2013, « the yearafter » : du catastrophisme à l’optimisme lucide

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Maintenant que cotillons et guirlandes sont rangés, il est temps de se retourner sur la décennie écoulée, afin de porter un regard lucide sur notre climat futur et ses conséquences. Un futur qui nous concerne, aussi bien en tant que citoyens, acteurs humanitaires, chercheurs, universitaires, responsables d’entreprises et des pouvoirs publics.

Les climato-sceptiques me pardonneront (ou pas) le parti-pris de cet édito, mais les débuts d’année sont généralement le temps d’un engagement. L’engagement que je prends pour cette nouvelle année est triple. Il s’agit tout d’abord  de réaffirmer que les lourds bilans des catastrophes naturelles sont intrinsèquement liés aux conditions de développement – et d’urbanisation – des sociétés dans lesquelles elles se produisent. Préciser ensuite que les modifications en cours du climat global de notre planète vont, sinon provoquer des conflits, tout au moins en constituer des facteurs aggravants, et obliger des dizaines de millions de personnes à devenir des migrants climatiques. Enfin, dénoncer une vision hémiplégique du monde, où l’amoncellement de mauvaises nouvelles tiendrait lieu de réalité unique, oblitérant de fait l’émergence d’une indispensable résilience et de solutions positives.

Bilan d’une décennie de catastrophes socio-naturelles

Cette dernière décennie a vu augmenter de façon très significative la survenue de catastrophes naturelles de tous ordres, qu’ils s’agissent de cyclones, de tremblements de terre, de tsunamis, d’inondations ou de sécheresses. Leurs conséquences humaines, sociétales, sanitaires, environnementales et financières sont également majeures. Le réchauffement climatique a multiplié les phénomènes météorologiques extrêmes comme les cyclones, les ouragans et les inondations. L’accroissement de la population vivant dans des régions côtières et l’intensification de ces catastrophes naturelles sont souvent présentés comme les facteurs explicatifs de l’augmentation notable de la mortalité qui en résulte.

Depuis 2000, près de 2,5 milliards ont été affectés par plus de 4000 évènements et catastrophes climatiques. Si le nombre global de victimes de séismes ne s’est pas modifié par rapport aux décennies précédentes, force est de constater que le manque de développement  socio-économique des populations est le facteur central de vulnérabilité. Il n’est bien sûr pas le seul, et la localisation géographique de certaines zones côtières – souvent lieux de regroupements populationnels comme d’urbanisation non contrôlée – ou de zones arides en voie de désertification, jouent aussi un rôle.

Néanmoins, il s’agit de gommer le regard déterministe face à ces catastrophes et d’adopter un regard déterminé pour chasser la fatalité. C’est, il me semble, la responsabilité de tous et en premier lieu, celle de ceux qui font circuler l’information et façonnent, de fait, les consciences. Si les menaces, en l’occurrence les aléas climatiques, sont en théorie les mêmes pour tous, la vulnérabilité des populations qui y sont soumises est beaucoup plus hétérogène. Comme je l’avais déjà écrit concernant le tremblement de terre en Haïti de 2010 et le cyclone Katrina qui avait frappé la Nouvelle-Orléans, la sanction pour les personnes s’y trouvant constituait une double peine, celle de la pauvreté et de la catastrophe.

Les stratégies de prévention, d’atténuation, et de réponse rapide, sont donc une nécessité et ce, d’autant plus que dans une période marquée par une crise économique globale, les coûts financiers de ces évènements deviennent astronomiques. Ainsi pour la décennie écoulée, les pertes financières de l’ensemble des catastrophes « naturelles » sont estimées à plus de 69 trillions de dollars (c.a.d des milliers de milliards de dollars !). Comme en santé publique, les politiques préventives sont, sur tous les plans, toujours plus avantageuses que les stratégies curatives. Et pourtant, l’humanité ne semble pas apprendre de ses expériences… et continue de refuser à penser le possible.

« Guerres du climat » : le possible encore incertain

Les désordres climatiques, et notamment le réchauffement global qui en résulte, sont aujourd’hui pourtant intégrés aux préoccupations de sécurité nationale de tous les Etats puissants, et font régulièrement l’objet de déclarations de principe des Nations Unies. Mais la réalité est que, sur ce sujet comme sur bien d’autres, il n’existe pas de communauté internationale soudée autour de préoccupations et d’actions communes. Deux conséquences résultantes méritent d’être examinées avec attention : les conflits et les migrations. Si le nombre global de conflits a plutôt chuté depuis le début du XXIème siècle, la forme de ces conflits a, quant à elle, évolué pour laisser place à des conflits de plus en plus intra-étatiques où l’accès, voire la captation, des ressources naturelles autorisent des stratégies de prédation violentes envers les populations civiles. Qu’il s’agisse du Darfour, de la région des Grands Lacs, et bientôt peut-être des régions arctiques, les facteurs environnementaux et ceux liés aux climats ont joué un rôle évident. S’agit-il pour autant du « guerres du climat », comme le défendent certains chercheurs et beaucoup de politiciens ? En Afrique notamment, de nombreux travaux concluent au lien de causalité entre les années de sécheresses et l’occurrence majorée de conflits, avec des projections pour le futur plus qu’inquiétantes.

