Alianza por la Solidaridad « naît à l’écoute de la société »…

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Au moment où nombre d’associations et ONG espagnoles mettent la clé sous la porte, surgit le 19 mars 2013 Alianza por la Solidaridad (APS). Cette fondation identifiée comme ONG est le fruit de la fusion de trois importantes ONG espagnoles : Habitáfrica (1), Fundación IPADE(2) et Solidaridad Internacional(3).

La crise ? Cette nouvelle ONG s’adapte. Elle l’intègre même dans la définition de sa stratégie. APS veut être désormais l’une des entités espagnoles qui comptent et veut se donner les moyens de sa modernité : plus ouverte à la société, évolutive, résolument innovante, capable d’une vision sociétale reliant les échelles locales et internationales. Quelques notions clés : créativité, partage des connaissances, intégration de réseaux, approche « glocale ».  Alain Bleu s’entretient avec Ana Alcalde, directrice de Alianza por la Solidaridad…

Qu’est-ce qui a conduit à la création de Alianza por la Solidaridad ?

Cette idée de fusion résultait d’abord d’une insatisfaction concernant l’impact de notre travail. Nous pensions que parmi les organisations de coopération en Espagne nous étions un acteur important de la politique de coopération, mais nous n’étions pas satisfaits avec les objectifs de changements sociaux et de participation citoyenne qui nous paraissaient importants. Partant de ce constat, nous avons conçu le principe d’une intégration des expertises propres aux trois ONG : environnement pour l’une, approche plutôt territoriale pour l’autre, et pour la troisième, la question des droits et des droits humains. Nous avons estimé que la somme de ces trois domaines d’expertises nous permettrait d’avoir plus d’impact et amplifierait les transformations sociales tout en offrant à la  la société espagnole  l’occasion  de s’ impliquer de façon plus active.

C’était là le point de départ de l’initiative. Mais en cours de processus, la crise internationale nous est tombée dessus, les financements pour le développement se sont raréfiés en Europe et particulièrement en Espagne, ce qui nous a rendu la tâche plus difficile. Cela ne débouche évidemment pas, dans ces circonstances, sur le même type de fusion. Nous étions partis avec l’idée de fusionner pour changer et cela, dans un environnement qui favorise et récompense les changements plutôt que dans contexte qui pénalise presque tout ce qui est entrepris.

Quelle est la date officielle de lancement d’APS ?

Juridiquement, nous existons depuis seulement quelques semaines, c’est très récent, mais le processus de fusion nous a pris trois ans. Il est évidemment plus difficile de fusionner trois organisations sociales que trois entreprises. Ce qui a de la valeur pour les organisations sociales, c’est leur capital social, ce n’est pas comme pour les entreprises qui regroupent leurs actions.

Avec quel est budget commencez-vous en 2013 ?

Actuellement, nous disposons d’un budget de 23 millions d’euros.

C’est ce qui fait d’APS une organisation importante ?

Oui, dans le contexte espagnol, c’est une organisation de taille. Elle travaille dans 23 pays, elle comprend environ 300 salariés et une centaine de bénévoles répartis dans le monde. L’ambition de Alianza por la Solidaridad, c’est de favoriser l’ascension des réseaux espagnols et de construire des alliances avec des organisations dans d’autres pays qui comme nous, comprennent qu’il faut être plus global dans le monde à venir. Il est temps de perdre l’étiquetage national. Nous devons tendre à une citoyenneté plus globale, qui se sente appartenir au monde, où les droits doivent être reconnus n’importe où et indépendamment des nationalités. C’est un projet qui naît avec une vocation à la globalité.

L’AECID n’est plus le principal bailleur, ce sont les financements européens qui sont recherchés ?

Dans notre cas, notre engagement est de devenir une organisation dont les fonds sont diversifiés. Nous pensons qu’on ne peut pas sérieusement garantir autrement notre indépendance et nos valeurs que par la voie de la diversification des fonds. La dépendance à un bailleur ou deux n’est pas saine, qu’ils soient des bailleurs publics ou privés. La question de la bonne gouvernance nous conduit à ce schéma de diversification.

