Diaspora ouïghoure et identité diasporique

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Résumé

La migration ouïghoure contemporaine commence à la fin de 19ème siècle lorsque l’Empire Chinois de la dynastie Qing envahit la province jusque-là autonome. Mais la migration vers l’occident commence dans les années 50 après la main mise de la Chine communiste sur le Turkestan. Aujourd’hui, il n’y a pas un chiffre officiel du nombre des Ouïghours à l’extérieur. Les pays turcophones de l’Asie centrale comprennent le plus grand nombre de migrants ouïghours par la proximité géographique, linguistique et culturelle. La Turquie, l’Australie, le Canada accueillent un nombre assez important de cette population grâce à  la politique migratoire de ces pays. Un autre pôle américano-nippon comprend essentiellement les intellectuels et scientifiques ouïghours qui y sont installés souvent pour des raisons professionnelles. Un dernier pôle migratoire est les pays d’Europe occidental et scandinaves, dont la particularité se trouve sur la migration politique.

Depuis ces quelques dernières années, si certains, que ce soit les médias ou les chercheurs, n’hésitent pas à dénommer la communauté ouïghoure dispersée comme diaspora, d’autres chercheurs de la diaspora restent sceptiques sur la pertinence de cette nomination en raison de la montée récente des réseaux ouïghours. Depuis les années 90, les Ouïghours à l’étranger ont non seulement réussi à se regrouper en institution internationale en créant dans chaque pays d’installation des organisations interconnectées, mais ont également retrouvé la connexion avec leur pays d’origine. Le rôle des nouvelles technologies dans ce développement est primordial, notamment l’arrivée de l’Internet qui a très largement contribué à la mondialisation des réseaux ouïghours.

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Débat autour de la définition de la diaspora

L’origine du terme diaspora vient du grec et repose sur la transcription du mot hébreu, Galout. Ce terme se réfère aux notions de migration et colonisation. En hébreu, le terme fait référence à l’implantation de population juive
en dehors de la Palestine après l’exil babylonien.

Jusqu’aux années 60, le terme diaspora a été employé uniquement pour le peuple juif dispersé. En 1966-67, la centralité du problème d’intégration des Afro-Américains dans les débats sociaux a imposé le terme de « diaspora africaine ». Puis le mot est attribué aux Arméniens à partir de 1972. Les Chinois-Han en dehors de la Chine, y compris à Taiwan et Hong Kong, sont qualifiés de diaspora depuis les années 80. Nous parlons aujourd’hui des nouvelles diasporas ainsi de la diaspora palestinienne, tibétaine ou kurde.

Pour les chercheurs en sociologie, il y a deux définitions, l’une large et l’autre étroite. Selon la définition large, toute dispersion ou même toute conscience ethnique peut être qualifiée de diaspora. Certains parlent donc de la
diaspora professionnelle, de la diaspora féministe ou encore de la diaspora homosexuelle laquelle est d’ailleurs très active aujourd’hui sous le nom de « Queer diaspora ». Selon la définition étroite, un certain nombre de caractéristiques doivent être respectées pour que l’on puisse parler de diaspora. Les partisans de la définition étroite sont : Gabriel Sheffer, James Clifford, William Safran, Kachig Tölölyan et Robin Cohen.

En comparant la définition de la diaspora donnée par différents chercheurs avec l’utilisation réelle de ce terme dans les publications scientifiques ou politiques, on trouve une très grande contradiction dans chaque théorie. Les conditions « scientifiques » résumées selon les différents points de vue, la définition de la diaspora : un peuple dispersé dans plusieurs endroits différents en dehors de son pays d’origine ; avoir une mémoire collective douloureuse ; avoir un espoir de retour dans son lieu d’origine qu’il soit  réel ou mythique ou un attachement sentimental pour un lieu mythique considéré comme pays d’origine ; garder un lien avec ce lieu ; garder et développer sa culture traditionnelle ; être considéré comme groupe minoritaire dans le pays d’installation ; jouer un rôle entre ce lieu et le pays d’installation…

Encore une fois, cette définition collective ne représente que le cas des diasporas classiques, c’est-à-dire politiques et elle ne reflète pas les spécificités des diasporas telles qu’économiques (diaspora chinoise) ou sociales (féministe, homosexuelle) etc.

Peut-on qualifier les communautés ouïghoures de diasporiques ?

