Accoucher à 12 ans en Afghanistan : l’échec le plus cuisant de l’aide humanitaire ?

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Jeune mère Afghane
©Carol Mann

En octobre 2013 paraissait pour la première fois un rapport émanant des Nations Unies, intitulé « Motherhood in Childhood » (La maternité durant l’enfance). C’était réellement révolutionnaire parce que jusqu’ici ce phénomène a fait l’objet d’un réel tabou de la part des instances officielles, surtout concernant les pays en développement. Selon la Convention des Droits de l’enfant, l’âge adulte est fixé à 18 ans et c’est le point de départ de ce rapport qui évalue ici à 20 % le nombre de naissances survenues auprès des mères de moins de 18 ans. On y indique aussi le manque d’informations sur les accouchements chez les très jeunes mères âgées de 10 à 14 ans « dont les besoins et la vulnérabilité seraient les plus urgents »(1).

Si l’on évoque surtout la persistance en Afrique sub-sahélienne de ces grossesses, le rapport ne s’arrête pas sur l’Afghanistan où les maternités de plus en plus précoces constituent la pierre d’achoppement de tout programme de développement. Certes, les mariages d’enfants commencent à être systématiquement dénoncés, mais les conséquences tragiques de ces unions ne sont pas comptabilisées.

Pour appréhender cette situation, il faut tenter de la situer dans son contexte particulièrement difficile où s’enchevêtrent pratiques traditionnelles, Islam politique moderne et globalisation, dans un climat de guerre larvée, tant économique que militaire. Là-dessus s’impose une tentative de bilan de l’énorme travail humanitaire réalisé dans des conditions souvent éprouvantes. Et de se poser la question des limites d’une pareille entreprise à l’ère du libéralisme capitaliste triomphant.

Mortalité infantile et maternelle en Afghanistan

Aujourd’hui, en Afghanistan, les taux de mortalité maternelle et infantile continuent à figurer parmi les plus élevés au monde. De nombreux rapports décrivent l’Afghanistan comme le pays « le plus dangereux au monde pour les femmes » et « le pire endroit pour accoucher et naître« (2). Ceci après 12 ans de présence militaire de l’OTAN et d’aide humanitaire qui se chiffre en milliards de dollars, avec des résultats guère meilleurs (et parfois pires) qu’en Afrique subsahélienne qui ne reçoit , au mieux, qu’une infime proportion de ces sommes.

Et pourtant d’innombrables ONG ont eu pignon sur rue pendant une dizaine d’années au moins, même si aujourd’hui certaines ont choisi de se retirer en même temps que les troupes de l’OTAN à cause des dangers et des attentats. Le Ministère de la santé afghan est entièrement dépendant de l’aide extérieure et fonctionne grâce aux investissements des ONG, ce qui pose évidemment des problèmes à moyen et à long terme quant à la survie des services mis en place. 

Statistiques à prendre avec des pincettes…

Selon un rapport réalisé par une ONG afghane, si environ 57 % des mariages ont lieu avant 18 ans pour les filles, environ la moitié sont réalisés quand l’épouse n’est âgée que de 10 à 14 ans(3). Ce qu’on ne dit pas assez, c’est que dans tous les milieux sociaux en Afghanistan, les familles exercent une pression énorme pour qu’un enfant naisse dans la première année du mariage.

Et pourtant ces maternités précoces ne sont pas documentées officiellement pour une raison très simple : les statistiques officielles ne prennent en compte que les parturientes âgées de 15 à 49 ans(4).

Comment l’expliquer, si ce n’est qu’une notion de bienséance toute victorienne, héritée du colonialisme, a présidé à l’instauration de pareilles normes dans ces institutions déjà anciennes? La maternité n’est pas considérée par l’UNICEF, parce que la sexualité n’est pas censée concerner l’enfance perçue comme « pure’ et innocente »(5). Où caser ces très jeunes mères, enfants dénutris, victimes parmi les victimes, qui mettent au monde d’autres enfants ?

