Les réfugiés ivoiriens sont-ils à même de réintégrer la société ivoirienne ?

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frontière ivoirienne
© Justine Kaszuba

Malgré un premier tour sans problème, le deuxième tour de l’élection présidentielle a déclenché une crise sans précédent par la contestation des résultats entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Le pays est ainsi entré dans une dynamique de mouvements de populations en quête de protection, soit en tant que réfugiés, soit en situation de déplacement interne, qui a touché une partie importante de la sous-région Ouest-africaine.

De plus, la crise post-électorale a rendu plus difficile l’accès aux services sociaux, santé et éducation entre autres, et a rendu impossible la poursuite de la saison agricole, engendrant ainsi une situation de crise humanitaire.

En 2012, la situation sécuritaire et des Droits de l’Homme est restée très fragile tout au long de l’année. Les fréquentes rumeurs d’attaques en Côte d’Ivoire ont continué à inciter les populations vulnérables en quête de protection à fuir leur pays . Les frontières, notamment celle entre le Libéria et la Côte d’Ivoire, restent très poreuses, ce qui permet le mouvement d’armes légères et de groupes armés. Les tensions politiques et inter-ethniques persistent malgré la fin de la crise.

La Côte d’ivoire, pays en phase de transition

Camp de réfugiés, Cote-d'Ivoire
© Justine Kaszuba

Aujourd’hui, la majorité des réfugiés est rentrée et les retours spontanés ainsi que les rapatriements organisés par le HCR continuent. Néanmoins, un nombre significatif de réfugiés demeure au Libéria et dans d’autres pays voisins. Selon le HCR, près de 86 000 réfugiés ivoiriens se trouvent encore dans les pays voisins en Afrique de l’Ouest. Parmi ces 86 000 réfugiés, 60 000 sont au Libéria. 96% des rapatriés ivoiriens assistés par le HCR proviennent de ce pays frontalier.

Alors que 60% des réfugiés au Libéria se sont installés dans les camps du HCR, les autres sont toujours accueillis dans des communautés hôtes du Libéria où l’accès aux services basiques est très restreint et où les populations locales sont vulnérables.

A l’heure où la situation semble s’apaiser en Côte d’Ivoire, la question de l’avenir de ces réfugiés se pose. Trois solutions s’offrent à eux: le rapatriement dans leur pays d’origine, l’intégration locale dans le pays d’accueil ou la réinstallation dans un pays tiers. La majorité de ces réfugiés souhaitent rentrer dans leur pays, et c’est l’option qui est privilégiée par tous, que ce soit les ONG, la communauté internationale, le HCR et les Etats qui œuvrent pour atteindre cet objectif. Mais force est de constater que de nombreux obstacles empêchent ce retour et que la situation des réfugiés, particulièrement ceux des camps, semble se pérenniser.

Ces réfugiés sont-ils à même de retrouver une place dans la société ivoirienne et quels sont les facteurs qui empêchent leur retour ? En 2013, la Côte d’Ivoire amorçait sa délicate période de transition entre urgence et développement, les enjeux principaux de cette phase de transition étant de renforcer la capacité de résilience des populations, de renforcer la société civile et de ne pas reproduire les schémas d’exclusion sociale qui avaient mené à une situation de crise. L’aide humanitaire apportée par les ONG et les institutions internationales est en pleine reconstruction.

Les « clusters » d’OCHA ont été désactivés, donnant lieu à un transfert de compétence de la coordination sectorielle vers les structures gouvernementales pertinentes. Pour les ONG internationales, il devient de plus en plus difficile d’obtenir de l’argent pour mener des projets. Les financements internationaux sont désormais orientés vers les structures étatiques ivoiriennes censées être aptes à résoudre les besoins humanitaires résiduels et à mener une politique de cohésion sociale pour éviter le retour des tensions inter-ethniques, deux défis majeurs du gouvernement. Ce transfert de responsabilités en cours entre les partenaires humanitaires et les structures compétentes de l’Etat  est un élément déterminant dans la consolidation de la paix et de la stabilité.

Les « nouveaux » défis de la Côte d’Ivoire

Le gouvernement de l’actuel président M. Alassane Ouattara a mis en place plusieurs programmes et structures en charge de la stabilité et du développement du pays depuis son arrivée au pouvoir. C’est le cas notamment du Plan National de Développement (PND).

Ce programme se présente comme le cadre de référence dans lequel s’inscrivent toutes les interventions majeures du gouvernement au profit des populations. Néanmoins, la priorité est donnée à la relance économique alors que la réconciliation, indispensable pour un réel retour à la stabilité du pays, est reléguée au second plan. La multiplication des programmes du gouvernement a pour but de démontrer la capacité d’agir de ce dernier.

Mais bien souvent, cela n‘est qu’effet d’annonce par rapport aux besoins humanitaires bel et bien présents au nord et à l’ouest du pays. De nombreuses thématiques, telles que l’éducation, l’accès à la terre, à l’emploi et à la justice, restent problématiques et ne doivent donc pas être négligées si M. Alassane Ouattara veut rejoindre, comme il le souhaite, le club des pays émergents d’ici à 2020.