Ceci dit, la tendance en Espagne c’est évidemment l’arrêt soudain de l’aide officielle au développement et de la contribution publique, tant au niveau de la coopération décentralisée que de la coopération d’État. Et avec la crise, il est compréhensible que les apports des entreprises et des particuliers eux aussi vont se raréfier.

Il n’empêche, nous vivons en Espagne une période particulière où la vie publique s’est développée et est devenue très active. De nombreux citoyennes et citoyens demandent, réclament des espaces de participation. C’est un capital humain auquel les organisations ouvertes comme nous peuvent se tourner pour appuyer les transformations sociales. En ce sens, il est vrai que les ressources traditionnelles sont en voie de disparition mais en contrepartie il est possible d’explorer d’autres espaces de financement lorsqu’on partage des finalités communes.

Cette fusion qui réunit IPADE, Habitáfrica et Solidaridad Internacional, est-ce la réunion des trois, ou plus que la somme des trois ?

Notre idée, c’était de grandir pour changer. Au moment où nous parlons, la fusion vient d’avoir lieu et c’est la somme des trois. Mais nous voulons que ce soit bien autre chose que la somme des trois. Cela doit être un espace pour apporter de la valeur ajoutée qu’individuellement nous ne pouvions amener.

Nos valeurs fondamentales sont de trois ordres :

  • Devenir une organisation capable de gérer et de travailler en réseau de partage des connaissances. Des connaissances dans une configuration globale, qui connectent des personnes et qui connectent des problématiques. Nous nous plaçons hors des questions de frontières, car notre valeur ajoutée c’est de fait, notre présence dans plusieurs pays, en étant accompagnés par plus d’une centaine de bénévoles. Ainsi, lorsqu’on doit parler de l’égalité hommes-femmes, nous pouvons comparer des expériences produites par la société civile à Madrid,La Paz, Jérusalem ou à Dakar. Connecter à la fois ces initiatives et mettre en valeur les connaissances que génèrent ces initiatives c’est notre principal intérêt.
  • En second lieu, ce que nous apportons ce sont des expertises sectorielles ou propres à chacune des trois organisations. Avec ce rapprochement sur les questions d’environnement, d’approches territoriales et des droits, nous générons un modèle d’intervention, de conception de projets et de collaborations plus impactant. Tout ceci nous permet de travailler au niveau local, depuis l’aménagement territorial jusqu’à la fourniture de services sociaux, en passant par l’emporwerment (autonomisation) des femmes, et pour la mise en route de politiques de citoyenneté avec les autorités locales. Donc, nous travaillons à tous les niveaux.
  • Le troisième apport, c’est justement de nous poser comme une alliance, une alliance ouverte (c’est notre slogan-mot-d’ordre) dans laquelle d’autres organisations oseront se joindre à notre projet pour monter une organisation plus globale. Ainsi, notre identité, notre savoir-faire est au service du regroupement, du mélange avec ce que d’autres organisations peuvent apporter.

Ce sont nos trois domaines de valeurs amenés par la fusion et bien sûr, ce n’est pas simplement la fusion des trois, c’est autre chose. Il s’agit de passer du statut d’ONG à une organisation de la société civile.

Pouvez-vous développer votre idée sur la gestion des connaissances et le réseau de connaissances partagées ?

Aujourd’hui, de la même façon que nous pouvons dire que la richesse change de domiciliation dans monde, on peut en dire autant pour les savoirs, et la valeur de ces savoirs. Prenons par exemple les discussions sur le changement de modèle de production vers un modèle plus respectueux des ressources naturelles, soutenables, avec création d’emplois verts, nous pensons qu’il faut innover à un niveau global. La connaissance et l’innovation n’ont pas à être maintenues dans les centres traditionnels du savoir. De fait, ils sont éparpillés dans le monde. Une organisation comme la nôtre a vocation à connecter ces innovations locales sur des questions comme l’évolution du modèle de production et mettre en place des économies d’échelle par rapport à ces initiatives qui peuvent se trouver déconnectées. Notre valeur ajoutée, c’est de catalyser et de relier. La connexion des initiatives se réalise fondamentalement à travers l’expérience de partage des connaissances et de la communication de ces connaissances. C’est partager entre ceux qui innovent, mais être aussi capables de communiquer tout cela aux acteurs sociaux et politiques qui à un moment donné, vont prendre des décisions concernant notre avenir.

