Le Soudan du Sud, 193ème Etat du monde : une nation à construire…

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Carte du sud Soudan et du Darfour

Envoyée spéciale à Juba… Dans les rues de la capitale sud-soudanaise, hommes et femmes sont unanimes : le Soudan du Sud a écrit le 9 juillet 2011 une page de son histoire. «Nous existons enfin, nous ne sommes plus les esclaves de Khartoum. Nous allons pouvoir remonter nos manches et bâtir le pays pour lequel nos parents se sont battus pendant plus de 21 ans. Mes parents sont morts pour cela, ils ont donné leur vie pour que je vois ce jour. Je n’aurai jamais imaginé cela », affirme John.

Le jeune homme est venu spécialement à Juba, la nouvelle capitale, pour participer aux festivités. Il porte un tee-shirt appelant les Soudanais à voter oui à l’indépendance et remue un drapeau soudanais, fièrement. Plein d’espoir… et de rancoeur.

La fracture historique entre Nord et Sud

A ses côtés, des centaines de jeunes crient « Bye-Bye Djellabas », le surnom donné aux nordistes. Le jeune homme a quitté Khartoum en janvier dernier pour s’installer au Soudan du Sud. « Je ne m’attendais pas à ça. Des chèvres se promènent dans la cour de l’université. Et le niveau d’étude est très bas. Je ne sais pas ce que je vais faire ». Pendant la guerre civile, à la fin des années 80, les universités du Sud ont déménagé à Khartoum. Aujourd’hui, plus de 80% de la population est analphabète. Caume, la trentaine, explique : « je ne sais rien faire d’autre que la guerre, alors j’ai décidé de devenir éleveur de vaches. Je viens de me marier, il faut que je trouve de quoi nourrir ma famille, mais pour le moment, je fais du charbon, j’économise de quoi m’offrir ma première vache ». Les chiffres sont alarmants : une large partie de la population dispose encore d’une arme. Selon certaines organisations, plus de 700 000 armes seraient encore en circulation. Et le risque est grand de voir apparaître de nouvelles bandes armées hostiles au gouvernement.

Les églises de Juba ne désemplissent pas. Les séances de prières collectives se multiplient. « Que Dieu bénisse le nouveau Sud-Soudan, que Dieu bénisse le gouvernement et que Dieu bénisse aussi tous les Sud-Soudanais… Nous nous en remettons à Dieu » résume un prêtre évangéliste…

Trouver de quoi manger…

Julias a tout juste 20 ans, il descend le chemin boueux qui l’amène au Nil, remplit 8 gros bidons jaunes. Son short est tout déchiré, son tee-shirt jaune plein de tâches. « Tu vois ces bidons, je les remplis d’eau, je les attache sur mon vélo et je le pousse jusque dans Juba. J’ai mes clients. Les vendeuses de thé, certains hôtels… Je gagne ma vie comme ça. Si je me débrouille bien, je pourrai même retourner à l’école un jour ».

Julias a perdu ses parents durant la guerre civile qui opposa les deux parties du Soudan, entre 1984 et 2005. Sa sœur, atteinte du Sida, ne peut pas travailler. C’est à lui de gérer la famille. Juba, capitale du futur état, ne dispose d’aucune infrastructure, ou presque. Le réseau d’eau potable n’existe pas. Et les citernes d’eau approvisionnent les quartiers que ne peuvent atteindre les porteurs d’eau à vélo.

Partout, d’énormes et bruyants générateurs fournissent quelques heures d’électricité pour ceux qui en ont les moyens. A peine cinquante kilomètres de rue sont goudronnées. En fait, celle qui part de l’aéroport et celles dans le quartier des ministères. Tout le reste du pays n’est que piste poussiéreuse. Et encore, quand il ne pleut pas.

D’avril à septembre, la saison des pluies empêche toute circulation. Au nord-est du pays, dans la ville de Malakal, les Nations Unies et les autorités locales s’étaient engagées à rénover les rues du centre-ville d’ici janvier dernier. Construire des égouts, goudronner la place du marché, faire des routes… Six mois après la date promise, rien ou presque n’a été fait. L’aide internationale est pourtant bien arrivée. «Elle a fini dans les poches de certains, investie dans de grosses voitures et des hôtels aux prix exorbitants», s’énerve Loukas, un journaliste local. La place du marché est une piscine boueuse, les habitants s’embourbent dans la terre et les charrettes tirées par de petits ânes peinent à circuler.

La colère gronde mais ne s’exprime pas. « Les habitants ont bien trop peur du pouvoir en place pour protester. On n’a jamais manifesté. S’ils tentaient de le faire, l’armée interviendrait sûrement et tirerait dans le tas. Il vaut mieux continuer à manger notre boue », explique Loukas. « De toute façon, ils ont le ventre vide, pas la force de se battre encore », ajoute-t-il encore de façon ironique. Dans les rues, la présence policière est permanente. Les hommes armés sont partout. Au marché, comme dans les nombreux bars. L’alcool est le seul produit que l’on trouve facilement partout. Et pour pas cher. Le jour de la paie, tous les soldats fêtent ça à grand renfort de bière et de «tirs de joie». Rien de rassurant pour les habitants.