L’étude des réfugiés du camp de Little Wlebo cristallise les tensions et les défis de la Côte d’Ivoire à l’heure actuelle. Créé en juillet 2011 et situé à l’extrême sud-est du Libéria, le camp de réfugiés de Little Wlebo compte environ dix mille réfugiés ivoiriens. La majorité de ces réfugiés fait partie de l’ethnie Guéré, originaire de l’ouest de la Côte d’Ivoire et qui soutient traditionnellement le président déchu Laurent Gbagbo. Une des particularités de ce camp est donc que sa population est très politisée.

 Les réfugiés du camp de Little Wlebo

Enfants en camps de réfugiés (Côte d'Ivoire)
© Justine Kaszuba

Selon une étude réalisée par le Conseil Danois pour les Réfugiés (DRC) sur les réfugiés ivoiriens au Libéria(1) c’est l’une des raisons principales pour lesquelles le nombre de retour stagne malgré le processus de rapatriement organisé mis en place par le HCR.

Les entretiens menés avec les réfugiés qui ont quitté leur pays depuis plus de trente mois ont permis de faire le point sur leurs attentes. Tous souhaitent rentrer, mais la raison principalement évoquée par les familles est l’absence de sécurité et la peur des représailles dans leur village d’origine.

Ce sentiment est renforcé par le fait que le processus de lutte contre l’impunité apparaît aujourd’hui essentiellement marqué par l’absence de poursuites à l’encontre des responsables de crimes ayant soutenu Alassane Ouattara pendant la crise. Ce constat est d’autant plus flagrant que les procédures visant les collaborateurs de Laurent Gbagbo connaissent des avancées certaines.(2) 

De plus, de nombreuses rumeurs courent sur toutes sortes de menaces et mauvais traitements, notamment de la part des forces de sécurité, les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). On  retrouve ensuite les traditionnelles causes du conflit, celles qui ont provoqué la crise et qui par manque de volonté des gouvernements successifs continuent d’empoisonner la société ivoirienne et d’entretenir la flamme de l’instabilité. Il s’agit du conflit foncier alimenté par la rhétorique xénophobe de l’ « ivoirité »(3) et de la crise économique.

Tout cela a entrainé des conflits entre populations revendiquant leur autochtonie et des populations originaires d’autres régions de la Côte d’Ivoire ou de pays voisins qui s’étaient installées dans cette région, parfois depuis des décennies, pour cultiver notamment le café et le cacao. Ce conflit à pris de l’importance pendant la crise de 2010-2011, où les ethnies opposées s’accaparaient réciproquement les terres des personnes ayant fui.

Aujourd’hui, beaucoup des réfugiés évoquent le manque de terre cultivable comme un frein au retour dans leur pays. La formation des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) est également un élément clé pour un retour à la stabilité de la Côte d’Ivoire et donc un retour des réfugiés. Ces ex-miliciens, recrutés parmi les Forces Armées des Forces Nouvelles (FAFN) combattant au côté de Ouattara pendant la crise, n’ont jamais reçu de formation pour devenir soldat, ce qui explique en partie leur comportement abusif envers certaines ethnies.

Un autre élément important dans cette phase de transition est le processus de Démobilisation Désarmement et Réinsertion (DDR). Après un démarrage compliqué, le gouvernement a épuré son fonctionnement. Il faut désormais poursuivre les efforts pour que la majorité des ex-combattants soit désarmée et ce, sans exclure l’un des camps. Cette mesure inciterait de nombreux réfugiés qui ont combattu pendant la guerre à retourner dans leur pays afin de s’y réinsérer.

 Les dérives de l’assistance

Camp de réfugiés de Little Llebo (Côte d'Ivoire)
© Justine Kaszuba

Avec le temps, une nouvelle vie s’organise dans les camps de réfugiés et des institutions informelles finissent par prendre forme. Les petits commerces liés à des capitaux extérieurs (aides des familles, salaires des réfugiés travaillant pour les ONG) se créent, des lieux de culte improvisés émergent ainsi que des activités ludiques et culturelles avec les moyens du bord.

Le camp provisoire se pérennise et en découlent aussi toutes sortes de dérives de l’assistance. Bien que la période de crise soit terminée, les Ivoiriens qui entrent encore au Libéria aujourd’hui bénéficient du statut de réfugié « prima facie », statut octroyé en cas de mouvements de masse de réfugiés qui généralement fuient la violence généralisée.

Dans ces cas là, il est impossible d’interroger chaque personne ayant traversé la frontière pour savoir si elle peut effectivement bénéficier du statut de réfugié et des droits qui en découlent. En Côte d’Ivoire, la situation actuelle ne justifie plus ce statut de  « prima facie », mais faute de moyen et d’institutions compétentes au Libéria, ces populations obtiennent le statut de réfugié dès leur entrée sur le territoire.

Dans une région comme l’ouest de la Côte d’Ivoire où les moyens d’existence sont très faibles, le statut de réfugié présente des avantages. Les humanitaires encore présents assistent, sans trop savoir que faire, au détournement régulier des vivres distribués dans les camp par le Programme Alimentaire Mondiale (PAM). En effet, le camp de Little Wlebo n’est qu’à une heure de route de la première ville ivoirienne, Prollo. Ainsi les vivres obtenus grâce au PAM peuvent être revendus sur le marché de Prollo.