Certaines statistiques, comme celle émanant d’une ONG telle que la MSH, prestataire de services pour le Ministère de la santé afghan et USAID veulent faire croire à une spectaculaire amélioration(6). Mais comment interpréter de pareilles déclarations, en dehors du besoin de toute ONG de démontrer son efficacité à ses investisseurs, surtout dans un pays où tout pousse au pessimisme le plus dense? Certes une comptabilisation commence à être plus aisée dans les villes et dans les structures hospitalières où ont lieu de plus en plus d’accouchements (7). Comment évaluer ce qui se passe dans les zones rurales si difficiles a atteindre ? Voire encore plus qu’avant puisque les Talibans, appellation qui recouvre des groupes armés réunis souvent rivaux, mais réunis par une pratique d’un Islam fondamentaliste salafiste hautement politisé, occupent à présent plus de 50 % du territoire.

Il faut interpréter ces statistiques comme étant, tout au plus, des évaluations à partir d’échantillons restreints. Ni les agences des Nations Unies, ni les plus grandes ONG n’ont accès au territoire entier à cause des Talibans et de leurs alliés qui les considèrent comme des représentants de Kaboul, donc les désignent comme ennemis.

Ensuite, il manque des interprètes féminines qui pourraient rencontrer les femmes; ainsi les inspecteurs qui passent doivent se fier au récit des hommes qui souvent minimisent le nombre de décès, en particulier celui des femmes en couche et des fillettes. L’âge est souvent inconnu puisque ni les naissances, ni les décès ne sont enregistrés systématiquement.

C’est à partir de chiffres extrêmement disparates que les grandes ONG telles que MSH, Oxfam, Save the Children, SIDA, Medica Mondiale, USAID, MSF, MdM mettent en place des programmes conformes à l’image de leur institution et au type de donateurs qu’elles espèrent attirer, ce qui explique la multiplicité, les doublons et souvent l’incohérence des projets.

Mariages précoces et l’économie mondialisée de la drogue

De nombreux rapports font état de l’augmentation des mariages précoces, en pratique des unions forcées entre petites filles de huit à dix ans avec des hommes beaucoup plus âgés. Il semblerait que les petites filles soient mariées plus tôt que ne l’avaient été leurs mères, particulièrement dans les zones de culture d’opium.

Depuis l’arrivée des troupes internationales, l’Afghanistan est devenu le premier producteur mondial à la fois de pavot et de cannabis. Alors que les laboratoires se trouvaient de l’autre côté de la frontière, aujourd’hui on en a construit un certain nombre, surtout dans les zones du sud. Toutes ces régions sont contrôlées par des chefs de guerre talibans et leurs troupes. Certains de ces personnages, tout au sommet d’une stricte hiérarchie, collaborent de façon discrète avec le gouvernement, d’autres négocient activement avec les Américains(8). Sur le terrain, leurs hommes de main attaquent, bombardent, réalisent des attentats-suicides comme pour voiler les agissements de leurs chefs dans ce pays exceptionnellement corrompu.

Du côté pakistanais de la frontière, la situation est  à peu près la même. Les Talibans d’aujourd’hui ne sont guère plus des Savonarole de l’époque du Mollah Omar (9). Ce sont des chefs de guerre instruits qui maîtrisent la technologie moderne et dont les revenus proviennent largement de la contrebande d’armes et de la culture et du trafic de stupéfiants(10). Ils ont les moyens de gérer leur fonds de commerce, peu importe le coût humain.

De leur côté, les agriculteurs ont été attirés par la perspective de ces cultures qui demandent peu de travail ou d’eau, contrairement aux vergers omniprésents jusqu’à la guerre contre le gouvernement communiste et ses alliés soviétiques. C’est ainsi que des trafiquants leur avancent des semences et des outils, comptant se faire rembourser lors des récoltes. Cependant, à part une hausse soudaine en 2012, le prix de l’héroïne n’a fait que baisser (11), celui de l’opium a chuté à l’intérieur du pays jusqu’à 50 % et les agriculteurs sont acculés.

Si l’État a instauré un âge officiel pour le mariage, 16 ans pour les filles (qui peut  être abaissé à 15 ans, selon la volonté paternelle), ces régions se basent sur l’âge autorisé par le Coran, soit 9 ans, avec la bénédiction des Talibans. Autrefois, m’a-t-on souvent dit, on attendait, que les fillettes soient au moins pubères, mais aujourd’hui l’endettement des paysans est tel que les paysans cèdent leurs filles aux trafiquants, actes légitimés par la religion sinon les pratiques jusqu’à récemment courantes.

