François Grünewald pose la question : les ONG doivent-elles rester en Afghanistan ou partir ? Le Directeur général du Groupe URD affirme : «Au-delà des pertes humaines qu’elles vont subir dans les années à venir, il n’est pas sûr qu’elles sortent éthiquement indemnes de la situation actuelle.» Dans ce dossier, le consultant international Serge Michailof dresse le constat de l’échec de l’action menée par la communauté internationale et se demande : quelles leçons tirer des erreurs commises ? (Voir article plus bas). Enfin nous remercions le Centre des études de sécurité de l’Ifri qui a autorisé Grotius.fr à publier un article d’Amaury de Féligonde, lequel a été Chef de projet en Kapisa et Surobi (Cellule Interministérielle Afghanistan Pakistan) de juillet 2009 à juillet 2010. Article intitulé : «La coopération civile en Afghanistan. Une coûteuse illusion ?» (Voir article plus bas)
Partir ou rester ?
« C’est avec profond regret que je me trouve dans l’obligation de confirmer que Linda Norgrove, enlevée dans l’est de l’Afghanistan le 26 septembre, a été tuée par ses ravisseurs au cours d’une opération de sauvetage la nuit dernière », a annoncé samedi 9 octobre dans un communiqué le ministre britannique des affaires étrangères, William Hague. En août, huit membres étrangers d’une équipe médicale avaient été tués. Le même jour, 4 militaires italiens étaient tués, pourtant à 572 le nombre des soldats des Forces Internationales tués en terre afghane depuis le début de l’année (source icasualties.org).
Dans ce conflit, les choix se restreignent vite : s’enfoncer toujours plus dans un nouveau «Vietnam» dont le prix sera élevé, non seulement pour les militaires et les politiques, mais aussi pour les populations et pour les humanitaires ? Chercher un accord avec l’opposition armée, une «paix des braves» au prix du risque de retours en arrière sur des critères de démocratie et de condition de la femme ?
En tout cas, des attaques de plus en plus fortes visent autant le pouvoir afghan au cœur même de Kaboul que les bases et routes d’approvisionnement de la coalition et de l’OTAN, notamment sur l’axe stratégique venant du Pakistan.
Pour les ONG, régulièrement mises au pilori par une presse afghane populiste (taper sur le ONG est une bonne opération électorale), mises en danger par les pratiques de prosélytisme de certaines d’entre elles et par les mélanges civilo-militaires, la voie devient de plus en plus étroite. Les choix à faire doivent à la fois s’enraciner dans l’histoire du mouvement ONG en terre afghane, dans une réflexion basée la fois sur des principes très clairs, ainsi que sur une intelligence aigue de la situation et de ses évolutions possibles : La réflexion sur le «pourquoi et le comment» de la présence ou du retrait sera nécessairement douloureuse.
Les premières phases post guerre…
Des centaines d’ONG déferlent sur le pays, la plupart n’y ayant jamais mis les pieds. Le gouvernement Afghan et la société ont, face à cette déferlante de land-cruiser et moyens, des réactions très compréhensibles de rejet.
Avec l’affirmation d’un agenda de «construction de l’Etat», d’autres interrogations émergent : quelles stratégies de «sortie de crise» les grosses mécaniques onusienne et otannienne vont-elles mettre en oeuvre ? Quels mécanismes de transfert des rênes aux Afghans ? Dans quel contexte de ressources humaines locales et par rapport à quelle forme de l’Etat ?
C’est dans ce contextes encore optimiste que les premières questions sur le rôle des ONG ont commencé à réellement se poser : ONG d’urgence ne trouvant pas leur place dans les agendas de développement et de «state building», ONG de développement cherchant leurs marques dans les nouveaux mécanismes d’appel d’offre, etc. C’est enfin pendant cette phase que les mécanismes de type civilo-militaires se sont fortement développés, passant de quelques équipes PRT en 2003 à plus de 20 en 2009. Le danger de ce mélange a été moult fois souligné, mais les voix des ONG n’ont pas été écoutées.
Bientôt le 11 septembre 2011, quel futur pour les ONG ?
Depuis 2006, la situation s’est fortement dégradée. L’accès au terrain pour les ONG s’est progressivement réduit, tandis que les incidents de sécurité se multipliaient. Staff nationaux et internationaux des ONG internationales, personnel des ONG nationales, tous sont devenus des cibles potentielles. La veille sur la sécurité est devenue permanente et la moindre voiture qui repasse deux fois devant un bureau ou une guest-house peut créer une véritable paranoïa. Les zones rurales du Nord, longtemps indemnes, sont maintenant de plus en plus touchées par l’insécurité et la coupure entre un pays inaccessible du sud et de l’est et un nord tranquille sont en train de disparaitre.
Les ONG sont ainsi confrontées à trois grands défis :
Redéfinir leur place dans les processus de construction de la société civile afghane et les difficultés de l’«aliénité» : que comprenons nous de ces sociétés si diverses, qui ont des codes et des références si différents, parfois si opposés aux nôtres ?
Approfondir l’analyse des risques d’instrumentalisation dans le processus politique: Linda Norgrove travaillait pour un passionnant programme de génération d’emplois d’USAID, donc pour une des parties les plus engagées dans le conflit armé.
Dans un tel contexte, ce mélange est vite mortel : clarifier leur place dans le soutien à l’amélioration des conditions de vie des populations, et notamment à celle de l’accès aux services essentiels.
La recherche de stratégies est complexe… Pour certaines ONG, la présence en Afghanistan n’en vaut plus la chandelle : la phase d’urgence est terminée depuis longtemps ; le mélange entre recherche d’accès aux populations et sécurisation des équipes est brouillé par l’implication des militaires, des politiques et des privés dans ce secteur sensible que les ONG aimeraient gérer sur des bases de l’acceptation par les acteurs de la violence et non pas par des escortes, des barbelés, des vigiles armés. Les responsabilités de la reconstruction et du développement sont revenus auprès des institutions de l’Etat afghan et des bailleurs bi et multilatéraux. Au final, les risques sont trop grands face aux bénéfices que peuvent escompter les populations.
Pour d’autres, dont certaines engagées dans le pays depuis les premières heures, le choix de partir ou de rester est très difficile : en delà des liens affectifs et des éventuelles dépendances budgétaires, c’est aussi l’espoir d’un rôle possible pour améliorer l’accès des populations aux services de base, de contribuer au renforcement des compétences des acteurs afghans et de renforcer la société civile de ce pays.
Les ONG avaient réussi à «survivre» en Afghanistan à travers les nombreux soubresauts de l’histoire. Au-delà des pertes humaines qu’elles vont subir dans les mois et années à venir, il n’est pas sûr qu’elles sortent éthiquement indemnes de la situation actuelle.
• Lire l’article de Serge Michailof (PDF) : Le_défi_de_la_reconstruction_des_Etats « faillis »
• Lire l’article d’Amaury de Féligonde (PDF) : http://www.ifri.org/downloads/fs24defeligonde.pdf
François Grünewald
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