Si les biens de première nécessité deviennent des marchandises, on peut s’interroger sur la pertinence de la présence des ONG dans cette zone et de la dépendance qui est en train de se créer auprès des populations. Le Libéria, qui sort péniblement de dix années de guerre civile, trouve aussi un certain intérêt auprès des réfugiés ivoiriens.

La LRRRC (Commission Libérienne pour le rapatriement et la réinstallation des réfugiés) embauche de nombreux Libériens pour mener à bien leurs projets en collaboration avec le gouvernement et les ONG. Il a été reporté que la LRRRC fournirait également aux Ivoiriens qui le souhaitent un statut de réfugié pour 1 US$. Dans un pays où le taux de chômage est énorme, les réfugiés ivoiriens créent, en quelques sortes, un marché du travail.

Alors à qui la faute ? Aux organismes internationaux qui, en essayant de sauver des vies, instaurent un système qui déstabilise toute une société ? Ou alors serait-ce la faute des autorités peu compétentes du pays qui obligent les ONG et les organismes internationaux à prendre des décisions qui ne correspondent pas forcement à la réalité du terrain ? La majorité des réfugiés de Little Wlebo est originaire de l’ouest de la Côte d’Ivoire, région victime de nombreuses exactions commises par les deux côtés belligérants : les forces loyalistes de Laurent Gbagbo et les Forces Nouvelles alliées à l’actuel président Alassane Ouattara.

Certains réfugiés sont clairement politisés et résignés à poursuivre leur vie au Liberia en croisant les doigts pour les élections de 2015 ; d’autres appartiennent juste à des ethnies supposées soutenir l’ancien Président et craignent des représailles à leur retour. Certaines personnes ont tout simplement été traumatisées par la guerre et les exactions commises par les milices sur elles-mêmes ou sur leurs proches et refusent de rentrer en Côte d’Ivoire.

De plus, le conflit foncier n’arrange pas la situation dans une région où la majorité des Ivoiriens vit de l’agriculture. De fait, beaucoup de réfugiés ont vu leurs plantations brûlées et leurs terres occupées, ce qui rend compliquée leur réinsertion socio-économique. Ajouté à cela, les rumeurs d’attaques et le manque d’information claire sur la situation sécuritaire ne cessent de reculer la date d’un éventuel retour.

De manière générale, la promotion du rétablissement de l’Etat de droit en Côte d’Ivoire, la réconciliation et la prévention de futurs conflits requièrent beaucoup d’investissement de la part de l’Etat. Le renforcement des patrouilles dans les zones dangereuses, le processus de  DDR et la réussite d’un retour durable pour les réfugiés sont autant d’enjeux qui permettront d’éviter de retomber dans les affres de la guerre civile.

Au final,  nous pouvons conclure que la situation des réfugiés au Libéria reflète bien l’image de la Côte d’Ivoire à l’heure actuelle : un pays sur la voie du développement, voie sur laquelle se trouvent encore de nombreuses entraves qui pourraient facilement le déstabiliser et le replonger dans les affres de la guerre. En plus des conséquences qu’ont engendrées ces dix années d’instabilité, les causes profondes du conflit ne sont pas réellement résolues.

Les traumatismes sont nombreux et s’ajoutent aux facteurs d’instabilité encore présents, tels que le foncier et l’ethnicisation de la société. Le retour de la totalité des réfugiés ivoiriens marquera un grand pas vers la paix dans le pays. En attendant, il faut déjà que ceux présents dans les pays voisins comme le Libéria aient l’envie de réintégrer leur pays, même si leur Président n’est pas celui qu’ils auraient souhaité. La réconciliation demande des efforts des deux côtés. Les élections présidentielles de 2015 nous diront si nous avons eu raison de croire que la Côte d’Ivoire peut retrouver un apaisement favorable à sa prospérité.

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(1) DRC, Ivorian Refugee Return Implications for Programme Design and Delivery Findings from return surveys carried out in Little Wlebo Refugee Camp and in Host Communities in Maryland and River Gee Counties, South East Liberia, publié en Janvier 2013, données collectées en Novembre/décembre 2012. Document interne
(2) Pour plus d’informations lire le rapport de la FIDH, Côte d’Ivoire : la lutte contre l’impunité à la croisée des chemins
(3) L’ivoirité est un concept politique ivoirien. Au nom d’une théorie dite de l’« ivoirité » développée par quelques intellectuels proches de l’ancien président ivoirien, Henri Konan Bédié, certains médias et hommes politiques ont multiplié, depuis une dizaine d’années, les appels et les articles opposant les « vrais » Ivoiriens aux populations allogènes, communément appelées Dioulas. — (Amnesty International, La notion d’ivoirité , 2006)

Justice Kaszuba

Justice Kaszuba

Justine Kaszuba est diplômée du Master 2 Langues Etrangères Appliquées,
Analyse de crises et action humanitaire.

Justice Kaszuba

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