Comprendre la complexité et la turbulence du monde et s’en faire des amis : le Groupe URD, vingt ans d’aventures au service de l’action…

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Il y a vingt ans, le monde changeait profondément. Des espoirs de paix émergeaient avec la fin de la guerre froide. Autour des défis de méthode dont dépend l’amélioration de l’analyse des situations, mais aussi du besoin de comprendre la complexité et de pouvoir mieux travailler malgré l’incertitude est née une petite structure : le Groupe URD. Nous étions alors un réseau d’acteurs portés par une grande interrogation : face aux décombres laissés par les affrontements des décennies précédentes, comment aide au développement et action humanitaire allaient-elles s’articuler dans ces nouveaux contextes ?

Après l’effondrement du bloc soviétique sont arrivées de nouvelles formes de crises : purification ethnique dans les Balkans, crise en Somalie, génocides dans les grands lacs (Burundi, Rwanda), guerre civile en Afghanistan et dans le Caucase. Ces premières étapes d’une déconstruction du monde ont profondément changé la donne. Les dynamiques des conflits évoluaient et les bailleurs se sont mis à injecter massivement des moyens dans une aide humanitaire à la fois libérée de l’agenda est-ouest et si pratique pour cacher les incapacités, voire le manque de courage politique, pour affronter ces nouveaux dérèglements. Très vite, face à ces défis, s’est impulsée la dynamique qui a fait du Groupe URD ce qu’il est devenu 20 ans après sa création : une équipe soudée, multiculturelle, engagée, reconnue internationalement par sa créativité et sa capacité à penser « out of the box » tout en restant en permanence très proche du terrain, très attachée à rendre le secteur plus efficace, plus pertinent, plus créatif. Nous avons ainsi pris à bras le corps les défis de ce nouveau monde, et avons été des « poissons pilotes » sur bien des sujets : parmi les premiers à écrire sur les enjeux du lien urgence-développement et de la résilience ; pionniers sur les questions civilo-militaires et le rôle des populations comme acteurs et pas seulement bénéficiaires ; explorateurs sur le lien entre VIH-SIDA et sécurité alimentaire ou sur les pratiques humanitaire en contexte urbain (2002) ; pionniers encore sur les enjeux de la qualité, de l’amélioration des mécanismes d’évaluation et d’apprentissage ou sur ceux de l’empreinte environnementale de l’aide. Provocateurs, toujours, quand il s’agit de questionner des dogmes, comme celui de l’omnipotence de l’épidémiologie médicale face aux sciences sociales, du standard face à l’« intelligence des situations », du « totalitarisme de l’urgence » face au besoin de réfléchir et de comprendre…

D’autres défis ont continué de frapper à la porte de la Fontaine des Marins, notre « nid d’aigle » face au Mont Ventoux. D’un côté, tout ce que l’on peut appeler le « post 9/11 », la « Guerre totale contre le terrorisme », le conflit des fondamentalismes de tous horizons, qui fait que les principes humanitaires de base sont de moins en moins respectés. Il s’agissait dès lors de mieux comprendre les défis de ces conflits dits « asymétriques » et les risques liés au concept de « guerres des civilisations ». Missions en Somalie et en Palestine, échanges au Qatar, à Dubaï : nous sommes résolument allés au contact de la Terre d’Islam pour mieux la comprendre et établir des ponts. De l’autre, les crises technologiques ou sanitaires majeures, celles liées aux impacts de plus en plus forts des changements climatiques, de l’urbanisation incontrôlée et des dérèglements économiques. Nous avons donc exploré ce monde particulier de l’intervention de première urgence, de ces corps spécialisés que sont les Protections civiles, acteurs étatiques souvent en uniforme mais toujours très proches des victimes.

Alors, parce qu’au cours de nos 20 ans d’existence, notre petite planète est devenue plus dure à vivre pour des franges de population entières, notre engagement s’est plusieurs fois décuplé : d’une demi-salariée (notre présidente actuelle) en 1993, nous sommes passés à 6 en 2003 et 23 en 2013. 20 ans, c’est également une dizaine d’ouvrages dont certains en trois langues, c’est la production de plus 100 articles, dont nombre en anglais dans des revues à comité de lecture, en espagnol ou autres langues, c’est 5000 participants à nos formations et des relations avec 15 universités, ainsi que plus de 80 missions d’évaluations de la Corée du Nord à la Colombie. C’est aussi la participation à – ou l’organisation de – plus de 100 conférences internationales, la production ou coproduction de 4 outils majeurs, de 15 films, le montage ou la participation à 50 programmes de recherche. 20 ans, c’est enfin et surtout des multitudes de rencontres avec des gens extraordinaires dans plus de 65 pays : de Goma (RDC) à New-York, de Hodur (Somalie) à Copenhague, de Kalimantan (Indonésie) à Genève, de Cagayan de Oro (Philippines) à Montréal, de Leogane (Haïti) à Rome, nous avons échangé avec des paysans et des ministres, des femmes et des soldats, des acteurs de l’aide et des enfants, des porteurs d’eau et des hauts fonctionnaires internationaux. En sachant combien ces allers-retours permanents des bidonvilles de Nairobi et des camps de réfugiés jusque vers les ors des palais républicains et onusiens sont éclairants et rendent humbles…

Un jour, alors qu’on nous demandait de décrire le Groupe URD, l’image du « pont » s’est imposée : pont entre l’action et la réflexion ; entre les acteurs francophones, anglophones et hispanophones ; entre les mondes des ONG, des agences onusiennes et du mouvement Croix-Rouge / Croissant-Rouge ; entre les humanitaires et les militaires ; entre les acteurs de l’Etat et les sociétés civiles ; entre les sciences dures et les sciences sociales.

