ONU: le nouveau visage du Conseil de sécurité

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Cinq nouveaux membres ont fait leur entrée  au Conseil de sécurité au mois de janvier 2012. Ces cinq sièges, qualifiés de «non permanents», seront occupés par l’Azerbaïdjan, le Guatemala, le Maroc, le Pakistan et le Togo. Élus pour deux ans, ils remplaceront respectivement la Bosnie-Herzégovine, le Brésil, le Gabon, le Liban et le Nigéria, tout en rejoignant les cinq autres États membres «non permanents» : Afrique du Sud, l’Allemagne, la Colombie, l’Inde et le Portugal.

carte du monde

Plusieurs questions essentielles divisent actuellement le Conseil de sécurité en ce début d’année : la crise en Syrie et les véto de la Russie et de la Chine sur le projet de résolution visant à écarter le président Bachar al-Assad du pouvoir, Moscou arguant le droit international et souhaitant voir l’opposition syrienne rendue tout autant responsable des violences, Pékin soutenant les amendements russes ; mais également le dossier de l’enrichissement d’uranium iranien tout aussi brûlant ainsi que les situations problématiques du Sud-Soudan, du Sahel, dans la Corne de l’Afrique, en Afghanistan, en Haïti, etc.

Le Conseil de sécurité, seul organe de l’ONU à caractère exécutif est potentiellement un acteur du changement. Il est de ce fait intéressant de faire un petit tour de table des nouveaux venus :

– Le Guatemala, pays d’Amérique centrale, axe sa politique extérieure sur son intégration régionale via l’Organisation des États américains (OEA) et la SICA (Système d’intégration centre-américain), organisme qui a pour vocation la consolidation de la démocratie, et le renforcement de la région comme bloc économique crédible tout en réaffirmant l’autodétermination de l’Amérique centrale dans ses relations extérieures. Au niveau de sa politique intérieure, le Guatemala doit gérer une insécurité grandissante due principalement au narcotrafic et une pauvreté importante qui touche 51 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté national. D’autre part, le Guatemala est récipiendaire de l’Aide publique au développement (APD) tout comme le Togo, le Maroc, le Pakistan, l’Afrique du Sud, l’Azerbaïdjan, la Colombie… et la Chine.

– Élu pour la seconde fois, le Togo marque son retour sur la scène internationale, notamment à travers son implication dans le maintien de la paix en Côte d’Ivoire (ONUCI) et un rapprochement croissant avec les pays voisins, ainsi que des pays partenaires en Union européenne (UE). En effet, la politique extérieure togolaise a évolué en dent de scie ces dernières décennies. Après la diplomation active développée entre les années 1960 et 1980, on assiste à une diminution de ses relations diplomatiques dans les années 1990 alors que les répressions et assassinats politiques sont dénoncés dans le pays. Le Togo souhaite cette année mettre l’accent sur la lutte contre la criminalité organisée (la piraterie), la pauvreté et travailler au maintien de la paix. Le 1er février selon l’ordre alphabétique le Togo a pris la présidence du Conseil de sécurité, et ce jusqu’au 1er mars, date à laquelle il sera remplacé par le Royaume-Uni. Il sera également en charge de la vice-présidence du Comité 1737 traitant du programme nucléaire iranien, et ce pour la totalité de l’année 2012.

– Le Pakistan, élu pour la septième fois de son histoire, rejoint l’Inde déjà présente depuis un an au sein du Conseil de sécurité. Ces deux États, frères ennemis issus de la partition de l’Empire britannique des Indes s’opposent et se défient depuis 1947. Trois guerres ont déjà opposé les deux États à propos du Cachemire, et qui ont abouti en 1971 aux accords[2] de Simla où l’Inde et le Pakistan se sont engagés « à résoudre leurs différends par des moyens pacifiques ». Plus récemment, la relation indo-pakistanaise a été mise à mal suite aux attentats de Bombay en 2008, et ce n’est qu’en 2011 sous la pression des États-Unis ; arguant que la tension Indo-Pakistanaise compliquait les efforts de paix en Afghanistan ; que le dialogue a pu être rétabli lors d’une rencontre diplomatique au Bhoutan.

Aujourd’hui, le Pakistan fait de la question du Cachemire un objectif clef de ses deux années au sein du Conseil de sécurité en soutenant le droit à l’autodétermination des peuples de Jammu-et-Cachemire et en pointant du doigt l’Inde qui ne reconnaît pas le Cachemire comme « territoire disputé ».

D’autre part, le Pakistan est marqué par une instabilité politique et de multiples de crises : humanitaire, après les inondations des étés 2010 et 2011, sécuritaire et sociétale avec la montée en puissance de l’extrémisme religieux, et économique avec une crise non moins importante. Un lent retour à la démocratie avait été entamé en 2008, mais les réformes structurelles nécessaires ont peu de chance de voir le jour avant les prochaines élections de 2013.

