fondamentaux, et au prix de pertes humaines considérables sur les routes de l’exil. Une politique qui voit se développer une forme de compétition entre États, pour déterminer qui aura la politique la plus à même de dissuader les migrants d’entrer sur son territoire national.

Près de quatre ans après le début de la «crise migratoire», la coopération européenne en
matière de politique migratoire relève du «chacun pour soi», démontrant une véritable crise de solidarité entre les États membres. L’échec du mécanisme de relocalisation et le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de nombreux pays, sont des symptômes d’une Europe divisée et en mal de construction commune. Trente ans après la création de l’espace Schengen quand est-il de la solidarité, de l’entraide et de la coopération européenne ?

Parce que les voies légales de migration vers l’Europe se sont resserrées, les demandeurs
d’asile sont nombreux à tenter une immigration illégale, en empruntant des routes toujours plus dangereuses. Légalement, l’asile est un droit humain fondamental, qui s’appuie sur de nombreux textes internationaux, notamment l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne et la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.

L’asile est aussi un devoir moral, que l’Union européenne semble avoir oublié, elle qui incarne la terre des droits de l’Homme. Il est impératif d’humaniser et d’harmoniser le régime d’asile commun afin de mettre un terme aux drames humains sur les routes de l’exil et dans les camps de rétention. L’Union européenne ne doit ni rester spectatrice ni rester de marbre devant l’urgence humanitaire à ses portes.

L’édification des politiques migratoires européennes doit cesser de se faire en se basant sur des discours xénophobes, alimentant les peurs et mêlant migration et terrorisme. Il est indispensable que les États aient le courage et l’ambition de surmonter les frilosités nationales afin de penser d’autres politiques facilitant la circulation des personnes migrantes, en développant des voies de migration sûres et légales, et par la mise en place d’un visa « asile » européen, pour leur permettre d’accéder au territoire européen afin d’y effectuer une demande de protection internationale.

Le droit d’asile en Europe victime de la politique migratoire

Le contexte de 2015, marqué par une hausse significative des arrivées de personnes en quête de protection ainsi que plusieurs attentats terroristes sur le sol européen, a engendré une suspension des accords Schengen et un rétablissement des contrôles systématiques aux frontières intérieures de l’UE. Barrières, points de contrôles et obstacles ne cessent de se multiplier partout à l’intérieur de l’Europe, mettant à mal la circulation des personnes étrangères.

Par ailleurs, dans les discours des responsables européens et nationaux ainsi que dans les
médias, la lutte contre l’immigration irrégulière et la lutte contre le terrorisme se confondent régulièrement. Cet amalgame a fortement contribué à la montée des populismes en Europe, dont les fers de lance considèrent que l’accueil des personnes migrantes est à l’origine des difficultés économiques et des questionnements identitaires des sociétés européennes.

Près de quatre ans après le début de la «crise des migrants», et alors que les arrivées sur le sol européen ont nettement baissé, les restrictions à la circulation des personnes, en particulier étrangères, n’ont pas cessé. Force est de constater que l’Europe, celle qui incarne la terre des droits de l’Homme, a choisi la fermeture, le repli sur soi et l’indifférence.
Partout en Europe, la «crise des migrants» et le terrorisme ont servi de prétexte à l’UE et à ses États membres pour multiplier et intensifier les dispositifs de contrôle et de surveillance aux frontières intérieures. Par ailleurs, des kilomètres de clôture ont été construits pour «défendre l’Europe».

A l’été 2015, alors que des milliers de migrants empruntaient la route des Balkans pour rejoindre le Nord et l’Ouest de l’Europe, clôtures, barrières et murs se sont multipliés en Macédoine, Grèce, Bulgarie, Hongrie et Slovénie. L’exemple hongrois, en matière de fortification des frontières est sans doute le plus impressionnant. En Hongrie, un mur de barbelés de quatre mètres de haut et de 175 kilomètres de long a été construit et ferme désormais le passage entre la Hongrie et la Serbie, et une clôture de 41 kilomètres ferme dorénavant la frontière avec la Croatie.
Le gouvernement hongrois a équipé ces clôtures de caméras, de systèmes d’alarme, de
haut-parleurs diffusant un message d’avertissement aux migrants, et utilise des drones et des hélicoptères pour patrouiller. «Afin de mettre fin à l’immigration par tous les moyens», la Hongrie a ainsi construit une barrière physique et technologique pour empêcher les migrants d’entrer sur son territoire.