Pont enfin avec l’Europe. Ce furent aussi des années d’engagement auprès de la Commission et du Parlement européen, avec la participation à de nombreux groupes de travail des différentes DG concernées, la réalisation de plusieurs évaluations majeures depuis 1999 ou la présence régulière dans plusieurs médias européens. Ces 20 ans d’engagement européens permirent d’établir des partenariats passionnants, toujours exigeants, avec des structures « sœurs », comme GPPI en Allemagne, IECAH en Espagne ou ODI en Grande-Bretagne.

Et, chose pas si surprenante, il nous aura été plus facile d’être reconnu à l’international qu’en France,  et dans ses «cercles parisiens»…. L’exception française, c’est aussi le mélange du Jacobinisme et de Clochemerle…

Il nous a par ailleurs fallu construire des relations avec le monde des bailleurs : Fondation de France et Chaîne du Bonheur (Suisse) pour les « collecteurs-redistributeurs » ; MAE français, Commission européenne, DFID, USAID et Ministère des Affaires étrangères du Qatar pour les institutions étatiques ; Région Rhône-Alpes et Catalogne pour les institutions décentralisées. Autant d’exemples qui illustrent des relations sensibles dans lesquelles capacité de conseil et d’influence, enjeux d’indépendance et risques d’instrumentalisation forment une équation complexe. En France, il n’existait pas en effet de mécanismes pour soutenir une structure telle que la nôtre contrairement à chez nos voisins britanniques, suisses ou nordiques. Il a donc fallu l’inventer, avec quelques responsables ouverts au sein des administrations.

Nous avons pris de rudes coups, parfois même cru disparaître quand notre siège a brûlé ou que nous avons cru être dans l’impasse financière, et chaque fois nous nous sommes relevés. Dans notre centre, deux arbres comptent : un olivier et un cerisier du Japon, plantés pour nous rappeler des collègues ou stagiaires qui nous ont quittés brutalement. Face à la crise financière, à nos bureaux réduits en tas de cendre ou au drame, nous avons aussi vu ce que la « résilience », ce mot « à la mode » depuis peu, veut dire. Insomnies des fins de mois quand arrive le moment de payer l’équipe et qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses, enchaînement sans repos des missions pour combler le déficit, fatigue de tous et parfois aussi sentiment d’injustice… Pourquoi nous laisse-t-on si facilement tomber ? Pourquoi fait-on trébucher une équipe « qui gagne » mais qui a quand même besoin de soutien ?

Malgré tout, les épreuves nous ont rendus plus forts. Les rencontres du bout du monde ou dans notre petite vallée drômoise nous ont rendus plus humbles, mais aussi meilleurs. Ces sourires et ces pleurs, dans des paysages ravagés ou des bureaux austères, sur ces lignes de fronts ou dans des conférences internationales, nous ont rappelé combien la solidarité est belle, combien les principes et l’éthique sont importants, combien notre métier est beau. Et combien nous devons être exigeants envers nous-mêmes !

Cette exigence nous a poussés à faire des choix originaux : parier qu’il était possible de courir le monde mais d’être basé dans une ferme perdue dans les collines de la Drôme provençale ; que nous pourrions construire notre histoire à travers une présence dans les grands réseaux internationaux de l’aide mais aussi dans les réseaux locaux de la zone fragile mais dynamique qui nous a accueillis. Mais également parier sur la cohérence. Face aux observations sur le terrain des effets du changement climatique (sécheresse et évènements extrêmes, compétitions pour les ressources), nous avons fait le choix d’investir et de faire de notre siège un site à haute valeur environnementale : installations solaires (thermique et photovoltaïque), systématisation de l’éco-assainissement (latrines sèches, phyto-épuration), mise en place d’une gestion économe des ressources (captage des eaux de pluies sur tous les toits, recyclage), recherche de la limitation de notre empreinte carbone (téléconférence, covoiturage, chauffage additionnel au bois déchiqueté, constructions de bureaux en bois et paille, etc.). Ce fut aussi un engagement envers l’équipe, avec une recherche permanente d’améliorer les conditions de vie et de travail qui nous a conduit, à la fin 2012, à recevoir le Coup de cœur Rhône-Alpes de l’entreprise sociale et solidaire.

20 ans, ce n’est déjà plus l’enfance, ni même l’adolescence : mais c’est encore une envie de mordre la vie à pleine dents, de rester sur la corde raide entre institutionnalisation et pensée « out of the box ». C’est cette envie de rendre le monde un peu meilleur, l’aide internationale un peu plus pertinente, la solidarité toujours plus forte, qui nous a portés pendant ces 20 ans. C’est cette envie que nous essayerons de faire vivre encore longtemps.

 

François Grünewald

François Grünewald

François Grunewald est directeur général et scientifique du Groupe URD. (www.urd.org).