Syrie : dans les camps de réfugiés à la frontière turque « on s’invente une vie »…

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Dans la région d’Hatay, à la frontière turco-syrienne… Edith Bouvier, journaliste indépendante, a pu, pour Grotius International, entrer dans le camp de Reyhanli… Pour rappel avant de lire son reportage, plus de 4.000 personnes, selon l’ONU, ont déjà été tuées par le régime de Bachar Al-Assad en Syrie. Fuyant la répression, des dizaines de milliers d’habitants se sont réfugiés en Turquie. Dans la région d’Hatay, les autorités locales ont mis en place cinq camps de tentes pour accueillir quelques 7000 personnes. Mais ni les ONG internationales ni les journalistes ne sont autorisés à y pénétrer…

Reportage… Un camion blanc du Croissant Rouge turc pénètre dans le camp de Reyhanli, à une vingtaine de kilomètres de la ville d’Antakya. Il est 14h, un homme en descend et entame la distribution. Matin, midi et soir, les 1500 personnes qui habitent dans ce camp sont approvisionnées en nourriture. Devant leur tente, les femmes cuisinent. Mahmoud nous invite chez lui.

Au centre, un petit chauffage électrique. Dans un coin, un sac avec des plats, des assiettes et des épices. De l’autre côté, plusieurs couvertures sont empilées. « C’est le coin cuisine. En face, les chambres. Selon le moment, on déballe ce dont on a besoin. On vit les uns sur les autres, on survit plutôt. Chez nous, en Syrie, la maison est grande, on a tous notre espace. Ici, c’est difficile. J’entends toutes les conversations dans les tentes autour. Les gens ici sont devenus mes amis, ma famille, mais je n’aime pas cette promiscuité ».

Avant de se réfugier dans ce camp, Mahmoud Mosa était professeur d’anglais. Comme des milliers de ses compatriotes, hommes, femmes et enfants, il a dû se résoudre à franchir, en juin, la frontière pour échapper aux attaques des forces militaires sur leurs villes et leurs villages. La plupart des réfugiés sont originaires de la ville de Jisr al-Shoughour et des villages environnants, mais aussi de Lataquié et Hama, plus au Sud. Il est aujourd’hui difficile de tenir une conversation avec lui. Une nouvelle attaque a eu lieu cette nuit dans sa ville d’origine et Mahmoud est inquiet : « Je me sens tellement loin des miens ici. Tellement loin de ceux qui luttent ». Alors Mahmoud tente d’agir, malgré tout : « Depuis quelques jours, on a l’électricité dans chaque tente. Je me suis acheté une clé 3G pour aller sur internet et je m’occupe de tenir le compte des atrocités commises dans mon village. Je donne des nouvelles aux gens ici, j’essaie de les rassurer ».  C’est la seule manière qu’il ait trouvée pour agir en faveur des siens. C’est aussi sa seule occupation. Les Syriens qui ont fui leur pays sont considérés comme invités sur le sol turc : s’ils n’ont pas besoin de visa pour traverser la frontière, il leur est impossible de travailler légalement.

Le Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations-Unis n’a pas été autorisé à pénétrer régulièrement dans les camps pour aider la population. Une interdiction qui a finalement  peu d’incidences sur le nombre de réfugiés, puisque la Turquie n’accorde que très rarement le statut de réfugiés aux personnes qui en font la demande sur son territoire. Et ce n’est qu’avec ce précieux sésame que les syriens auraient le droit de travailler, de louer un appartement, de voyager. D’être considérés comme des citoyens de plein droit. « Au début, raconte Mahmoud, j’avais créé une école pour les enfants du camp. Mais les autorités locales ont décrété que ce n’était pas à nous de faire ça et elles nous ont remplacés par des professeurs turcs. Mais qu’est-ce que vous voulez que nos enfants apprennent en langue turque ? Surtout que nous ne sommes pas ici pour longtemps. Aussitôt que Bachar Al Assad aura été mis dehors du pays, nous rentrerons ».

Dans une des allées du camp, Mohamed a installé son atelier de barbier. Une chaise, un pot rempli d’eau. L’occasion de tromper l’ennui pour les spectateurs du jour.  « J’étais menuisier chez moi en Syrie, dit-il, mais il faut bien que je fasse quelque chose dans ce camps. Chez moi, j’ai vu des scènes atroces, des soldats tirer sur la foule, des femmes crier, des enfants blessés. Les explosions des balles retentissaient chaque nuit et nous survivions avec la peur au ventre. Le régime est tombé dans l’horreur, ici j’essaie d’oublier ». Le jeune homme sourit et plaisante. Soudain, son regard se fige sur l’horizon. Il s’énerve : « On s’invente une vie ici, comme si tout cela était normal. Mais plus rien n’est normal pour nous aujourd’hui ». Une petite fille arrive, un seau vide à la main. Pas d’eau aujourd’hui. « Cela arrive parfois. Surtout en ce moment, les Turcs font des travaux, ils posent des pavés sur le sol afin de limiter les poussières. Les enfants étaient souvent malades à cause de cela. Ils ont aussi posé des toilettes pour les nouveaux arrivés. On ne vit pas dans de mauvaises conditions, mais on est parqués sans pouvoir rien faire d’autre qu’attendre », raconte le jeune homme, le poing serré.

Un peu plus loin, tente 397. Khalid vient d’arriver dans le camp et range dans un panier les quelques affaires qu’il a apportées. Il boîte et semble souffrir de sa jambe gauche. « Je suis infirmier, mais ces derniers mois, j’ai dû faire mon service militaire. On m’avait placé à Tal Qalar, dans le sud. J’ai vu les soldats de mon régiment tirer sur les foules, j’ai vu des civils innocents tomber. Des femmes, des enfants. Ils brûlaient les hôpitaux. Comment aurais je pu les regarder faire, je suis parti. Mon pays est devenu fou ». Toujours en colère, il allume une cigarette après l’autre, tire nerveusement sur chaque inspiration et les écrase comme pour les faire disparaître. Cela ne semble pas l’apaiser. « Dès que je serai guéri, j’y retournerai. Je préfère mourir plutôt que de vivre dans cette peur. Je veux goûter à la liberté moi aussi », ajoute-t-il avec défi. Une liberté qu’il a un peu perdue en traversant la frontière. Le camp est entouré de hautes barrières, surmontées de caméras. L’entrée est gardée par des militaires armés. « C’est pour nous protéger des services secrets syriens. En septembre dernier, le lieutenant colonel Hussein Harmoush a été kidnappé sur le territoire turc par les milices syriennes. »

Depuis, les habitants du camp ont peur de sortir ; les mères veillent avec angoisse sur leurs enfants. C’est dans cette province turque d’Hatay que pourraient être mis en place les corridors humanitaires proposés par la France pour la protection des civils. En attendant que la communauté internationale trouve un accord pour la mise en place de cette aide, de nouveaux réfugiés continuent à affluer et cherchent une tente où se réfugier. Pour eux et pour l’heure, les corridors humanitaires ne signifient rien d’important.

 

 

Edith Bouvier

Edith Bouvier

Edith Bouvier est journaliste indépendante, envoyée spéciale en Irak.