88.41 millions d’euros en 2011 contre plus de 320 millions en 2018
pour la protection des frontières européennes

L’UE a également réformé de nombreux textes européens en matière migratoire, notamment le régime d’asile européen commun et les systèmes de surveillance et bases de données européennes, et ce, dans l’objectif de trier les migrants aux frontières extérieures et de les empêcher de circuler une fois entrés sur le territoire européen. Pour répondre à ces attentes, l’UE a aussi renforcé le mandat ainsi que les moyens financiers et humains de l’agence européenne de garde-frontières et garde-côtes. En outre, le budget de l’agence est passé de 88.41 millions d’euros en 2011 à plus de 320 millions d’euros en 2018, afin d’améliorer et de renforcer la protection des frontières extérieures de l’UE.

A la suite du naufrage de deux bateaux en Méditerranée début 2015, causant la mort de 1200 personnes migrantes, la Commission a pris des mesures politiques et financières pour répondre à «l’impératif absolu de protection des personnes dans le besoin». Malgré ces bonnes intentions affichées, l’augmentation du nombre de personnes mortes et disparues en mer a surtout justifié un renforcement des mesures répressives, allant jusqu’à l’externalisation des politiques migratoires européennes vers des pays tiers considérés comme stratégiques.

Dans le but de contenir les personnes exilées le plus loin possible des frontières européennes, les États membres n’ont pas hésité à conclure des accords de coopération avec des régimes autoritaires comme la Libye ou la Turquie, et ce, malgré les atteintes graves et systématiques aux droits humains dans ces pays. L’Italie, soutenue par l’UE, avance par exemple que coopérer avec la Libye, en formant les gardes-côtes libyens, permettrait de limiter les départs en mer et par conséquent, le nombre de décès. Depuis la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, le passage vers les îles grecques est quasiment impossible pour les migrants venant de Turquie.

Ceux qui sont parvenus, malgré tout, à atteindre les côtes grecques se retrouvent bloqués dans les hotspots, et attendent d’être accueillis dans un pays européen volontaire.
Malgré la baisse effective du nombre d’arrivées par la mer, (115 000 en 2018, 170 000 en 2017, 360 000 en 2016, 1.4 millions en 2015) force est de constater que le volet sécuritaire a pris l’ascendant sur le volet sauvetage en mer.

En effet, la priorité du mandat de l’agence européenne de garde-frontières et garde-côtes n’est pas la recherche et le sauvetage en mer mais la lutte contre le franchissement irrégulier des frontières extérieures. Le sauvetage en mer relève pourtant d’une obligation internationale qui s’applique à tous les acteurs maritimes.

L’opération Thémis, lancée le 1er février 2018, qui vise à «aider l’Italie dans les activités de
contrôle des frontières» en Méditerranée centrale, revient «à sous-traiter à la Libye les eaux internationales au mépris total du droit au secours en mer». L’Europe, qui feint d’ignorer les conventions internationales et le droit de la mer, orchestre la non-assistance des migrants en détresse. L’argument avancé par les autorités européennes, arguant qu’il s’agit d’un moyen de dissuasion pour éviter de nouveaux départs, ne les exonère pas d’une lourde responsabilité dans les 16 862 morts et disparitions en Méditerranée enregistrées par l’OIM depuis 2014.

Violation des droits fondamentaux

Les frontières intérieures et extérieures sont désormais omniprésentes, et les politiques
répressives qu’elles génèrent se disséminent à toutes les étapes du parcours des migrants, en amont et en aval des lignes frontalières européennes, rendant particulièrement difficile l’accès au territoire européen pour les personnes en quête de protection.
Conséquence directe de la fermeture des frontières intérieures et extérieures, les routes vers l’Europe sont plus sélectives, plus longues et plus dangereuses pour les personnes exilées. Elles occasionnent notamment un accroissement de la vulnérabilité et de la précarité des migrants, et génèrent des violations des droits fondamentaux.

En faisant le choix d’une politique migratoire sécuritaire, l’Europe déroge à l’application du droit d’asile dans les États membres de l’UE. Le droit d’asile est un droit fondamental consacré par l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui stipule que «devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile dans d’autres pays» ; et reconnu par la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne et la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.

