Ces dernières années, on a constaté en France la faillite de nombreuses ONG dites de « petite taille » comme Enfants Réfugiés du Monde (ERM) en 2008, Pharmaciens Sans Frontières (PSF) en 2009, Enfants du Monde Droits de l’Homme (EMDH) en 2010 et cette année le Comité d’Aide Médicale (CAM)…
Elles ont en commun de fonctionner avec des budgets de quelques millions d’euros et de dépendre essentiellement des financements publics. Dans le même temps, on assiste au rachat d’ONG par d’autres ONG qui récupèrent des programmes, des logos et un savoir faire : « Agir ici » récupéré il y a plusieurs années par OXFAM, PSF racheté par Acted, Première Urgence qui absorbe l’Aide Médicale Internationale (AMI) ou peut-être l’inverse…
La faute aux bailleurs institutionnels ?
Les ONG qui n’ont pas développé un « socle de solidarité grand public » en clair qui n’ont pas de fichiers conséquents de donateurs et dont les possibilités de marketing n’ont pas été exploitées, sont dépendantes des bailleurs institutionnels. Le bailleur le plus important pour les ONG françaises et européennes est la commission européenne. Les ONG françaises absorbent 23 % des fonds du guichet « urgence » de la commission européenne ECHO[1].
Si ces ONG ont du mal à survivre c’est que les bailleurs de fonds institutionnels exigent qu’une partie de leurs frais de fonctionnement soit financée par des dons privés. Encore récemment, les ONG qui n’avaient pas de donateurs privés mais beaucoup de subventions publiques arrivaient à grappiller quelques pourcentages sur les subventions pour leur fonctionnement. A présent les programmes subventionnés leur « coûtent » aussi de l’argent car il existe très peu de donateurs finançant à 100 % les activités et quand c’est le cas ces bailleurs ne font confiance qu’aux grosses ONG.
Les bailleurs institutionnels préfèrent en effet avoir un seul interlocuteur avec des garanties que plusieurs interlocuteurs fragiles. Cela minimise les risques, permet des économies d’échelle, un meilleur suivi des dossiers et puis pas une tête qui dépasse ! Cette tentation de la facilité, observée notamment à la Commission Européenne (CE) ou dans les agences onusiennes, a pour conséquence la disparition progressive des plus petites structures. La CE conforte cette stratégie en favorisant voir en forçant la mise en consortium européen des ONG importantes.
Pour garantir une meilleure diversité des actions, la France à travers l’Agence Française de développement (AFD) ou encore le Centre de crise (CDC) du Ministère des affaires étrangères et européennes aurait pu soutenir ces « petites ONG » en les finançant sur des critères différents que ceux de l’UE ou de l’ONU. Cela n’a pas été le cas et les institutions françaises se sont alignées sur les autres grands bailleurs. Il faut aussi rajouter que l’enveloppe du CDC et de l’AFD à destination des ONG françaises est elle aussi « petite » et les fonds du CDC ne dépassent pas 10 millions d’euros annuels[2], comme cela a été souligné lors de la Conférence Nationale Humanitaire, qui s’est tenue à Paris le 16 novembre dernier. En effet la France reste la mauvaise élève de la classe des membres du Comité de l’aide au Développement de l’OCDE avec seulement 1% de son Aide publique au développement transitant par les ONG (prestations[3] et subventions) soit 82 millions d’euros par an[4]en 2009.
Mais si les petites ONG disparaissent,
les grandes ONG sont de plus en plus grandes
En 2011, les grandes ONG transnationales présentent des budgets impressionnants : OXFAM 800 millions d’Euros, Care 508 millions d’euros, la palme revenant à l’américaine « World Vision » avec près de 2 milliards de dollars[5].
Pour la plupart, ces monstres sont des ONG anglo-saxonnes. Dans ces pays, des ONG comme Médecins du Monde[6]ou Action contre la Faim seraient de taille « moyenne » voire petite. Seule une ONG française, MSF, commence à peser vraiment lourd : près de 230 millions d’euros uniquement pour sa section française, et son réseau international va vraisemblablement annoncer un budget d’un milliard d’euros pour 2011[7].
Quand les ONG du Sud se réveilleront…
Cependant, des ONG du Sud commencent à émerger. Citons par exemple l’association bangladeshi BRAC qui œuvre dans plus de dix pays (Soudan, Pakistan, Bangladesh, Libéria …). Ses secteurs d’intervention incluent l’éducation, l’agriculture et les droits de l’Homme. Son budget est d’environ 800 millions USD en 2010.
Les actions de ces nouvelles venues sont aussi efficaces que celles des ONG occidentales mais moins chères ! Elles n’alignent pas le coût de prise en charge de leurs intervenants sur les standards européens ou américains.
Dans cette logique économique, on peut donc s’attendre un jour à une surenchère prochaine des Chinois ou bien des Indiens qui viendront casser les prix du « marché » humanitaire. On peut envisager qu’une ONG avec un volume important d’activités pourra négocier des prix plus bas pour les achats de matériel ou de médicaments.
Ira-t-on jusqu’à un partage Nord-Sud des compétences humanitaires ? C’est ce que propose un groupe d’associations belges à qui on a demandé de se projeter dans l’avenir : aux ONG du Sud l’opérationnel, et à celles du Nord le plaidoyer. Pour un temps encore, ce sont en effet les hommes politiques du Nord qui décideront des montants de l’aide publique au développement, des politiques de santé au niveau mondial, des règles des échanges économiques etc. L’avenir des ONG passe donc peut-être par un partage des responsabilités et une spécialisation dans les domaines d’action. A suivre.
[1] Conférence Nationale Humanitaire, Novembre 2011.
[2] Exceptionnellement et du fait du séisme en Haïti le budget du CDC a atteint 20 millions d’euros.
[3] Incluant des prêts, in “Rapport coordination Sud APD ; projet de loi de finances 2010 : plaidoyer pour un budget en phase avec les priorités «, 2011
[4] Résultats de l’étude « How DAC members work with civil society organizations : an overview (OCDE, juin 2011) ; En termes de montant consacré aux ONG, la France se classe 17ème sur 23 pays.
[5] World Vision a 40 000 employés dans 90 bureaux dans le monde.
[6] Médecins du Monde présente un budget 68 millions d’euros en 2010, ACF : 100 millions d’Euros.
[7] Beaucoup d’associations ont augmenté sensiblement leur budget en 2010 du fait des dons et des subventions massives reçues suite au séisme en Haïti.
Sophie Zaccaria-Duvillier
Derniers articles parSophie Zaccaria-Duvillier (voir tous)
- La mutation annoncée des ONG humanitaires – 31 décembre 2011