Les médias indépendants en zone de crise et dans les pays fragiles sont aujourd’hui eux-mêmes affaiblis. Par la crise économique, qui affecte leurs recettes publicitaires. Par les coupes budgétaires dont souffrent certains bailleurs internationaux. Dès lors, comment financer durablement la production et la diffusion d’informations utile et professionnelle dans des pays politiquement instables, et économiquement faibles?
La Fondation Hirondelle, une ONG suisse qui crée et soutient des médias en zones de crise a mis cette question au centre de ses préoccupations. Nous examinons ici quelques pistes de solutions, à partir de deux exemples concrets, pris dans deux pays parmi les plus pauvres du monde: La Radio Ndeke Luka, radio indépendante de couverture nationale, émettant en Centrafrique depuis 2000; et la Radio Rurale Munkû, membre d’un réseau de 51 radios communautaires, partenaires de Radio Okapi, la radio que la Fondation Hirondelle gère en RDC, en partenariat avec les Nations Unies.
Deux radios, deux modèles économiques
Radio Ndeke Luka (RNL), « c’est la radio des Centrafricains » dit Sonia Mackotoua, responsable de la régie publicitaire de cette radio. Seul média de couverture nationale en RCA, elle est la radio la plus écoutée et la plus crédible dans ce pays. Avec ses 50 collaborateurs et pigistes, ses programmes en français et sango, elle est agréée depuis 2009 comme radio centrafricaine sous l’aile d’une Fondation Ndeke Luka. La Fondation Hirondelle, qui en assure la gestion, y a lancé des activités de régie publicitaire pour contribuer à son autofinancement et assurer sa pérennisation. RNL est financée en outre par des bailleurs internationaux, dont la Commission européenne et la Suisse. Son budget mensuel est de l’ordre de 60 000€.
Radio Rurale Munkû est basée à Mbankana, village à 150 km de Kinshasa. Née en 2004 d’un partenariat entre le gouvernement congolais et l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), cette radio couvre une population rurale de 100’000 habitants. Ses programmes font une large place à l’agriculture, l’éducation, la pisciculture et l’élevage. Elle emploie 8 agents permanents et 6 pigistes. Son budget mensuel est de 850 €. Il est insuffisant pour résoudre le problème d’alimentation électrique de la radio –le plus gros souci de son directeur, Bob Yala–, pour renouveler les équipements, ou encore payer des salaires incitatifs à ses collaborateurs.
Malgré son budget beaucoup plus important, Radio Ndeke Luka est encore en phase de consolidation financière. Elle couvrira cette année 20% de son budget par la publicité (communiqués, spots, messages institutionnels et un peu de sponsoring). Cette part peut augmenter car pour Sonia Mackotoua, « RNL est la seule radio centrafricaine qui soit professionnelle et qui assure un bon monitoring des diffusions publicitaires ». On estime qu’à moyen terme, la publicité pourrait couvrir 50% du budget, pour autant que l’économie se développe, et que le marché de la publicité se professionnalise, deux conditions à une hausse des tarifs publicitaires. Le site internet de la radio (www.radiondekeluka.net), avec 40 000 visites par mois, ne ramènera guère plus de quelques centaines d’€uros par mois. Comment générer le reste, près de 30 000 € par mois, et pallier le désengagement prévisible, à moyen terme, des donateurs? Quelques solutions se dessinent pour Radio Ndeke Luka.
De nouvelles pistes pour générer des revenus
Les activités connexes à celles de la radio, telles l’organisation de concerts, la production de musiciens locaux, l’événementiel ou encore gestion de cafés internet présentent un réel potentiel dans la mesure où le marché centrafricain reste vierge dans ces secteurs. Mais ces activités ont leurs contraintes, notamment la faiblesse de l’économie, la difficulté pour les ONG de réunir la mise de fonds initiale et la rareté des compétences requises sur le marché local de l’emploi. Au total, ces activités pourraient ramener quelques dizaines milliers d’euros par an.
L’investissement immobilier présente aussi un réel intérêt pour RNL. En effet, dans les pays où la Fondation Hirondelle travaille, les loyers sont élevés alors que les prix de l’immobilier restent comparativement modestes, ce qui permet d’amortir l’objet immobilier en 7 à 10 ans. L’idée est de doter la Fondation Ndeke Luka d’un immeuble de rente, pour y loger sa radio et générer des revenus locatifs. La difficulté à lever est celle du financement de l’investissement; il doit en effet passer par d’autres canaux que celui des financements publics, qui en règle générale ne peuvent être investis dans la pierre.
Radio Munkû couvre respectivement 50% de son budget par des co-productions, financées par des ONG locales, et 30% par la diffusion de communiqués et de spots publicitaires. Le solde de son financement est couvert par des ONG locales, par des activités agricoles et par la diffusion de programmes éducatifs. Le développement d’autres activités rencontre une contrainte majeure: les coûts du crédit, quand les taux d’intérêt pratiqués sont de 4% par mois.
La Fondation Hirondelle appuie Radio Munkû depuis 4 ans, par des formations en génération de revenus et par des activités de régie. Par ses contacts à Kinshasa, la Fondation Hirondelle permet en effet à Radio Munkû et à ses autres radios partenaires d’accéder au marché de la diffusion de messages institutionnels. Le potentiel de ce marché est important car les radios communautaires congolaises constituent collectivement une offre unique pour atteindre la population rurale congolaise, dispersée sur un pays grand comme l’Europe. La diffusion de messages institutionnels, en particulier en matière de santé, pourrait permettre à terme à Radio Munkû d’assurer sa durabilité financière, de développer ses programmes, sans perdre son indépendance rédactionnelle. En outre, en lui facilitant l’accès au crédit, on lui permettrait de diversifier ses sources de revenus, par des activités agricoles ou de transport.
Un travail de longue haleine
L’expérience de la Fondation Hirondelle, tant en Centrafrique qu’au Congo, montre que la mise en place d’activités génératrices de revenus prendra des années et que dans ce domaine, il n’y a pas de solutions toutes faites. Générer 1000 € par mois dans un village congolais constitue un défi majeur qu’une radio communautaire n’arrive pas à relever seule. Alors quelles mesures mettre en place?
D’une part, encourager les bailleurs de fonds internationaux à maintenir leur aide aux médias indépendants en zones de crise. Leur financement est crucial tant que les pays fragiles ne décollent pas économiquement. Il constitue en outre un rempart contre les velléités de contrôle des pouvoirs locaux, dans les pays fragiles.
D’autre part, sensibiliser les ONG internationales de développement sur la nécessité de prévoir des lignes budgétaires spécifiques pour financer la diffusion des messages institutionnels par des radios d’information indépendantes comme RNL ou par des radios communautaires. Ce faisant, elles contribueraient à assurer la viabilité des médias indépendants et la pluralité des sources d’information dans les pays fragiles. Pour Bob Yala, « ces ONG aideraient par là à pérenniser leurs propres activités de développement, car les radios communautaires sont un outil efficace pour mobiliser les communautés ».
Quant à la Fondation Hirondelle, elle poursuivra avec obstination le développement de ses activités génératrices de revenus , un travail de longue haleine qui passe par la formation des radios partenaires, par la publicité, par l’immobilier, et par des activités connexes à son métier de base, la radio.