De même, la politique de fermeture que mène l’UE constitue une violation des droits fondamentaux, dans la mesure où elle déroge à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, en vertu duquel «toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État».

La fermeture des frontières extérieures et intérieures empêche les demandeurs d’asile d’avoir accès au territoire européen pour y déposer une demande de protection, et constitue une entrave délibérée aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile.

L’enfermement des demandeurs d’asile aux frontières de l’Europe

Dévoilée en 2015, l’approche hotspots est présentée par l’UE comme une manière de résoudre le problème que l’arrivée des migrants pose aux États situés en première ligne, notamment la Grèce et l’Italie. Depuis la déclaration entre l’UE et la Turquie, la Grèce sert de garde frontière à l’UE. Bien que l’accord de réadmission des migrants du 18 mars 2016 ait fait chuter le nombre d’arrivées de Turquie par la mer, passant de 173 450 en 2016 à 29 716 en 2017, ce chiffre s’est accru en 2018 passant à 50 500 arrivées.

Cette hausse se constate autant sur la voie maritime qu’à la frontière terrestre gréco-turque. Le nombre de morts et disparus a également augmenté, passant de 59 à 187 personnes. Malgré la mise en oeuvre de la déclaration UE-Turquie, la situation en Grèce reste particulièrement critique voire se dégrade pour les demandeurs d’asile et les migrants maintenus dans les hotspots sur les îles grecques.

Actuellement, près de 14 550 migrants sont bloqués dans des camps surchargés sur cinq îles grecques (Lesbos, Samos, Chios, Kos et Leros), en attendant l’examen de leur demande d’asile. Parmi ces personnes, 35% sont des hommes, 20% des femmes, 21% des enfants dont 11% de mineurs non accompagnés. La plupart des personnes arrivées en Grèce ont fui des pays déchirés par la guerre, comme la Syrie (38%), l’Irak (22%), l’Afghanistan (13%), la République Démocratique du Congo (5%), le Cameroun (4%), en quête de sécurité et d’une vie meilleure. La plupart s’attendaient à vivre dans des conditions plus dignes en rejoignant l’Europe. Leurs espoirs sont déçus.

Les hotspots, ces lieux dans lesquels sont confinés les demandeurs d’asile, servent avant tout de dispositifs de tri, bien plus que d’accueil. Par le biais de l’enfermement, dans le cas  de la Grèce, ils permettent de décider de l’admission sur le territoire européen des personnes qui demandent l’asile, ou bien de l’expulsion de celles considérées comme indésirables. Les demandeurs d’asile ont l’obligation de rester dans les camps jusqu’à la fin de la procédure d’asile, sauf pour les personnes vulnérables et les cas de réunification familiale dans le cadre du Règlement Dublin.

La moyenne d’attente pour les demandeurs d’asile sur les îles grecques est
de 5 mois, et le HCR estime que 200 personnes sont en attente sur les îles depuis 2016. Pourles personnes vulnérables, les délais d’attente avant d’être transféré sur le continent  grec sont également longs. Il faut attendre l’entretien d’évaluation de la vulnérabilité, puis le temps de transfert si la vulnérabilité est avérée qui est souvent retardé par le manque de  places sur le continent grec.

Les camps d’accueil de Moria et de Vathy :
9 000 personnes pour une capacité de 3 000 places,
4500 personnes pour 648 …

Le manque de dispositifs médicaux, de travailleurs sociaux et d’interprètes crée
des délais importants, ce qui rallonge la durée de séjour des demandeurs d’asile dans les
hotspots, vulnérables ou non. En outre, les conditions de vie précaires au sein de ces centres créent des situations de vulnérabilité qui peuvent s’ajouter à celles déjà existantes pour certains demandeurs d’asile.

En mars 2019, une équipe d’AMEL France s’est rendue sur les îles de Lesbos et Samos pour y constater la situation humanitaire des migrants dans les camps d’accueil et d’identification de Moria et Vathy. Sur l’île de Lesbos, le camps de Moria héberge plus de 9 000 personnes pour une capacité de 3 000 places. Sur l’île de Samos, le camp de Vathy héberge plus de 4 500 personnes dans un espace prévu pour 648. La situation humanitaire dans le camp de Vathy s’est particulièrement détériorée ces dernières années à cause notamment d’une surpopulation croissante liée aux longues procédures de demande d’asile.