Un nouvel Etat sous perfusion

Depuis que le Sud a voté pour son indépendance en janvier dernier, Khartoum se venge. Tous les axes qui permettaient d’acheminer de la nourriture au Sud sont fermés. Parfois, un bateau parvient à apporter quelques sacs et des sodas. La cargaison est aussi vide déchargée que vendue, à prix d’or, sur le marché. En quelques semaines, le prix d’un sac de sorgho, denrée indispensable pour la préparation des plats locaux, a plus que doublé. Les légumes, les fruits et certaines autres denrées périssables ont tout simplement disparu de beaucoup d’étals. Les bâches, cahiers et tee-shirts distribués par l’UNICEF et autres organismes internationaux les ont remplacés. Détournés de leurs destinataires, ce sont souvent les seuls produits disponibles.

Seul moyen de se nourrir pour beaucoup de Sud-Soudanais, l’aide alimentaire internationale. Chaque jour, le Programme Alimentaire Mondial de l’ONU organise des distributions de denrées pour les déplacés, ceux qui ont dû fuir leur maison suite aux récents conflits dans le nord-ouest du pays. « Certaines personnes tentent de s’incruster et de récupérer certaines denrées. C’est difficile de leur refuser notre aide. Elles ne sont pas réfugiés, mais elles n’ont rien. Tout le monde est tellement pauvre ici, tellement de monde meurt de faim. C’est dur, après toutes ces années de guerre, on a rien », décrit Rebecca, en triant les tickets de rationnement. Devant elle, la file de femmes qui attendent de recevoir l’aide s’allonge. Jusqu’à n’en plus finir.

A quelques kilomètres de là, dans le village de Madin, plusieurs familles vivent sous un arbre. Depuis plus de quinze jours, elles sont là, avec leurs enfants. Sans couverture, ni de quoi se faire un toit. « Je partirais bien. Mais pour aller où ? Et puis avec quel argent ?», explique un père de famille. Dans sa fuite, il s’est blessé aux jambes. Son pantalon, élimé, est retroussé. Il s’appuie sur sa canne. «Avant, à Abyei, j’étais paysan. J’avais des terres, je nourrissais les miens. Mais maintenant, j’en suis réduit à demander de l’aide aux associations, à faire la quête au marché.»

La terre du Soudan du Sud est fertile. Mais seulement 4% du territoire est cultivé. Pas assez pour nourrir la population. Loin de là. A Agok, dans le Nord-Ouest, de flambants tracteurs dorment dans le jardin du gouverneur. Aucun n’a jamais été utilisé et les paysans continuent pourtant de labourer leurs terres à quatre pattes, avec un simple bâton.

Une situation humanitaire et sanitaire toujours critique

Taux de mortalité record, malnutrition chronique, épidémies récurrentes… Dans un rapport, MSF affirme qu’«on estime que quelque 75% de la population au Sud Soudan n’ont pas accès aux soins de base. Et que 80% des services de santé sont assurés par des ONG internationales.»

« C’est un moment historique pour la population du Sud Soudan, déclare Jane Coyne, responsable des programmes de MSF au Sud Soudan. Mais le nouveau pays doit faire face à de nombreux défis. La situation sanitaire est critique depuis des années. Les ressources humaines qualifiées sont inexistantes et les structures de santé trop rares pour couvrir les besoins de la population. »  Par ailleurs, le retour, ces dernières années, de quelque 300 000 Sud-Soudanais en provenance du Nord ajoute un poids supplémentaire sur une économie des plus fragiles et des structures sanitaires délabrées. Avec une population de 8 millions d’habitants, le pays ne dispose que de 120 médecins environ et d’une centaine d’infirmiers. Le ministère de la Santé, progressivement mis en place depuis 2005, a lancé cette année son premier plan stratégique de santé publique. Le Gouvernement du Sud Soudan (GOSS) estime que seuls 38% des postes sont pourvus par du personnel médical qualifié et qu’il lui faudra une vingtaine d’années avant de pouvoir mettre en place les ressources humaines qualifiées pour répondre aux besoins de santé des populations.

Quelques chiffres (Source MSF)

– Plus de 90% de la population du Sud Soudan vit avec moins de 1 dollar par jour,

– Le pays ne dispose que de quelque 120 médecins pour 8 millions d’habitants,

– Le taux de mortalité des enfants de moins de 10 ans avoisine les 10% – ce taux est de 8% en moyenne en Afrique, et de moins de 0,4 en France,

– Le Sud-Soudan a l’une des couvertures vaccinales de routine les plus bas au monde ; Une femme enceinte sur sept mourra des suites de sa grossesse,

– Une jeune fille de 15 ans a plus de risques de mourir en couches que d’aller à l’école.

Ainsi va, aujourd’hui, le Sud-Soudan…

Edith Bouvier

Edith Bouvier

Edith Bouvier est journaliste indépendante, envoyée spéciale en Irak.