Notons également que le Pakistan fait partie de l’UFC (Unis pour le consensus, mouvement auquel appartient la Colombie) et qui s’oppose à l’augmentation du nombre de membre permanent au Conseil de sécurité, arguant que cela profiterait à quelques États seulement. L’UFC préfère ainsi travailler sur la réforme des méthodes de travail du Conseil de sécurité qui aurait un effet bénéfique plus général. Il s’oppose donc aux nations du G4 (Brésil, Allemagne, Inde et Japon) qui réclament pour leur part un siège permanent au Conseil de sécurité.

– De son côté, le Maroc entame un troisième mandat au sein du Conseil de sécurité. La politique étrangère du Royaume reste centrée sur deux priorités : la question du Sahara occidental, et l’arrimage du pays à l’Union européenne, auquel s’ajoute une attention particulière pour ses relations avec l’Afrique comme avec les grandes puissances. L’Afrique, autre priorité diplomatique du Maroc, amène autant de possibilités économiques et politiques que d’éléments perturbateurs à travers les trafics de drogue[3] et réseaux terroristes sans compter les avis divergents des pays africains sur la question de la souveraineté du Sahara occidental. Lié aux États-Unis par un accord de libre-échange depuis 2006, le Maroc apporte son soutien à Washington dans la lutte contre la menace terroriste d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

– L’Azerbaïdjan remporte face à la Slovénie le dernier siège vacant. C’est pour ce pays du Caucase, la première participation au Conseil de sécurité de l’ONU, et il se distingue par sa proximité géographique avec l’un des points chauds du globe qui cette année encore préoccupe grandement le conseil : l’Iran et son programme nucléaire. Les relations avec l’Iran sont complexes ; principalement dû à la présence d’une importante minorité azérie et du désaccord des deux pays sur la répartition des eaux territoriales de la mer Caspienne.

Néanmoins, les relations bilatérales s’améliorent ces dernières années avec la signature d’un mémorandum de coopération en matière de transport et d’énergie. Les deux pays partagent une frontière de 611 km, une histoire et une religion commune (l’Azerbaïdjan étant le second pays chiite au monde après l’Iran). Points communs qui ne permettent pas pour autant de qualifier les deux Etats de « bons voisins », notamment suite aux relations que l’Azerbaïdjan entretient avec les États-Unis et Israël.

En effet, Israël a été l’un des premiers états à reconnaître l’indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991, depuis les liens s’entretiennent à travers des relations commerciales et de politique énergétique. À l’ouest, l’Azerbaïdjan s’oppose à l’Arménie sur la question du Haut-Karabakh qui demeure l’un des derniers conflits gelés issus de l’éclatement de l’URSS. Le « Groupe de Minsk[4] » créé en 1992, travaille à  une médiation entre les deux états pour favoriser une issue durable et pacifique au conflit qui perdure depuis février 1988.

Le Conseil de sécurité dont la composition n’a pas été modifiée depuis la réforme de 1963 et l’ajout de quatre membres non permanents, n’est plus représentatif du monde d’aujourd’hui. Alors que le conseil de sécurité de 1946 représentait presque 20 % des états membres de l’ONU, il ne représente aujourd’hui ; avec l’admission du Sud-Soudan en 2011 ; plus que 8 % de la totalité des 193 Etats membres.

Depuis 2005, le G4 appuie l’élargissement du nombre de membres permanents. Pour eux-mêmes bien sûr, mais aussi pour que deux états africains puissent rejoindre les membres permanents. Sont pressentis l’Afrique du Sud, le Nigéria et/ou l’Égypte. Cette proposition est appuyée par plusieurs pays, dont le Royaume-Uni et la France, qui soutiennent également l’entrée d’un pays du monde arabe au sein des membres permanents. D’autres États, réunis au sein de l’UFC, refusent cette proposition, tout comme la Russie qui ne souhaite pas voir le nombre de membres permanents augmenter, ni le droit de veto remis en question.

Aujourd’hui, il est probable de voir la solution émerger par le biais d’un compromis avec la création d’une nouvelle catégorie de sièges au Conseil de sécurité dont le mandat irait de trois à quinze ans selon les propositions. Peut-être pourrions-nous voir prochainement un Conseil de sécurité plus représentatif de son temps, et ainsi laisser derrière nous une architecture obsolète héritée d’une guerre d’un autre siècle…

 [1] Rappelons que les membres non permanents sont élus par l’Assemblée générale qui, selon la charte de l’ONU, prend sa décision en fonction des contributions des pays candidats au « maintien de la paix et de la sécurité internationale » et de leurs localisations géographiques, chaque continent devant être représenté au sein de l’organe exécutif de l’ONU.
[2] Accords non remis en cause par l’accession à l’arme atomique des deux pays en 1998.
[3] Le Maroc est considéré aujourd’hui comme le premier producteur et exportateur de
[4] Le « Groupe de Minsk » étant en coprésidence tripartite avec la France, Etats-Unis et Russie.

 

Anne Senequier

Anne Senequier

Anne Senequier est médecin pédopsychiatre au double cursus relations internationales-Humanitaire. De retour de mission au Moyen-Orient, elle travaille actuellement à la Fondation Vallée (94).

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