Quel statut pour la Palestine aux Nations Unies ?

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La Palestine va solliciter le 29 novembre prochain son admission comme Etat observateur non-membre aux Nations Unies. Première interrogation : la Palestine est-elle un Etat ?

En droit international, l’existence d’un Etat implique que l’entité concernée dispose d’un gouvernement souverain, exerçant sa juridiction sur un territoire défini et une population permanente. Ces trois critères juridiques font consensus, mais la manière de les interpréter fait débat.

Il est possible de considérer que la Palestine remplit les trois critères exigés par le droit international : un gouvernement souverain (institutions, administration, police dont les Nations Unies considèrent aujourd’hui qu’elles répondent à des critères de fiabilité et de gouvernance) installé sur un territoire défini (bien que ce gouvernement souverain n’exerce ses pouvoirs que sur une partie du territoire palestinien, en raison de l’occupation israélienne) ayant autorité sur une population permanente (bien qu’il n’ait pas autorité sur les colons israéliens installés en Palestine). Une fois que ces trois éléments sont réunis, les Etats membres de la communauté internationale décident ou non de reconnaître à l’entité concernée le statut d’Etat. Une telle reconnaissance procède d’un choix souverain d’un gouvernement à l’égard d’une entité à laquelle il reconnaît le statut d’Etat. Il s’agit d’une décision politique, qui se fait sous la forme d’une déclaration unilatérale.

A ce jour, 132 Etats (mais pas la France) ont reconnu l’Etat de Palestine sur les 193 Etats membres que comptent les Nations Unies. La reconnaissance internationale n’est pas un critère de l’existence d’un Etat mais un outil indispensable à son fonctionnement sur la scène internationale, car cela lui permet d’avoir des relations bilatérales et multilatérales avec les autres Etats. Au regard de l’ensemble de ces éléments, il est donc possible de dire que la Palestine est un Etat, même s’il reste du chemin à parcourir avant qu’il soit un Etat totalement souverain et reconnu par tous.

 Pourquoi la Palestine n’est-elle pas un Etat
membre des Nations Unies ?

Il faut bien comprendre au préalable que l’admission d’un Etat aux Nations Unies est différente de la reconnaissance de cet Etat par les Etats membres de la communauté internationale. Les deux questions ne sont pas sans lien. L’admission d’un Etat aux Nations Unies facilite sa reconnaissance par les Etats membres et la reconnaissance préalable d’un Etat par des Etats membres facilite son admission aux Nations Unies. Mais, juridiquement, elles restent distinctes. La reconnaissance d’un Etat est régie par le droit international général, alors que l’admission d’un Etat aux Nations Unies est régie par la Charte des Nations Unies.

Quel que soit le statut d’une entité aux Nations Unies (Etat membre, Etat observateur non membre ou entité observatrice), ce statut n’a pas d’effet juridique sur les reconnaissances formulées à titre bilatéral par les Etats. L’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) peut certes adopter une résolution ayant une valeur de recommandation aux Etats membres. La Résolution 181 (II) de novembre 1947 avait ainsi décidé « l’établissement de l’indépendance des Etats juif et arabe », résolution sur laquelle Israël s’était appuyé pour sa déclaration d’indépendance en 1948. Mais l’AGNU n’a pas compétence pour reconnaitre un Etat à la place des Etats membres des Nations Unies. A l’inverse, l’admission d’un Etat membre aux Nations Unies répond à une procédure précise prévue par la Charte des Nations Unies, peu important le nombre de reconnaissances dont il bénéficie déjà. Jusqu’à présent, bien que 132 Etats reconnaissent la Palestine comme Etat, les conditions juridiques n’ont pas été réunies pour que la Palestine soit reconnue comme Etat membre aux Nations Unies.

 Quelles sont ces conditions juridiques d’admission qui
n’ont pas été réunies jusqu’à présent ?

L’admission comme membre des Nations Unies est régi par l’article 4 de la Charte des Nations Unies. Cet article prévoit deux étapes formelles et cumulatives : l’adoption par le Conseil de sécurité d’une résolution recommandant à l’AGNU d’examiner la candidature de l’Etat concerné ; et un vote à majorité des deux tiers à l’AGNU. Cet article prévoit, par ailleurs, cinq critères d’admission : être un Etat ; être pacifique ; accepter les obligations de la Charte ; et au jugement de l’Organisation, être capable de les remplir et disposé à le faire. Toutefois, ces critères ne lient en rien le choix des membres du Conseil de sécurité. Le vote d’une résolution favorable à l’admission d’un Etat est donc la résultante de considérations politiques.