Les équipements sanitaires sont inadaptés : un grand nombre de personnes est hébergé dans des tentes ; il y a 50 douches pour l’ensemble du camp, soit l’équivalent d’une douche pour 70 personnes. L’accès à l’eau et à l’alimentation est insuffisant : il faut compter deux heures d’attente par repas distribué, et la plupart du temps, il n’y a pas assez de nourriture pour tout le monde ; la quantité d’eau journalière distribuée par personne est d’1.5 litre, quelle que soit la température extérieure, une quantité en dessous des standards humanitaires qui recommandent 2.5 à 3 litres d’eau par jour.

Les services de santé sont quasi inexistants. Force est de constater que les personnes bloquées sur l’île de Samos vivent dans des conditions indécentes et inhumaines.
Faute de places dans des camps surchargés, des centaines de personnes se massent à
l’extérieur, et parmi eux des personnes de plus en plus vulnérables, comme des mineurs non accompagnés, des femmes enceintes, des personnes âgées ou encore des gens souffrant de maladies ou de troubles psychologique liés aux traumatismes qui les ont poussé à fuir de leurs pays.Ces personnes n’ont pas accès aux douches, ni aux sanitaires, et sont ainsi contraintes de vivre dans un environnement de plus en plus insalubre.
Les problèmes de promiscuité augmentent les risques de transmission des maladies contagieuses. La dégradation des conditions de vie entraîne des souffrances pour les migrants et alimente les tensions et les protestations au sein des camps.

Alors que l’autorisation de rejoindre le continent pourrait permettre de désengorger les camps dont les capacités sont saturées, le gouvernement grec oeuvre activement pour  empêcher la liberté de circulation des migrants sur le territoire pour poursuivre leur exil vers le continent européen. Cette entrave constitue une violation d’un droit humain fondamental, consacré par l’article 13 de la Déclaration universelle des droits
de l’Homme, en vertu duquel «toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État».

Une politique de confinement qui pousse les migrants
à mettre leur vie en péril pour entrer illégalement

En plus d’être cruel, ce système de confinement pousse de nombreux migrants à poursuivre leur exil de manière dangereuse et illégale.N’ayant presque aucuns moyens  légaux pour entrer sur le territoire européen, nombreux sont ceux qui, après avoir économisé pendant des mois l’aide financière que leur fournit l’UE, font
appel à des passeurs et s’engagent ainsi dans un périple dangereux, parfois au péril de leur vie. Depuis des années, la lutte contre les passeurs et la traite d’êtres humains sert de justification aux États européens pour prendre des mesures pour lutter contre l’immigration irrégulière. Mais la réalité démontre que l’Europe sous-traite de manière indirecte le transfert des migrants sur le continent européen.

Non seulement la politique migratoire de l’UE et ses États membres a réduit
les possibilités d’accéder au territoire européen, mais elle a aussi contribué à renforcer les
réseaux de passeurs et la traite d’êtres humains contre lesquels ils disent lutter.

Après pratiquement quatre ans de fonctionnement, les observation des ONG et les témoignages des personnes exilées ont montré que la politique de confinement des migrants sur les îles grecques est une absurdité et un échec. Elle s’est révélée inhumaine et  déshumanisante, causant des atteintes aux droits humains, et n’a pas permis d’enrayer les flux migratoires, puisqu’elle a conduit de nombreux migrants à confier leur vie à des personnes peu scrupuleuses profitant de leur détresse pour s’enrichir.

Il est impératif que les migrants qui sont retenus dans les hotspots soient traités avec humanité et dignité et que l’UE développe des voies de migration sûres et légales pour leur permettre d’accéder au territoire européen pour y effectuer une demande de protection internationale.

Proposition : mise en place d’un visa «Asile» européen

La «crise des migrants» que connaît l’UE depuis 2015 a mis en lumière l’un des grands paradoxes du droit international et européen de l’asile : autant le droit de fuir la persécution et de chercher l’asile est garanti, autant le droit d’atteindre le territoire d’un pays tiers en vue de solliciter l’asile ne l’est pas.

L’accès au territoire européen, déjà  périlleux dès lors qu’il s’agit de traverser la mer, est rendu excessivement difficile par les États membres qui multiplient les obstacles frontaliers dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière devenue l’objectif
essentiel de la politique européenne.
Ces réactions contraignent les demandeurs d’asile à emprunter des voies toujours plus  périlleuses, seuls moyens d’accéder à l’Europe.