Quels sont les axes stratégiques de Alianza por la Solidaridad ?

Nous avons quatre grands programmes :

  • Le programme pour les droits des femmes
  • Le programme pour le développement local durable
  • Le programme de citoyenneté globale-immigration
  • Le programme d’action humanitaire. Sur ce point, nous considérons que dans le monde à venir, des crises humanitaires vont continuer à survenir ou s’aggraver. Il est impératif de proposer des réponses rapides qui portent néanmoins la réponse en lien avec l’avenir. Notre idée c’est de mettre en perspective certains programmes humanitaires avec la notion de permanence dans le temps, parce que les crises humanitaires sur lesquelles nous travaillons ne se résolvent pas à des interventions à court terme. Par exemple, nous intervenons en Colombie et en Palestine, et ce sont des crises humanitaires qui s’étendent sur des années.

Dans quels pays sont travaillées les questions des droits des femmes ?

Il s’agit surtout du Pérou, de la Bolivie, de l’Équateur, mais aussi de la Palestine, du Liban, et de la Jordanie. Nous nous sommes focalisés sur le droit à « une vie sans violences », et sur la question des droits sexuels et reproductifs. Nous réalisons un travail réellement main dans la main avec les organisations de féminines et aussi avec des organisations de femmes indigènes, en établissant un dialogue entre le féminisme traditionnel et les nouveaux féminismes qui surgissent au cœur des mouvements indigènes. Avec les jeunes femmes également nous tentons de rompre la traditionnelle fracture générationnelle que l’on observe entre les mouvements plutôt traditionnels et les réponses que donne aujourd’hui la jeunesse aux changements politiques dans l’espace méditerranéen.

Ensuite, nous avons un champs de travail dans les Sciences Politiques, orienté vers les changements de normes et de lois pour faire garantir une série de cadres légaux permettant aux femmes d’exercer leurs droits à une vie sans violences et à leurs droits sexuels et reproductifs.

Quels sont les défis concrets de la fusion, comment elle est organisée ? Ce que l’on gagne, ce que l’on perd…

C’est vraiment un défi complexe parce que pour les organisations sociales, ce qui est le plus important, c’est justement leur capital social. Et les gens. Dans un processus comme celui-ci, disparaissent des identités, ou pour le dire autrement, elles se transforment. Il s’agit d’identités qui ont coûté des années à construire. Je me rappelle la peine que nous avons eu à perdre le nom de Solidaridad Internacional, d’où je viens. Un nom qui a vingt-cinq ans…

En plus, suite à la restructuration et à l’impact de la crise, des compagnons de longue route ont dû partir et cela nous coûte, à nous qui travaillons justement dans des organisations sociales.

Je crois que la façon la plus saine d’aborder cet écueil c’est de le faire en totale transparence et d’être capables de parler de la dureté de la situation, qui a un rapport avec l’impact de la crise économique. Il faut le faire intelligemment, tout mettre sur la table et être en mesure de gérer la dimension la plus controversée du changement de façon honnête. Il faut reconnaître ce que l’on perd, mais rééquilibrer avec ce que l’on gagne aussi dans le processus. En premier lieu, ce que nous avons gagné c’est que nous mettons en route un processus de création, « créatif », innovant, au cœur d’une crise qui affecte le moral des gens qui pensent qu’il ne subsiste aucune solution.

Quelle sont les conséquences de la fusion sur le mode organisationnel ? Structuration horizontale ?