Le plus souvent, les membres du Conseil de sécurité comme de l’AGNU soutiennent l’admission d’Etats qu’ils ont reconnus ou ont l’intention de reconnaître à titre bilatéral, bien qu’il n’existe pas, comme déjà indiqué, de lien juridique entre l’admission aux Nations Unies et la reconnaissance bilatérale. Le 193ème Etat admis, le Sud-Soudan, l’a été par cette procédure en juillet 2011.

En septembre 2011, la Palestine a voulu solliciter son admission aux Nations Unies comme Etat membre. Mais cette demande a été abandonnée, car elle s’est heurtée aux réalités politiques liées à la composition du Conseil de sécurité. Le vote à l’AGNU en faveur de l’admission palestinienne comme Etat membre n’aurait pas posé de difficultés. La majorité des deux tiers à l’AGNU est requise, soit 128 votes. Hors, la Palestine est déjà reconnue comme Etat par 132 Etats membres. Logiquement, la candidature palestinienne aurait obtenu au moins 132 votes, ce qui était suffisant. Le principal obstacle était, en revanche, celui du Conseil de sécurité. Les Palestiniens devaient réunir une majorité au Conseil de sécurité, soit au moins 9 votes sur 15 et éviter le veto d’un des 5 Etats membres permanents. Hors, d’une part, il n’était pas certain qu’ils obtiennent 9 voix sur 15 et, d’autre part, les Etats-Unis avaient annoncé qu’ils feraient usage de leur veto.

 Quel est le statut actuel de la Palestine aux Nations Unies ?

La Palestine ne jouit pas d’un statut d’Etat membre des Nations Unies. Mais l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) a obtenu par la résolution 3237 du 22 novembre 1974 de l’AGNU le statut d’observateur aux Nations Unies. C’est de ce statut dont bénéficie, par exemple, le Comité International de la Croix-Rouge. L’OLP, de ce fait, a pu participer aux sessions et aux travaux de l’AGNU et disposer d’une mission permanente d’observation au Siège de l’Organisation à New York, ainsi qu’à Genève.

Le 15 novembre 1988, le Conseil National de l’OLP a proclamé unilatéralement l’établissement de l’Etat de Palestine. A la suite de cette proclamation, l’AGNU, qui a le pouvoir de faire évoluer le statut d’une entité observatrice pour ce qui est de l’Organisation des Nations Unies, a décidé par sa Résolution 43/160A du 9 décembre 1988 que les communications transmises par l’OLP seraient désormais diffusées comme documents officiels des Nations Unies. Puis, par la résolution 43/177 du 15 décembre 1988, l’AGNU a également décidé que la désignation d’OLP serait remplacée par celle de Palestine. Enfin, par la résolution 52/250 du 7 juillet 1998, l’AGNU a élevé le statut de la délégation de la Palestine à celui d’observateur permanent, lui donnant ainsi une sorte de statut hybride entre celui d’observateur et celui d’Etat non membre.

Ce statut lui confère des droits et privilèges supplémentaires pour ce qui est de participer aux sessions et aux travaux de l’AGNU (elle peut se porter coauteur des projets de résolution et de décision touchant à la Palestine et au Moyen-Orient) ainsi qu’aux conférences internationales et aux conférences des Nations Unies. Le statut d’observateur présente toutefois deux limites fondamentales : il ne confère ni le droit de vote, ni celui de présenter de candidats au sein des organes des Nations Unies.

 Que est le statut que la Palestine va solliciter
le 29 novembre prochain ?

La Palestine va ce jour-là déposer un projet de résolution auprès de l’AGNU en vue du rehaussement de son statut aux Nations Unies, en passant de celui d’observateur permanent à celui d’Etat observateur non membre. Pour les Palestiniens, cette option est un peu un pis-aller par rapport à leur demande initiale de septembre 2011, mais ils n’ont pas d’autre choix compte tenu du rapport de force au Conseil de sécurité.

Il s’agit d’acquérir un statut dont bénéficie aujourd’hui le Saint-Siège fondé sur la résolution 58/314 de l’AGNU du 16 juillet 2004, après que ce statut d’Etat observateur lui ait été accordé le 6 avril 1964. La Suisse, entre 1948 et 2002, avait un statut identique d’Etat observateur. L’élévation du statut onusien de la Palestine doit se faire selon une procédure peu usitée, qui n’est pas prévue par la Charte de l’ONU. Si l’admission d’un État comme membre de plein droit est jugée comme une question importante qui exige le 2/3 des voix  (art. 18§2 de la charte des Nations Unies), la Charte de l’ONU ne dit rien sur l’admission d’un État non-membre. Mais que l’on parle de majorité simple des membres présents et votants (97/193 au maximum) ou de majorité qualifiée des 2/3 (129/193 au maximum) sur la question du nombre requis de votes à l’AGNU en faveur de cette admission, la majorité suffisante semble acquise, puisque 132 Etats membres reconnaissent déjà la Palestine comme Etat.

