Libye : comment la cartographie en ligne a aidé la réponse d’urgence

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Peu après le début de la crise en Libye, les décideurs et les travailleurs humanitaires se sont trouvés confrontés à un défi crucial : le manque d’informations sur ce qui se passait à l’intérieur du pays.

En quelques heures, Andrej Verity, responsable de la gestion de l’information au Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (OCHA) à Genève, a convoqué une réunion avec des groupes de bénévoles et/ou de techniciens. OCHA a mis en route l’équipe de réserve, qui comprend plus de 150 volontaires spécialisés dans la cartographie de crise en ligne. L’idée était d’intégrer dans une carte les rapports des médias sociaux ou traditionnels de l’intérieur de la Libye.

Ceci a permis la création de LibyaCrisisMap.net. « Etant donné que les Nations Unies n’avaient quasiment pas accès au pays, cela nous a permis alors d’avoir une idée de la situation, » a dit M. Verity. «En l’espace de 48 heures, nous avons collecté et rassemblé une bonne centaine d’interventions d’urgence. Pour obtenir la même quantité de données, il avait fallu environ quatre semaines aux Philippines, deux en Haïti et deux au Pakistan avant que celles-ci ne soient disponibles.»

Selon le Programme Cartographie de crise et Alerte précoce de l’Université de Harvard, les appareils mobiles de technologie de l’information jouent aujourd’hui un rôle de plus en plus important pour répondre aux urgences humanitaires et fournir des données essentielles.

Cela permet de mieux comprendre la dynamique complexe des urgences et de la réponse locale et internationale. Cela a fait également apparaître le concept du crowd-sourcing [approvisionnement par la foule] par l’intermédiaire de l’Internet. Aujourd’hui, Twitter et Facebook sont les premières ressources vers lesquelles se tournent les gens pour avoir un compte-rendu de première main des événements du monde.

« La grande difficulté au cours des premières phases d’une urgence est de savoir comment organiser l’information, car celle-ci est quelquefois dispersée ou bien arrive en trop grande quantité, » a dit Jeffrey Villaveces, responsable de la gestion de l’information à OCHA Colombie. «Et donc on finit par avoir beaucoup d’informations qui ne sont pas toutes utiles.»

Plus d’un millier d’articles sont disponibles sur la plate-forme et une partie de l’information est extraite et reportée sur des cartes. «C’est une façon différente de regarder des données qui proviennent de différentes sources. Ce que nous avons fait, c’est prendre l’information et la classer» a dit M. Villaveces à IRIN. «Actuellement, nous travaillons sur le suivi des victimes. Selon les résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité, le gouvernement libyen avait été enjoint d’assumer ses responsabilités pour protéger les civils, mais il n’y avait aucun moyen de suivre les victimes», a t-il ajouté.

Ushahidi

Le site LibyaCrisisMap.net comprend un service SMS et un service de cartographie en ligne basé sur l’Inititiative Ushahidi kenyane. « Ushahidi », qui signifie « témoignage » en swahili, a été initialement mis en œuvre pour cartographier les violences au Kenya après les élections de 2008, sur la base de rapports soumis par Internet ou par téléphone portable.

Certains critiques comme Paul Currion, un travailleur humanitaire qui travaille depuis dix ans sur l’utilisation des TIC [Technologies de l’information et de la communication] dans les urgences à grande échelle, mettent en doute la valeur que représente pour les humanitaires l’information obtenue par le crowd-sourcing. Cette technique, suggère t-il, a des limitations : les problèmes de connectivité là où l’accès à l’Internet n’est pas fiable, la qualité des données et les perspectives fonctionnelles de l’interface.

« L’attrait visuel d’Ushahidi est similaire à celui de PowerPoint ; il procure une illusion de simplicité qui recouvre en fait une situation complexe, » explique t-il dans un blog. « Si j’ai 3 000 messages disant « J’ai besoin de nourriture, d’eau et d’abri », quelle est la valeur ajoutée si on représente ces messages sous la forme d’un grand cercle sur une carte ?… L’information provenant du crowd-sourcing ne sera jamais capable de fournir le genre de détails dont les agences humanitaires ont besoin pour fournir et distribuer les services fondamentaux à des populations entières. »

