Procès Simbikangwa : le premier d’une série

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Interview de Simon Foreman sur le procès de Pascal Simbikangwa, premier Rwandais jugé en France pour son implication présumée dans le génocide de 1994.

Gaël Grilhot : Simon Foreman, vous êtes l’un des avocats du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). Selon vous, s’agit-il d’un procès politique ou d’un procès pour l’histoire ?

 Simon Foreman : ça peut-être les deux à la fois.

 GG : Que représente ce procès pour vous, pour les Rwandais, pour l’histoire en général ?

 SF : C’est la première fois qu’en France on juge le génocide rwandais, et même tout simplement un génocide, bien qu’il se soit s’est passé hors de France. Mais c’est la première fois qu’un procès d’Assises fondé sur la compétence universelle se tient en présence de l’accusé. Il y a eu quelques précédents de compétence universelle qui ont été jugés par défaut. C’est donc évidemment une première, d’autant que l’on commémore cette année le 20ème anniversaire du génocide rwandais. En ce qui concerne l’aspect politique, cela dépend de ce qu’on entend par là. C’est un procès judiciaire qui suit les règles du code de procédure pénale qui n’est pas un procès des vainqueurs contre les vaincus ou que sais-je. Mais il y a une dimension politique dans un procès comme celui-là, nécessairement.

GG : D’autant plus que la France a été clairement mise en cause au moment du génocide. Est-ce qu’il n’y a pas derrière ce procès une façon de juger l’action de la France?

 SF : Je ne pense pas que le procès va s’intéresser à l’action de la France. Evidemment, on ne peut pas empêcher tel ou tel témoin, ou accusé ou avocat d’en parler s’il le veut. Ce n’est pas le sujet du procès. Le sujet du procès, c’est la responsabilité de Pascal Simbikangwa lui-même.

 GG : Comment fonctionne ce type de procès ? Il y a des spécialistes qui évoquent le contexte politique de l’époque, le contexte régional peut-être et puis des témoins qui viennent à la barre ?

SF : Absolument, il y a une partie qui est terminée maintenant, mais qui a duré les deux premières semaines, et qui était une espèce de formation accélérée pour les jurés. Qu’est-ce que le Rwanda ? Quelle est son histoire ? Toute une partie historique, culturelle, sociologique qui a duré à peu près 15 jours. La 3ème semaine, on est entré dans le procès de Pascal Simbikangwa lui-même : sa personnalité, son parcours, les témoins qui l’ont connu dans sa carrière et à partir du 24 février, on va entrer dans le vif du sujet, c’est-à-dire les faits pour lesquels Pascal Simbikangwa est jugé. On assistera au témoignage de ceux qui l’ont vu participer au génocide.

GG : Dans ce type de procès, on a parfois l’impression que c’est parole contre parole. Il y a des contradictions entre les témoignages, soit des victimes, soit des gens qui ont connu la personne en question. On a un peu l’impression qu’il y a une absence de preuves au final. Comment appréhendez-vous ce genre de problématique ?

SF : Non, ce n’est absolument pas vrai. D’abord, il y a des éléments autres que les témoignages. Je vous donne un exemple : il conteste avoir eu une activité de journaliste dans certaines revues extrémistes, mais nous avons versé au dossier et montré aux jurés ces revues où il avait exercé. Ce sont des éléments de preuve. Par ailleurs, même s’il s’en défend, nous avons aussi  la preuve du fait qu’il était actionnaire de la radio des Mille collines. Nous avons un certain nombre d’éléments qui sont prouvés par documents.
La procédure aux Assises est orale, le jury entend les témoins de la défense et les témoins de l’accusation, donc des témoins qui se contredisent  comme il y en a systématiquement dans tous les procès. Il n’y a rien de particulier, pour celui-là. Et le travail du jury, c’est de départager les témoins, voir ceux qui sont crédibles, ceux qui se contredisent… Tout  le travail du jury et de la cour d’Assises, c’est de démêler le vrai du faux comme dans n’importe quel procès.

GG : Dans les prochains témoignages, y en a-t-il certains qui sont plus attendus que d’autres ?