S’il existe certaines voies d’accès légales et sûres, elles sont largement insuffisantes, puisque 90% des personnes qui ont obtenu le statut de réfugié ou la protection subsidiaire dans l’Union européenne sont entrées par des voies irrégulières en empruntant des routes de l’asile dangereuses, parfois au péril de leur vie.

Les visas humanitaires, prévus par le Code communautaire des visas, constituent une
autorisation d’entrée sur un territoire accordée aux personnes justifiant d’une persécution à titre individuel ou d’une situation individuelle humanitaire particulièrement grave.
La question des visas humanitaires est directement liée à l’espace Schengen et à son
fonctionnement.

L’acquis Schengen règle la zone « espace de liberté, de sécurité et de justice ».
Il est composé du Règlement (CE) n°562/2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (Code frontières Schengen) et du Règlement (CE) n°810/2009 établissant les procédures et conditions de délivrance des visas de court séjour (Code communautaire des visas).

Ces deux codes signifient que les pays de l’espace Schengen ont fait le choix d’appliquer une série de règles communes pour contrôler les personnes aux frontières extérieures et délivrer des visas de court séjour dans la zone Schengen. L’acquis Schengen laisse les États membres libres de déterminer le régime des visas de long séjour, ce qui implique que les critères de délivrance comme les procédures varient fortement d’un pays à l’autre.

Par ailleurs, la Cour de Justice de l’Union européenne laisse aux États membres une grande marge d’appréciation de la situation personnelle des demandeurs d’asile et de la notion de «raisons humanitaires». Seuls huit États membres proposent la possibilité de délivrer un visa long séjour pour des «raisons humanitaires» (Belgique, Allemagne,
France, Hongrie, Italie, Luxembourg, Lettonie, Pologne).

Force est de constater qu’il n’existe pas de normes communes relatives à un régime de visas humanitaires dans l’UE. En l’absence d’une harmonisation des politiques des États membres en la matière, chacun est donc libre de décider souverainement ce qu’il entend  par «raisons humanitaires».
Cette absence de normes communautaires a conduit des milliers de personnes
fuyant un conflit ou la persécution à risquer leur vie lors de voyages dangereux et a contribué à consolider l’influence des réseaux de passeurs.

L’absence de mécanisme de protection clairement défini pour accéder au territoire européen dispense de fait les États membres de respecter leurs obligations en matière de protection des réfugiés et de respect des droits fondamentaux. L’idée que nous soutenons est la mise en place d’un visa humanitaire européen spécifique pour les demandeurs d’asile qui offrirait aux ressortissants de pays tiers la possibilité de candidater à l’entrée sur le territoire européen sur la base de critères humanitaires, garantissant ainsi que les États membres respectent leurs obligations internationales.

Les consulats et les ambassades de chaque État de l’UE devraient être autorisés à délivrer des visas humanitaires aux personnes souhaitant effectuer une demande de protection internationale dans l’Union européenne. Ce type de visa permettrait à
leur détenteur d’entrer légalement et en toute sécurité sur le territoire du pays qui a délivré le document pour y demander l’asile.

Cette mesure permettrait ainsi de pallier le manque d’harmonisation des voies d’entrées sûres et légales pour les demandeurs d’asile dans l’UE. La mise en place d’un visa «asile» européen serait une mesure forte, alors que les débats autour de l’instauration d’un système d’asile commun européen semblent s’enliser.
Une telle mesure représenterait une véritable avancée dans le développement des voies légales de migration pour les demandeurs d’asile. Elle permettrait notamment de faire baisser le nombre intolérable de décès en Méditerranée et sur les routes migratoires vers l’UE (près de 30 000 personnes ont perdu la vie en tentant de rejoindre l’Europe depuis 2000).

Bien que la mise en place d’un visa humanitaire européen induirait un coût  financier important, rappelons que la lutte contre les passeurs et le trafic d’êtres humains pèse lourd sur le budget de l’UE et ses États membres, et il en va surtout de la préservation et la dignité des vies humaines. Plutôt que d’allouer des fonds supplémentaires au contrôle des frontières, l’octroi de visas «asile» européens permettrait aux personnes souhaitant effectuer une demande d’asile d’accéder au territoire européen légalement, neutralisant ainsi les réseaux de passeurs.