L’interface Ushahidi a été utilisée au moment des tremblements de terre en Haïti et au Chili en 2010. Jusqu’à présent, OCHA Colombie a mis en oeuvre trois plate-formes de ce genre, dit M. Villaveces. « Au début d’une crise, on a généralement un black-out de l’information, sur fond de confusion générale, » a t-il dit. « En se servant d’outils en ligne, les groupes de bénévoles sont capables de passer en revue les ressources disponibles sur Twitter, Internet, Facebook et SMS afin d’obtenir une vision d’ensemble des événements sur le terrain. D’autres outils comme les alertes par zone au moyen de mails et de SMS peuvent aussi représenter une valeur ajoutée pour les intervenants sur le terrain. »

Dans le cas de la Libye, certains des bénévoles ont amené leur expérience acquise avec Haïti, le Chili et le Pakistan, mais la plupart étaient tout nouveaux et ont apporté une nouvelle perspective, a dit Patrick Meier, allocataire de recherche à l’Initiative humanitaire de Harvard et doctorant à la Fletcher School de l’Université Tufts. « C’était une première, » note t-il dans un blog. « Contrairement à Haïti, nous avons eu un lien direct dès le premier jour avec l’une des instances de coordination des Nations Unies pour l’assistance humanitaire. Nous avions aussi un réseau qualifié de bénévoles à disposition, avec des protocoles et des flux d’information qui avaient déjà été révisés et testés plusieurs fois sur près de six mois. »

L’un de ces bénévoles est Chris Roblee, ingénieur en programmation et chercheur en cybersécurité à Munich, en Allemagne, qui a écrit dans un blog: « Je trouve que la nature collégiale de notre environnement de travail virtuel permet à d’autres bénévoles de me remplacer quand je ne peux pas répondre immédiatement. Le fait que nous soyons si internationaux nous permet de faire marcher le centre de réponse 24 h sur 24. Les nouveaux bénévoles sont invités à s’inscrire en ligne.

Comment ça marche

Les équipes de bénévoles suivent les médias, les sites de réseautage social et les rapports provenant des personnels de terrain, puis l’information suit un processus rigoureux de géolocation, d’acceptation, de vérification et d’analyse, afin d’assurer la bonne qualité des rapports finaux qui sont diffusés par l’équipe d’analyse, dit M. Villaveces.

La plate-forme technique pour la carte de la crise libyenne a été mise en place une heure seulement après la demande d’OCHA. Selon M. Meier, une seconde carte a été lancée quelques jours plus tard et dans les trois premiers jours, le site a reçu plus de 18 000 visiteurs uniques et la page a été vue 44 000 fois par des visiteurs de 65 pays différents.

« L’un des avantages de la cartographie de crise, sur une plate-forme comme Ushahidi, est la possibilité de passer d’un concept assez large de média à un concept plus “individuel” », a dit M. Verity à IRIN. « Dans le passé, les intervenants et les décideurs disposaient d’une carte statique qui était généralement produite en vue d’une consommation de masse.

Avec la crise libyenne, n’importe qui peut utiliser la carte en zoomant sur un endroit et en filtrant les types de rapports à afficher », a t-il ajouté. « La personne s’approprie alors la carte de façon spécifique et elle peut faire des plans ou prendre des décisions en s’appuyant sur des informations extrêmement pertinentes. Imaginez quand tous les besoins, les interventions d’urgence et toutes les autres informations associées seront mis sur ce genre de site. Les intervenants comme les personnes affectées pourraient avoir accès à une mine d’informations vraiment pertinentes, grâce à une simple interface de carte. »

La plate-forme a été saluée comme un outil utile : Josette Sheran, présidente du Programme alimentaire des Nations Unies, l’a décrite sur Twitter comme « excellente ». « La réponse aux crises qui l’an dernier ont frappé Haïti, le Chili et le Pakistan, a révélé un potentiel extraordinaire, » a noté M. Meier, qui est également directeur de la cartographie de crise à Ushahidi. « Des bénévoles qui sont à des milliers de kilomètres pourraient jouer un rôle important dans les opérations humanitaires en utilisant les plate-formes de réseautage social et des logiciels gratuits et open source pour créer des cartes de crise en direct. Les efforts présents des bénévoles pour élaborer la carte de crise de la Libye sont en train de transformer ce potentiel en réalité. »

Nairobi (IRIN) – eo/mw –og/amz / Irin


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