Dans un entretien réalisé par World Vision avec le représentant du Ministère de la santé pour la région de Badghis, le seul chirurgien pour une population de 400 000 habitants révèle qu’il voyait fréquemment des gamines de douze ans enceintes (12).

Quand les Talibans occupent une région, les répercussions sur la santé maternelle et infantile sont innombrables. D’une part, les zones sont nécessairement dangereuses à cause des confrontations avec les soldats américains qui opèrent dans ces zones. D’autre part, les « insurgés », pour reprendre le vocable de l’OTAN, rendent l’accès aux hôpitaux et aux écoles extrêmement difficiles pour les habitants. Ceux-ci sont vite accusés de collaborer avec leurs ennemis jurés, soit le gouvernement de Kaboul et ses représentants (y compris les ONG). C’est ce qui explique les attaques contre les personnels de santé.

De plus, puisque les Talibans sont opposés à toute forme de travail de la part des femmes, toute contribution de personnel médical féminin est mal vue et met en danger des patients qui y auraient recours, aussi bien que celles qui administrent les soins. C’est ainsi que les accouchements ont lieu à domicile, sans aide qualifiée, même à proximité des hôpitaux. Les écoles pour filles ne fonctionnent pas dans ces régions. Les sages-femmes formées à grands frais dans les écoles spécialisées à Kaboul n’ont nullement envie d’aller travailler dans ces régions sinistrées. On les comprend.

Une situation comparable se joue au nord-est du Nigeria avec les Boko-Haram, si semblables aux Talibans, qui utilisent les mêmes arguments pour opprimer les populations locales. Les principales victimes en sont les jeunes filles, également mariées très jeunes et accouchant dans des conditions  effrayantes, comme le démontrent les statistiques de la mortalité maternelle et infantile, de loin les pires du pays, sinon de la planète (13).

En Afghanistan, comme principal médicament, les sages-femmes traditionnelles administrent de l’opium et ses dérivés. D’ailleurs dans tout le pays, la consommation d’héroïne (à présent fabriquée sur place) a augmenté de façon exponentielle (14), touchant les femmes et les enfants. Quand cette substance est utilisée pour calmer les douleurs, le travail d’accouchement est souvent bloqué, ce qui mène à la mort, dans d’effroyables souffrances, de la mère et de l’enfant (15).

En échange de leur soumission, les Talibans permettent aux institutions ultra-patriarcales de perdurer, en particulier les conseils d’aînés qui gèrent la justice selon un droit coutumier pré-islamique, sans intervention de la police ou de l’État. Dans les régions où les fillettes sont mariées avant même la puberté, on rencontre également des cas de lapidation. Les Talibans s’érigent ainsi comme les défenseurs de la tradition afghane contre l’aliénation et l’influence occidentale, et peuvent bénéficier d’un soutien local.

 La culture :  un trou noir en France.

Depuis environ trois ans, le mot « culturel » apparaît dans les divers rapports outre-Atlantique. En 2010, cette tendance a été inaugurée par un rapport important de l’UNAMA, soutenu par les ONG féminines afghanes, sur les pratiques traditionnelle nocives(16).

Il n’était plus possible de continuer à incriminer l’absence d’accès à la médecine occidentale comme seule et unique cause pour une pareille hécatombe.

En France, on est réticent devant de pareilles explications puisque dans les milieux universitaires en général, on est vite taxé d’essentialisme, pour ne pas dire d’islamophobie dès que l’on émet une critique fondée sur une pratique culturelle dans le monde musulman. On pourrait même avancer (à reculons) qu’une bonne dose de relativisme culturel domine certains aspects de l’aide humanitaire en France.

Influencée par la pensée tout à fait respectable d’une Leila Abu-Lighod, avec son célèbre essai « Do Muslim Women Really  Need Saving? « (17), des recherches récentes sont parues pour montrer/démontrer à quel point les femmes afghanes détourneraient avec succès des techniques d’oppression pour en faire des instruments d’autonomisation (18).