Le conflit au Darfour, qui oppose le gouvernement du (Nord) Soudan aux rebelles de cette province, est aussi le produit des tensions croissantes entre tribus nomades et pastorales. En effet, ces populations aux modes de vie différents coexistent depuis des siècles mais leur espace vital respectif devient de plus en plus réduit et contraint par la sécheresse. Instrumentalisées par un pouvoir central violent et répressif, ces rivalités ont dégénéré en un conflit meurtrier qui a provoqué la mort d’au moins 300 000 personnes et obligé plus de 2 millions de Darfuri à devenir des déplacés internes ou des réfugiés.

Mais le changement climatique est-il le seul facteur et unique facteur d’instabilité ou ne s’intègre-t-il pas plutôt dans une myriade complexe de causes en interactions ? En effet, si l’analyse entre conflits et catastrophes naturelles / dérèglement climatique montre bien une certaine connexion, celle-ci demeure multifactorielle, et les conclusions précédentes ne reposent, à ce jour, que sur des études de cas. Ainsi, les tensions liées aux ressources hydriques se terminent plus souvent par des attitudes coopératives que par des « guerres de l’eau », même dans des régions aussi instables que le Moyen-Orient. Et la rareté de ressources naturelles peut aussi faire émerger des stratégies de résilience empruntes d’innovation, de coopération, et de substitution.

Après une catastrophe naturelle de type séisme ou inondation, la réduction du produit intérieur brut d’un pays ne semble pas le rendre plus vulnérable à la survenue d’un conflit. Ainsi donc, il apparait qu’aujourd’hui, l’analyse des dimensions géographiques, économiques et politiques manque de robustesse méthodologique pour relier de façon linéaire, changements climatiques et conflits.Afin d’avancer sereinement, trois pistes de travail peuvent être tracées. D’une part, il serait judicieux de désagréger idéologiquement ces deux thématiques tout en améliorant le couplage de leurs modélisations respectives. D’autre part, il convient d’étudier de façon plus approfondie les interactions des conséquences du changement climatique avec les déterminants d’ordre socio-politique et économique. Enfin, se doter des moyens pour collecter plus de données sur les conflits en cours, afin d’affiner leur typologie et leurs étiologies.

 « Réfugiés du climat » : une certitude à venir

Un autre sujet semble, à l’inverse, beaucoup moins sujet à controverse. C’est celui des migrants climatiques qui, d’après les prévisions des Nations Unies, pourraient être plus de 150 millions en 2050. Bien que largement stigmatisé aujourd’hui par nos sociétés occidentales, les figures sociales du migrant sont beaucoup plus « liquides » qu’elles ne l’étaient il y encore dix ans. Cette plasticité des représentations,  qui correspond aussi à une réalité des parcours de vie des migrants, a largement bénéficié du phénomène de déterritorialisation engendré par la mondialisation. Essentiellement Sud-Sud, les migrations ont pourtant engendré au Nord des réactions de repli, favorisé par le repli identitaire, la crainte économique et la « sécurisation » de ces enjeux. L’évolution démographique de notre planète montre pourtant que la survie économique et populationnelle des pays du Nord dépend de la capacité à accepter ces flux migratoires. Les « réfugiés du climat » semblent dessiner une catégorie de migrants, qu’ils proviennent des îles Tuvalu, du Bangladesh, ou du Népal. On peut alors s’interroger, dans ce contexte,  sur l’efficience de la convention de Genève de 1951, qui régit actuellement le statut et les droits des réfugiés ? Stratégies d’adaptation face à des modifications significatives et durables de leur environnement, ou bien expression d’un « capital mobilitaire », il ne faut pas oublier ce que ces populations laissent derrière elles. Il y a plus de 2400 ans, le tragédien grec Euripides affirmait déjà qu’ « il n’y a pas de plus grand regret sur terre que de perdre sa terre natale ».  Les difficultés multiples, mais aussi la volonté farouche qu’ont aujourd’hui de nombreux Afghans pour revenir dans leur pays et sur leurs terres, après des années d’exil, prouvent la justesse de ce propos.

L’année 2013 sera donc très vraisemblablement encore marquée par des catastrophes socio-naturelles et des conflits, impactant majoritairement des populations civiles, aux besoins d’assistance humanitaire. Les changements climatiques ne provoquent donc pas encore directement de conflits mais ils y contribuent avec certitude, tout comme ils induiront de nouveaux flux migratoires qui peuvent, si les mentalités actuelles évoluent, avoir des conséquences positives pour nos sociétés. L’avenir ne se prédit pas, il se construit et pour cela, il faut de la persévérance et de l’envie. Le catastrophisme écologique défendu par certains me parait au moins aussi délétère que la négation des bouleversements en cours par d’autres, car ils aboutissent tous deux à un nihilisme fataliste. Nous avons autant besoin d’une prise de conscience politique et sociétale sur le climat qui dépasse désormais les déclarations de bonnes intentions, que d’un regard collectif différent sur les enjeux migratoires.

Nous devons surtout collectivement défendre le principe d’un « optimisme lucide », qui nous aide à trouver les solutions innovantes face à ces défis inédits. Et profiter de la nouvelle année pour tenir cet engagement.

 

 

 

Jérôme Larché

Jérôme Larché

Jérôme Larché est médecin hospitalier, Directeur délégué de Grotius et Enseignant à l’IEP de Lille.