La mise en place d’un tel outil contribuerait donc à optimiser le budget des États membres et de l’UE en matière d’asile et d’atteindre l’objectif de sécurisation des frontières si cher à l’Europe. Cette mesure permettrait aussi d’assurer une meilleure régulation des arrivées, de mieux gérer l’accueil et le traitement des demandes d’asile et une meilleure répartition des réfugiés au sein des États membres pour soulager les zones de premier accueil, en particulier la Grèce.

La législation européenne sur les visas humanitaires que nous soutenons est indispensable. Le visa «asile» européen est une nécessité et il doit être appliqué par l’ensemble des États
membres, et pas seulement quelques-uns. De même, l’octroi d’un visa humanitaire ne doit plus être une faveur des États membres, mais un droit.

Depuis 2015, l’Union européenne et ses États membres sont confrontés à l’augmentation des arrivées de personnes fuyant la guerre et la persécution, en quête de protection. Face à cet afflux de personnes migrantes, l’Union européenne et ses États membres répondent par des politiques migratoires répressives, conduisant au déploiement de dispositifs policiers et militaires pour renforcer la surveillance et le tri aux frontières extérieures et de pratiques de contrôle, de tri et de refoulements aux frontières intérieures de l’espace Schengen, alors que la libre circulation des personnes est censée y être garantie.

Des observations sur le terrain, ressort un constat alarmant : le seul moteur des politiques
européennes est de décourager l’arrivée sur son territoire de personnes en quête de protection.
Pour se faire, l’Union européenne n’a pas hésité à externaliser à des pays tiers, tels que la Libye ou la Turquie, la surveillance des frontières et l’accueil de personnes migrantes afin de les contenir le plus loin possible des frontières européennes. L’approche hotspots, déployée en Italie et en Grèce, s’est traduite par la création de camps de confinement, si ce n’est de détention, surpeuplés et sous-équipés, où le tri des arrivants se fait au mépris du droit européen et international en matière d’accueil des demandeurs d’asile et de respect des droits humains fondamentaux.

Force est de constater que l’Union européenne et ses États membres s’obstinent à renforcer des politiques migratoires qui ne fonctionnent pas. Non seulement elles n’ont pas permis d’enrayer les flux migratoires, mais les dispositifs mis en oeuvre pour contenir l’arrivée des personnes migrantes se sont révélés inhumains et déshumanisants, occasionnant la mort de milliers de personnes et des atteintes aux droits humains fondamentaux.
Ces politiques ont également entraîné dans leur sillage la montée d’une xénophobie grandissante à l’égard des personnes étrangères. Triste réalité, l’Europe est aujourd’hui l’une des destinations les plus dangereuses et meurtrières au monde pour les personnes en quête de protection.

La fermeture des frontières : un contresens historique…

La migration est pourtant un élément clé de l’histoire des Européens, puisque ce sont les
mouvements de population qui ont façonné la société européenne. La fermeture des frontières et la rupture de l’accueil des personnes migrantes constituent ainsi un contre-sens historique, sans parler du fait que l’Europe contrevient à l’application du droit d’asile dans les États membres de l’Union européenne.

L’arrivée de personnes en quête de protection, pose de nombreux enjeux politiques,
économiques et sociaux à l’Union européenne, qui dépassent largement la question migratoire. Les réponses européennes se doivent d’être à la hauteur de ses ambitions : solidaires et protectrices des droits humains. Il est impératif que l’Union européenne et ses États membres imaginent des politiques ambitieuses favorisant les mobilités au lieu de les entraver, notamment par la mise en place d’un visa «asile» européen, qui permettrait aux personnes souhaitant effectuer une demande d’asile d’accéder au territoire européen de manière sûre et légale.

Les États doivent renforcer les dispositifs d’accueil et d’intégration des personnes migrantes et protéger les droits humains. Il est également essentiel de prévoir un financement pour soutenir les pays de premier accueil. Le regard de la société sur les migrations doit également changer et s’émanciper d’une vision faisant trop souvent l’amalgame entre sécurité et liberté, migration et terrorisme. Il est impératif de transformer l’hostilité en hospitalité, car il en va de l’avenir de l’Europe et des droits de ces citoyens et citoyennes.

Lea Thomas

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