Cette argumentation, fort élégante et apparemment respectueuse pour les principales concernées, s’appliquerait, à mon humble avis, à la situation iranienne où malgré tout, les femmes sont arrivées à un niveau de santé publique et d’éducation incomparablement supérieur à celui de leurs contemporaines afghanes, et bien plus proche de celle des Occidentales. On pourrait y ajouter une certaine élite urbaine en Afghanistan, celle qui accède à des postes élevés au gouvernement ou dans les plus puissantes ONG, qui est le plus souvent interrogée par nos vaillantes chercheures, d’autant qu’il n’est pas difficile de les rencontrer. Quelques privilégiées savent effectivement manier les codes et naviguer parmi les contradictions (quand elles ne se font pas bonnement assassiner, comme c’est le cas d’un bon nombre de politiciennes, journalistes et médecins(19) dont on ne parle pas assez).

Ces femmes interrogées dans ces travaux ne figurent pas dans les statistiques de mortalité maternelle, et leurs enfants sont scolarisés et bien soignés, en général dans le privé, ce qui démontre effectivement qu’elles arrivent à négocier une forme d’autonomie et d’autodétermination. Elles savent choisir ce qui peut leur être utile dans l’offre humanitaire ou gouvernementale mise en place depuis la chute des Talibans. Ce sont elles qui craignent le plus le départ  des forces internationales et redoutent les conséquences sur leurs acquis (20).

Cependant,  l’hécatombe  concerne les mères extrêmement jeunes et leurs enfants, dans les déserts et vallées perdues de ce pays incomparablement dur et que peu de chercheurs ont interrogés, simplement parce que les approcher est extrêmement difficile et dangereux depuis l’intervention américaine.

Il faut préciser que leur environnement culturel s’est dégradé. L’Islam politique mondialisé offre des alternatives ancrées dans la modernité, de même que les medias et les produits de consommation globaux atteignent les contrées les plus reculées, produisant une forme de culture hybride, qu’on appelle de nos jours  ‘glocale’ (globale/locale). Par exemple, les pratiques médicales anciennes, fondées sur la médecine ayurvédique, étaient autrefois transmises par des mollahs instruits qui avaient effectué un véritable apprentissage, acquérant au passage des connaissances approfondies en herboristerie, comme nombre de praticiens aujourd’hui encore dans certaines parties d’Afrique. L’arrivée des Talibans et autres fondamentalistes ont banni cette culture ancienne et empêché la transmission d’un savoir antique qui pouvait  contribuer à la santé des populations concernées. Ainsi elles se trouvent plus démunies que jamais, avec tout au plus des contrefaçons médicamenteuses délétères.

On est loin de l’époque bénie où les grands ethnographes comme Pierre et Micheline Centlivres enquêtaient paisiblement dans les contrées rurales d’Afghanistan!  En général ce sont les ONG les plus intrépides qui travaillent dans l’urgence et se rendent dans ces régions à leurs risques et périls. Et leurs rapports n’ont rien de bien réjouissant.

Il y a quelques années, j’écrivais un certain nombre d’articles parus dans la presse et sur des sites français, canadiens, britanniques pour faire état de ma consternation devant le taux de mortalité maternelle en Afghanistan (21). Entre autres, je reprochais aux innombrables concepteurs d’aide humanitaire d’ignorer le facteur culturel et les données ethnographiques.

En tant que chercheure en sociologie et anthropologie sur le terrain depuis de nombreuses années, je m’estimais relativement bien placée pour critiquer les programmes conçus au loin, ou même à Kaboul, dans des bureaux ultra-sécurisés où le personnel n’a pas le droit de quitter un périmètre précis.

J’ajoute que moi-même, à travers ma petite organisation humanitaire (22) j’ai proposé à plusieurs reprises, sans le moindre succès, à quelques grandes ONG d’entreprendre une recherche ethnographique sur la santé et  de mettre en place des programmes éducatifs très simples, à étudier avec des partenaires locaux bien implantés.

Ce type de projet n’a jamais été réalisé de façon efficace à un niveau élargi. On préfère en général (surtout dans les fondations aux États-Unis) des programmes plus technologiques et sophistiqués qui servent plus que tout à encourager la recherche scientifique. La plupart des autres tentent de faire face aux catastrophes sanitaires quotidiennes, et quand c’est possible, de développer  des programmes visant le moyen terme et la formation de professionnels.

