Pour s’imaginer le problème que posent les ONG occidentales dans le tiers-monde, on peut se rappeler les questions de souveraineté posées en France par l’ingérence du fonds souverain du Qatar dans les banlieues.
Toutes les batailles politiques sont aussi menées au nom de la légitimité. Belligérants ou acteurs politiques, chacun s’efforce de prouver que son exercice du pouvoir est bien fondé, dans la morale autant que dans les urnes.
Dans le feu et le sang d’Abidjan, l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo n’a cessé de pousser ses émeutiers et ses communicants avec pour seul message : « Mal élu peut-être, mais ceux qui veulent le destituer sont des usurpateurs. » Nombre de dictateurs se maintiennent au pouvoir par défaut d’alternative : leur légitimité, c’est la paix civile. Dans une Europe malade, les gouvernements de « technocrates », sans mandat et sans onction électorale, sont la panacée à la débandade d’une classe politique clownesque. Les bigots d’Allah ont gagné les élections en Tunisie et en Egypte, non pas seulement au nom de leur projet politique mais également au nom des souffrances qu’ils ont subies sous le régime des tyrans. Et un baron de la droite française a eu, il y a peu, l’incroyable culot d’affirmer que la gauche, dans la monarchie constitutionnelle taillée pour le général De Gaulle, était arrivée au pouvoir « par effraction ». Le suffrage universel est une chose, la légitimité en est une autre.
Il en est de même pour les ONG, qu’elles soient médicales ou de plaidoyer. L’éditorialiste ougandais Andrew Mwenda a publié l’autre jour dans le quotidien The Independent une intéressante étude polémique sur la « tyrannie des organisations des droits de l’homme », accusant ces dernières d’imposer à des sociétés en pleine structuration une usurpation prétendument émancipatrice du pouvoir, faisant des Africains des « spectateurs » de leur propre destin. Pour provocatrice ou incendiaire que soit cette thèse (du fait notamment qu’il s’agissait, par ailleurs, de faire la promotion de l’Etat policier du président rwandais Paul Kagamé), elle n’en pose pas moins une question importante : qu’est-ce qui fonde, encore aujourd’hui, la légitimité de l’intervention humanitaire ?
Si l’universalité des droits humains et l’égalité absolue des individus participent certes à fonder la « solidarité internationale », celle-ci entend parfois puiser sa légitimité dans l’inégale distribution des richesses. Principe philosophique ratifié par des traités internationaux d’un côté, posture morale de l’autre. Donc, pour s’imaginer le problème que posent les ONG occidentales dans le tiers-monde, on peut se rappeler les questions de souveraineté posées en France par l’ingérence du fonds souverain du Qatar dans les banlieues.
Je n’accuse pas les ONG d’être néo-colonisatrices ou illégitimes. Je dis simplement qu’elles feraient bien, comme tente de le faire par exemple MSF, de refonder d’urgence leur propre action dans autre chose qu’une logique qui n’est apparemment plus évidente pour grand monde. Et de le faire savoir à grand renfort de publicité. Qu’on les entende ! Qu’on se le dise ! Perdue dans un vain effort pour trouver un équilibre entre les prédateurs, la gestion de la sécurité internationale par l’ONU pourrait y trouver un nouvel souffle. Et l’une des grandes questions du XXIe siècle y trouverait un peu de nourriture. Cela éviterait par exemple que les débats soient accaparés par les ethnicistes, les « racinistes », les paranoïaques et les religieux.
Léonard Vincent
Il est l’auteur du récit « Les Erythréens » paru en janvier 2012 aux éditions Rivages.
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