 SF : Non, je pense que tous les témoignages sont  sont importants, parce que chacun est une photographie de ce qu’a fait Simbikangwa pendant le génocide. Quelquefois on a un témoin isolé qui rapporte une scène isolée et qui n’est corroborée par personne. C’est quand même intéressant de l’entendre. Le jury l’écoute et se fait sa conviction : est-ce que ce témoin a l’air sincère, crédible ? Il y a les témoignages qui se recoupent et notamment ceux qui font état de ce qui se passait dans le quartier de Simbikangwa qui était le quartier de la présidence à Kigali et où il y a toutes les ambassades, la résidence du Président de la République, etc. Là, on a  des témoins qui disent, chacun avec son point de vue certes, mais qui font tous le même récit d’un personnage qui était le maître du quartier, qui donnait des instructions et distribuait des armes à ceux qui tenaient les barrières.

Nous avons aussi les témoignages de personnes qu’il a fait rechercher lui-même par les juges d’instruction pour appuyer le fait qu’il a  sauvé certains Tutsis, en les cachant chez lui, par exemple. Cela a été confirmé par ceux-là même à qui il a sauvé la vie.  Mais en même temps, quand on leur demande ce qu’il se passait chez Simbikangwa pendant le génocide, ils racontent que de leurs cachettes, ils entendaient les militaires aller et venir pour prendre des instructions ou récupérer des armes… « Quand Simbikangwa a réussi à m’exfiltrer en me faisant passer pour un Hutu, j’étais assis à côté dans la voiture et il franchissait les barrières sans aucun problème, parce que c’était Simbikagwa tout le monde le laissait passer », comme on a pu l’entendre.

Donc, que ce soit un personnage complexe, comme semble t-il énormément de gens pendant le génocide, nous n’en doutons pas. C’est facile de tuer des Tutsis qu’on ne connaît pas, mais quand ce sont des proches… Je pense que tout le monde a essayé de sauver des Tutsis. Simbikagwa a caché ses voisins les plus proches, mais ceux-là même disent bien que oui, il leur a sauvé la vie, mais qu’en même temps  il a fait tuer plein d’autres personnes. Là-dessus, on aura des témoignages qui sont forts, qui se confrontent les uns les autres.

GG : On fait une description assez redoutable de son action pendant le génocide. Aujourd’hui, pourtant on a l’image d’un homme assez affaibli en fauteuil roulant qui nie avoir commis ces crimesOn peut être troublé et se demander si c’est bien le même homme.

SF : Oui,  il nie les actes qu’on lui prête. On n’est pas encore entré dans la période du génocide lui-même. Mais dans les années 88 à 94, il était au service de renseignement de la Présidence de la République chargé des basses œuvres. Quand il y a eu la libéralisation de la presse sous l’effet de la conférence de La Baule en 90-91, tous les partis ont créé leur journal, le pouvoir l’a très mal vécu et a désigné un certain Pascal Simbikangwa, dans sa chaise roulante, capitaine des services de renseignement pour terroriser la presse. Il allait chercher les journalistes, il les ramenait dans son bureau, il les torturait. On a eu des témoins qui sont venus raconter qu’ils avaient été torturés par Simbikangwa. On a eu l’ambassadeur de Belgique qui nous a raconté qu’il avait vu un jour débarquer dans sa résidence, le président de l’association des journalistes qui lui a amené un journaliste qui sortait de chez Simbikagwa qui avait les pieds en sang, qui avait manifestement était torturé. Enfin, il y a au moins deux demi-douzaine de témoignages de ce genre là. Il s’enferme dans une dénégation qui ne convainc personne.

GG : Au vu des témoignages apportés, peut-on affirmer aujourd’hui que c’est un acteur de premier plan du génocide de 94 ?

SF: Oui.

 GG : Concernant le rôle un peu trouble de la France. Ce procès arrive quand même tardivement, 20 ans après les faits. Pourquoi aussi tard et peut-on imaginer que d’autres procès vont suivre ?