Pour les USAID et assimilés, les résultats se doivent d’être visibles auprès des donateurs, même si le résultat est d’avance condamné. Force est de constater que de nombreuses écoles construites à la hâte ont été abandonnées, faute d’instituteurs, de livres et de participation locale (23).

Des rapports indiquent qu’il en serait de même pour certains ambitieux projets liés à la santé, en particulier le grand hôpital que USAID serait en train de construire depuis cinq ans dans la région du Paktia. On voit grand, voire énorme, mais on ne prend pas en compte le manque de médecins ni de soignants (24) ni le fait que la population a toujours une perception négative de la qualité des services proposés, comme l’explique bien un rapport récent de MSF (25).

Il faudrait justement commencer par étudier ces préjugés si solidement enracinés et négocier une réelle collaboration avec les populations locales, ce qui commence timidement. Mais ceci ne peut se faire qu’en instituant, au sein de la formation des travailleurs humanitaires, y compris du personnel de santé, un réel apprentissage des pratiques ainsi que des langues locales. Jusqu’ici, seule la CIA a recruté des ethnologues pour travailler en Irak et en Afghanistan et non USAID… <Sans doute la plus regrettable des erreurs.(26)

C’est uniquement en considérant  des notions culturelles, croisées avec certains aspects de la modernité, comme soubassement à des pratiques liées au trafic des stupéfiants, qu’on peut commencer à comprendre cette situation, voire  envisager un début de solution.

Même s’il est possible d’en défendre les avantages symboliques d’un point de vue purement théorique, la dévalorisation des femmes est le facteur le plus saillant de cette culture patriarcale afghane rurale.

Le droit coutumier ne leur accorde, au mieux, qu’une valeur de représentation de l’honneur familial. C’est ce qui explique la pratique du Ba’ad, par exemple. Ici un crime commis par un homme peut être racheté par le don de deux filles à la famille lésée. Si cette pratique est considérée  comme la solution apparemment paisible et honorable pour un conflit, dans la réalité ces fillettes sont appelées à vivre une existence empreinte de brutalité et de maltraitance puisque toute leur vie durant elles représenteront leur frère meurtrier dont elles doivent payer le crime. Les refuges et les maisons sûres dans les grandes villes sont peuplés de jeunes filles ayant fui la violence domestique à l’issue de pareils règlements.

Les témoignages récoltés par les associations féminines afghanes montrent que les filles données dans toutes ces formes de pacification sont le plus souvent extrêmement jeunes et aussitôt mariées (27), donc susceptibles d’accoucher de façon précoce. Et celles-ci habitent les contrées rurales les moins développées, soumises aux Talibans et la culture de stupéfiants. Le danger et l’autorité des chefs locaux en font un frein pour accéder aux structures hospitalières, quand il y en a. La médecine occidentale est présentée non seulement comme (entre autres) une volonté d’empoisonnement (28), mais encore une menace au maintien de l’honneur et des privilèges patriarcaux. Ce n’est pas par accident que la poliomyélite est redevenue endémique dans les trois pays évoqués dans le présent article : l’Afghanistan, le Pakistan et  le Nigeria, tous dominés par des chefs de guerre d’une obédience politico-religieuse identique, qui ont bloqué, voire tué les agents vaccinateurs.

C’est un serpent qui se mord la queue, un cercle infernal et surtout une expression de cette modernité rétrograde si typique de la région. Car la refonte de la religion mixée avec la tradition utilisée pour légitimer les pires abus des droits humains est bien une production hybride de notre temps qui sert les intérêts d’une économie ultra-capitaliste sans frontières, de politiques guerrières nourries par l’argent sale de la drogue. Et cela mène au sacrifice croissant de petites filles qui meurent en tentant vainement de donner la vie.

 

 

 

 

 

 

Auteure de Femmes Afghanes en guerre, paru en 2010 aux Editions le Croquant

La Resistance des femmes pendant le siège de Sarajevo  paraîtra chez le même éditeur à la rentrée 2014.