Le suspense est donc très relatif. Il porte plus sur le sens du vote de la France, des Etats européens et certains autres pays occidentaux (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) qui reste incertain : favorable, abstention ou défavorable. En septembre 2011, lors de son passage au Siège des Nations Unies, le président Sarkozy s’était déclaré en faveur d’une telle option, en alternative à la demande palestinienne d’admission comme Etat membre. Et le soutien à une reconnaissance internationale de l’Etat palestinien était un des 60 engagements pour la France de François Hollande.

 Pourquoi la Palestine se porte-t-elle candidate
à ce statut d’Etat non-membre ?

Politiquement, le rehaussement du statut onusien de la Palestine est un moyen pour la Palestine d’imposer son existence sur la scène internationale, alors que les négociations de paix avec l’Etat d’Israël semblent complètement dans l’impasse et que la colonisation qui se poursuit mine chaque jour un peu plus les fondements de l’Etat palestinien. Sur le plan juridique, la conséquence la plus importante sera très certainement la possibilité pour la Palestine de devenir partie aux principales conventions internationales. Le secrétariat des Nations Unies estime en effet qu’une résolution de l’AGNU conférant le statut d’Etat, même non membre, revient à reconnaître la qualité d’Etat dans le cadre des Nations Unies.

Par conséquent, s’agissant d’organes internationaux fondés sur des Conventions dont les Nations Unies sont dépositaires (la plupart des Conventions), le rehaussement de statut à celui d’Etat non membre ouvrirait la voie à une adhésion de la Palestine. Elle pourrait ainsi devenir partie au Statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale (CPI). Le 3 avril 2012, le procureur de la CPI a indiqué que l’octroi de ce statut d’Etat non membre par l’AGNU lèverait l’indétermination actuelle sur le statut international de la Palestine et pourrait donc servir de base à la compétence de la Cour. La Palestine ayant, le 22 janvier 2009, fait une déclaration acceptant la juridiction de la CPI, elle deviendrait par conséquent immédiatement partie au Statut de Rome.

Seule la date d’entrée en vigueur de cette compétence de la CPI sur la Palestine demeurerait à déterminer. Avec cette compétence, le procureur de la CPI pourrait décider d’ouvrir une enquête sur les violations du droit international humanitaire commises dans les frontières de l’Etat de Palestine. Ce qui donnerait juridiction à la Cour pour tous les crimes relevant de sa compétence (notamment les crimes de guerre et crimes contre l’humanité) commis sur le territoire palestinien ou par un ressortissant palestinien.

A cet égard, il faut mentionner que figure parmi les crimes de guerre énoncés dans le Statut le « transfert par une puissance occupante d’une partie de sa population civile dans le territoire qu’elle occupe ». Or, cela correspond à la politique de colonisation menée par Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, comme l’ont relevé le Conseil de sécurité  dans de nombreuses Résolutions et la Cour internationale de Justice (CIJ) dans l’Avis sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé du 9 juillet 2004. L’adhésion au Statut de Rome aurait donc pour effet de rendre responsables devant la CPI les dirigeants israéliens.

Sans être directement liée, l’admission de la Palestine comme Etat non membre aux Nations Unies devrait lui permettre de rejoindre plus facilement diverses organisations internationales. L’admission à l’UNESCO en 2011 constitue un précédent. Le Conseil exécutif de l’UNESCO a recommandé (40 membres sur 58) à la Conférence générale d’admettre la Palestine comme Etat membre. La demande d’admission a été confirmée à la Conférence générale de l’UNESCO à la majorité de deux tiers de ses 193 Etats membres. La France a d’ailleurs voté en faveur de la demande palestinienne.

L’adhésion ad hoc n’est pas possible dans les organisations internationales qui renvoient au statut défini par l’AGNU. Mais elle sera possible dans les organisations pour lesquelles l’admission est de la compétence d’un organe directeur se prononçant sans préjudice du statut du candidat aux Nations Unies. La Palestine pourrait se voir accorder le statut d’Etat membre à la FAO, à l’OIT, à l’OMS, à l’ONUDI ou encore à l’OMI.

 

Ghislain Poissonnier

Ghislain Poissonnier

Ghislain Poissonnier, magistrat français et ancien délégué du CICR. Il est l’auteur de « Les chemins d’Hébron – Un an avec le CICR en Cisjordanie » (L’harmattan, 2010).