SF : Le procès de Simbikagwa lui-même n’a pas été si long que ça, parce qu’il a été arrêté en 2009, jugé en 2014, on est à peu près dans la moyenne d’un procès criminel aux Assises en France. L’instruction dure 3 à 4 ans, et les délais d’audience dans son cas ont été tout à fait  normaux. Par contre, il y a 26 ou 27 autres dossiers qui sont toujours en cours d’instruction, certains qui ont été ouverts récemment, mais d’autres qui ont été ouverts en 95-96, et pour ceux là c’est complètement inadmissible et complètement anormal. L’exemple que l’on cite toujours, c’est l’abbé Munyeshyaka, le prêtre Wenceslas Munyeshyaka, curé de la cathédrale de la Sainte famille à Kigali. Il a été mis en examen en 95 ou 96 et  il est totalement anormal que le dossier n’avance pas.

Tous les dossiers rwandais ont été bloqués pendant des années, pour une combinaison de facteurs assez complexes. Ils étaient d’abord confiés à des juges d’instruction non spécialisés qui devaient gérer toute la criminalité de leur ressort, la délinquance ordinaire, avec en plus le Rwanda auquel ils ne connaissaient rien et qui ne les motivait pas toujours. Ce problème là a été résolu au début des années 2000 quand la Cour de cassation a décidé qu’il fallait regrouper tous les dossiers rwandais à Paris. On a eu des juges qui se sont vus de fait spécialisés dans le Rwanda, mais sans être déchargés de leurs autres dossiers. Forcément il y a avait un peu plus de lecture en diagonale, de point commun entre les différentes affaires qui leur permettaient de faire « des économies d’échelle » d’une certaine manière.  Plutôt que d’avoir plein de juges qui se penchaient sur l’histoire du Rwanda, il y en a eu  2 ou 3 qui ont eu à traiter une quinzaine de dossiers. Pour autant, ils n’étaient pas déchargés de leur mission ordinaire et c’était en plus à une période où la France et le Rwanda avaient rompu leurs relations diplomatiques, donc enquêter au Rwanda était impossible. Lorsqu’ils demandaient à pouvoir aller au Rwanda pour rencontrer les témoins, le Rwanda faisait la sourde oreille.

Tout cela fait que toutes les enquêtes ont été de fait quasiment bloquées jusqu’à 2009-2010, au moment où les relations diplomatiques ont repris et où Paul Kagamé est venu à Paris et Nicolas Sarkozy est allé à Kigali. A peu près à la même époque, Bernard Kouchner a obtenu du ministère de la justice la création d’un pôle de juges spécialisés qui a été mis en place fin 2011 début 2012, et depuis  début 2012, ce qui est relativement récent somme toute. On a 2 parquetiers, 3 juges d’instruction, ce qui fait 5 magistrats, 5 assistants et une équipe d’une quinzaine de gendarmes. En tout 20 à 25 personnes qui travaillent à plein temps presque exclusivement sur le Rwanda en dehors de quelques autres dossiers de crimes contre l’humanité au Congo-Brazzaville, au Cambodge, et en IRAK. Avec une vingtaine de personnes qui travaillent  à plein temps sur le Rwanda, la force de travail, d’enquête et d’avancement des dossiers a été multipliée par 10 ou 20 par rapport à ce que c’était avant. Les dossiers sont en train d’avancer à vitesse grand V maintenant.

Cette affaire est la première, mais pour moi, dans les mois qui viennent, d’autres instructions vont être clôturées, probablement des jonctions d’affaires. On n’aura pas 25 procès dans les années qui viennent, mais plutôt des regroupements géographiques. Par exemple tous les accusés de la ville de Butaré dans le sud pourraient être jugés en même temps. Je ne sais pas quelle sera la logique que retiendront les juges d’instruction, mais probablement que pour faire des économies sur le coût d’organisation des procès, ils vont regrouper les affaires lorsqu’elles pourront l’être et que cela ait  un sens, bien sûr.

GG : Donc on peut s’attendre, dans le courant 2014, qui est le 20ème anniversaire du génocide, à une série de procès ?

SF : Pas en 2014, parce que ça demande du temps d’organiser un procès. Le procès de Simbikagwa a commencé en février 2014, l’instruction est clôturée depuis le printemps 2013, ça vous donne un peu l’échelle de temps qu’il faut pour organiser un procès. Mais en 2015, 2016, 2017, il y en aura certainement une demi-douzaine.

 

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot est journaliste indépendant.

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