 

(1) UNFPA : Motherhood in Chilhood, 2013.
(2) Avec le Congo, mais pour d’autres raisons, voir le rapport Reuteurs  15/6/2014, voir aussi le Save the Children Mother’s Index et bien d’autres.
(3) WCLRF anbd Flora Foundation
(4) Les statistiques officielles ne prennent en compte que les parturientes âgées de 15 à 49 ans.
(5) Lors d’une recontre dans les bureaux de l’UNICEF à Genève en 2012, j’ai posé cette question à une responsable qui m’a répondu ‘Yes, that’s true, we’re rather embarrassed’…(oui c’est vrai, nous sommes plutôt embarassés…)

(6) MSH Management Services for Health
(7) le chiffre de 30% régulièrement affiché paraît être une surestimation.

(8) Depuis que le General Mc Chrystal, commadant américain des forces de l’OTAN en Afghanistan a mis de pareilles collaborations à l’ordre du jour dès 2010.
(9)voir l’excellente étude de Patrick Porter: Military Orientalism, Columbia UP, 2009.
(10) The spoils of war
(11) http://www.unodc.org/documents/crop-monitoring/Afghanistan/Afghan_report_Summary_Findings_2013.pdf

(12) Afghanistan’s child brides: pawns in a desperate business World Vision, Afghanistan
(13) Mother, new-born and child health mortality in Nigeria, UNICEF
(14) Voir rapport de l’UNODC
(15) Ces informations ont été recueillies à travers des entretiens avec des médecins et sages-femmes à divers moments en Afghanistan.

(16) Harmful Traditional Practices and Implementation of the Law on Elimination of Violence against Women in Afghanistan.
(17) Lila. Abu-Lighod 2002. Do Muslim Women Really Need Saving ? Anthropological Reflections on Cultural Relativism and Its Others American Anthropologist 104 (3)

(18) Par exemple les travaux très intéressants de Elaheh Rostami Povey en Grande-Bretagne ou Julie Billaud en France.
(19) Orzala  Ashraf and Ajmal Samadi: Forgotten heroes, Afghan women killed in impunity ignored in justice , Afghan Rights Monitor, Kabul 2012
(20) Washington Post: What future faces Afghan women after  US forces depart ? 12/12/12.
(21) Le plus complet: ‘La mortalité maternelle en Afghanistan, un record mondial qui laisse indifférent, paru sur le site féministe canadien Sisyphe en 2008.
(22) Femaid, basé à Paris. 
(23) Are Afghan schools doing as well as touted ?
(24) Ambitious U.S. hospital project in Afghanistan faces failure 

(25) MSF: La lutte au quotidien pour l’accès au soin en Afghanistan
(26) Nicola Perugini: Anthropologists at War: Ethnographic Intelligence and Counter-Insurgency in Iraq and  Afghanistan.

(27) Voir entre autres le rapport de Equality Now, lié à Girls not Brides, janvier 2014.
(28) ce qui peut parfois se comprendre au vu des contrefaçons pharmaceutiques qui circulent en grand nombre, mais ceci ne constitue pas la raison de cette opposition, plutôt du domaine du symbolique.

Carol Mann

Carol Mann

Carol Mann est chercheure associée au L.E.G.S à Paris 8 et l’auteure de « Femmes Afghanes en guerre » et de « La Résistance des femmes pendant le siège de Sarajevo ». Son prochain ouvrage « De la burqa afghane à la hijabista à la mode, Petite sociologie du voile et ses usages », paraîtra chez l’Harmattan à la rentrée. Elle est responsable de deux associations FemAid et Women in War (www.womeninwar.org), une association destinée à l’étude du genre et conflits dans les zones de guerre.

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Carol Mann
Carol Mann est chercheure associée au L.E.G.S à Paris 8 et l’auteure de "Femmes Afghanes en guerre" et de "La Résistance des femmes pendant le siège de Sarajevo". Son prochain ouvrage "De la burqa afghane à la hijabista à la mode, Petite sociologie du voile et ses usages", paraîtra chez l'Harmattan à la rentrée. Elle est responsable de deux associations FemAid et Women in War (www.womeninwar.org), une association destinée à l’étude du genre et conflits dans les zones de guerre.