L’été approche, le baccalauréat aussi. Qu’on permette donc un feuillet de philosophie sur l’universalité des droits de l’homme, après quoi on pourra ratiociner une conclusion à l’aise.
On entend beaucoup, ces derniers temps, les esprits frappeurs et les élites inspirées décréter que la démocratie n’est pas un modèle exportable. Que l’illusion universaliste a conduit à un nivellement destructeur. Que les traditions millénaires, les fois, les règles intérieures ne sauraient être valablement contredites par un cadre général de droits pour les humains. Je veux dire : les droits de l’homme sont-ils universels ?
Bien, admettons. La question, comme elle fait autant de bruit, mérite d’être examinée — puisque les termes des débats contemporains sont posées par leur envergure médiatique, de nos jours.
J’admets volontiers que quelques puissantes crapules et des entrepreneurs cupides utilisent le prétexte de l’universalisme pour imposer à tous leurs intérêts individuels de grippe-sous, leurs petites mesquineries de vantards, leurs névroses narcissiques. Mais ce n’est pas parce qu’ils revêtent le déguisement des humanistes que nous sommes obligés de croire qu’ils sont Saint-François-d’Assises. Un lapin ne se définit pas seulement par deux grandes oreilles.
Pour pousser la logique anti-universaliste jusqu’au bout, je voudrais à mon tour poser quelques questions. Existe-t-il, oui ou non, une seule espèce humaine ? Les règles de la biologie sont-elles applicables à l’ensemble des hommes ? Les consciences humaines sont-elles, oui ou non, mues par une dynamique similaire, faite de désir, de joie et de tristesse ? Les Papous peuvent-ils tomber amoureux ? Les Pakistanais cherchent-ils à être heureux ? Un verre d’eau étanche-t-il la soif d’un Somalien déshydraté ? Un Français est-il, oui ou non, susceptible d’être l’ami sincère et désintéressé d’un Erythréen ? Un Maori peut-il être bouleversé par la musique de Maurice Ravel ?
Qu’une âme convaincue vienne m’opposer un « non » à l’une de ces questions, qu’on rigole. Il faudra aussi qu’elle vienne m’expliquer, entre autres, comment les Noirs courent plus vite que les autres, par quel prodige les Chinois ont la bosse du commerce, et en vertu de quelle agitation de la glande pinéale les Blancs sont cupides par nature. Mais aussi comment les croyants ont des droits sur les infidèles.
Mais on dirait bien que le raisonnement seul ne peut avoir raison d’une croyance, ces jours-ci. Il faut emporter la sacro-sainte conviction. Formidable monde, où un je crois est plus puissant qu’un je sais. Et l’on voudrait imposer des lois pour protéger les délires intérieurs ! Au nom… des droits de l’homme !
Léonard Vincent
Il est l’auteur du récit « Les Erythréens » paru en janvier 2012 aux éditions Rivages.
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