Notre modèle organisationnel est orienté vers l’avenir. Nous pensons que si nous prétendons être une organisation plus ouverte à la société qui prétend gérer des connaissances à partir d’une vision locale-globale, l’élément clé c’est de fonctionner- nous aussi, en interne – comme une organisation en réseau. En ce sens, cela implique des changements de culture. Deux des trois organisations ont été crées au cours des années 80. Les temps ont bien changé. Nous devons aujourd’hui susciter des structures beaucoup plus horizontales, avec du travail en réseau en interne.

Bien évidemment, si notre vocation est de nous orienter vers le global, cela signifie que deux personnes travaillant dans un même domaine peuvent être l’une à Madrid, l’autre quelque part au Guatemala, tout en travaillant quotidiennement ensemble.  Aujourd’hui, les réseaux sociaux et une culture de travaux appropriés le permettent.

La fusion a-t-elle des conséquences sur les projets en cours ? Des projets disparaissent-ils, les maintient-on tous ?

Nous avons opté pour l’approche la plus réaliste. Nous avons beaucoup d’engagements antérieurs, certains mêmes avant que l’on songe à la fusion. Notre position a été de tenir nos engagements et nous sommes justement dans cette phase. Il faut tenir des engagements avec des bénévoles, des partenaires partout dans le monde et avec les bailleurs. Mais dans cette phase de maintien des engagements, nous devons très clairement identifier ce que nous faisions qui a toujours du sens au XXIe siècle, et parier dessus. Nous avons mis au clair l’orientation politique de l’organisation, nous savons où nous voulons aller et ce que nous voulons être. A présent il faut réviser toute cette stratégie intermédiaire en marche. Nous maintenons les engagements tout en révisant quelles part de cette stratégie alimentera l’avenir, et quelle part de la stratégie il faudra laisser derrière. Ce processus, nous ne le maintenons pas fermé puisque la fusion est tout de même très récente.

Vous affichez une vision positive tandis que le cadre de la solidarité internationale change. Alianza por la Solidaridad est donc pertinente ?

Je crois que les politiques de développement changent effectivement, l’agenda international du développement évolue énormément. Ce qu’apporte APS pour la solidarité c’est que c’est clairement une organisation ouverte, capable de catalyser des alliances et des partenariats et de mettre en contact des personnes au delà de leur réalité locale. D’un autre côté, elle apporte une capacité d’action au plan local. Cet et élément catalyseur et ouvert, c’est pour moi, la principale valeur. Elle inclue la capacité d’innover et de répondre aux nouveaux défis qui surgissent, c’est le futur des organisations sociales. Concrètement, c’est le pari gagnant que nous sommes convaincus de réaliser avec Alianza porla Solidaridad.

 

(1) Habitáfrica : ONG de développement luttant contre le déracinement, pour l’atténuation des causes et des conséquences des migrations forcées. La réponse à donner à ces situations a conduit Habitáfrica à s’intéresser à l’habitat stable, durable et productif des populations vulnérables, incluant également l’accompagnement des dynamiques de développement induites par les migrations.

(2) Fundación IPADE : ONG de développement spécialisée dans les questions environnementales en Amérique latine, Afrique et Asie qui a réalisé plus de 200 projets dans 26 pays en faveur de populations vulnérables en milieu rural. En Espagne, elle a œuvré pour l’Éducation au Développement et la mobilisation sociale.

(3) Solidaridad Internacional a été créée en 1986 par des membres du PSOE et privilégiait les alliances et réseaux. Cette fondation était prioritairement orientée sur les questions de démocratie, de justice, d’équité de genre et les Droit Humains tout en s’intéressant au développement durable.

 

 

Alain Bleu

Alain Bleu

Alain Bleu est diplômé du Master professionnel en « Conception de projets en coopération internationale »de l’Université de Poitiers / laboratoire de recherche Migrinter. En 2011, il a participé au lancement d’un programme mené par l’Institut Panos Paris (IPP) sur la couverture médiatique des migrations à destination des journalistes de sept pays européens et africains. IL est actuellement journaliste indépendant.