La question se pose sur la valeur réelle de cette désignation. A quoi cela sert-il d’être considérés comme diaspora ? Cette dénomination, selon le sociologue français Stéphane Dufoix, dépend de quatre pôles qui sont les
autorités du pays d’origine, celles du pays d’installation, les représentants officiels de la communauté et les scientifiques. [1] Le terme diaspora porte, d’une certaine manière, un sens de victimisation pour certains, donc favorise leur revendication politique comme c’est le cas des Tibétains ou des Ouïghours, même pour les Palestiniens selon Schnapper et Bordes-Benayoun et Safran, mais cette appellation peut être négative selon le chercheur Palestinien, Kodmani-Darwish qui considère que la désignation de « réfugié » est plus valorisant que le terme diaspora.[2]

Sans que les Ouïghours qui vivent en dehors de leur région natale ne le revendiquent, ce sont surtout les médias qui leur ont attribué l’appellation diaspora depuis quelques années. Nous n’avons jusqu’à présent pas encore vu dans les déclarations ou les discours des représentants politiques ouïghours à l’étranger de mention d’une diaspora ouïghoure. Le terme correspond dans la traduction ouïghoure au mot « sürgün » qui signifie aussi l’exil comme le montre l’appellation du « Turkestan oriental en Exil » présidé par Enwer Yusuf Turani. Certains chercheurs nous interrogent sur la légitimité de cette appellation que nous utilisons depuis peu. Alors je réponds ici à la question de savoir si les Ouïghours à l’étranger peuvent constituer une diaspora ? Pourquoi ?

L’exode forcé des Ouïgours commence dès 1950 avec l’arrivée de l’Armée de Libération Chinoise dans la région ouïghoure. La chute de la République du Turkestan Oriental à cette date est restée dans la mémoire des Ouïghours
à l’étranger comme le début de leur exil. Restés discrets à cause d’une absence totale de soutien dans les pays d’installation, ils n’ont commencé  que tardivement, à partir des années 90, à créer leurs réseaux dans les trois continents – Asie, Europe, Amérique du Nord. Ils ont perdu leur lien avec leur pays d’origine jusqu’à la politique d’ouverture du marché en Chine en 1980 qui leur a permis de retrouver un certain contact avec la région. Mais dans cette communauté à travers le monde, tous les Ouïghours ne sont pas des réfugiés puisqu’une partie importante est composée de scientifiques, notamment aux Etats-Unis et au Japon, et d’étudiants qui ne se mêlent pas à la revendication politique des réfugiés. Cela dit, si les réfugiés revendiquent et luttent pour l’indépendance de leur pays en collaboration avec diverses organisations gouvernementales ou non gouvernementales, les autres jouent de leur côté un rôle économique et scientifique entre la région et les pays d’installation dans les projets communs entre deux pays. En Turquie, la communauté ouïghoure sert aussi pour le développement des coopérations économiques des deux pays.

Selon les critères scientifiques, la communauté ouïghoure à l’étranger peut être qualifiée de diaspora en cours de construction en raison de l’histoire récente de sa dispersion. Est-ce que cette désignation sera utile pour les
Ouïghours ? Politiquement parlant, il y a trois avantages dans cette revendication diasporique :

1. Tous les Ouïghours à l’étranger entrent dans une seule case et cela joue un rôle positif pour renforcer l’unité et l’identité collective.

2. Comme nous avons évoqué tout à l’heure, ce n’est pas la totalité des Ouïghours qui est réfugiée dans leur pays d’installation. Etre désigné de diaspora est plus réel que réfugié.

3. Au nom d’une seule diaspora, les dirigeants à la tête des institutions et des réseaux politiques peuvent parler d’une revendication politique que de nombreux Ouïghours ne peuvent pas exprimer ouvertement en raison de leur lien étroit avec leur pays d’origine.

Identité reconstruite dans la diaspora

De nombreux chercheurs américains et quelques chercheurs français se sont intéressés à l’histoire des Ouïghours et à la géopolitique de leur région. La sinologue et chercheuse Françoise Aubin est l’une de ces chercheurs, dont
la thèse sur l’histoire des Ouïghours a influencé de nombreux autres chercheurs Je ne répète pas ici l’histoire ouïghoure dont les versions ouïghoure, chinoise, turque et occidentale divergent plus ou moins.

Légitimité historique de l’ethnonyme « ouïghour »

Aujourd’hui on se retrouve entre deux pôles qui se sont radicalement éloignés l’un de l’autre sur l’histoire et l’identité ouïghoure : d’un côté, ce sont les chercheurs occidentaux qui se basent sur la thèse selon laquelle les Ouïghours d’aujourd’hui ne sont pas les descendants des Ouïghours du passé. De l’autre côté, ce sont les Ouïghours qui sont furieux de cette thèse et qui essayent de mettre en avant leur propre version de leur histoire. La version des Ouïghours, notamment ceux de la diaspora, atteste que les Ouïghours du passé depuis le premier empire turk dans le plateau de la Mongolie sont les mêmes que les Ouïghours de l’empire Ediqut de Turpan et toujours les mêmes que  ceux de la Kashgarie et les Ouïghours d’aujourd’hui. Entre les mythes et la réalité, les Ouïghours ont écrit leur propre histoire en mélangeant tous les grands empires et empereurs de l’Asie centrale, ce qui leur a permis de créer une identité nouvelle à la fois mythique et réelle.

Je ne vais pas ici comparer ces deux versions. L’histoire et l’identité ouïghoure ont été étudiées souvent par les historiens, anthropologues et politologues que ce soient des chercheurs occidentaux ou ouïghours. Pourtant cette question d’identité est une question aussi fondamentalement sociologique que pour n’importe quel groupe ethnique.

L’ethnonyme « ouïghour » officiel est donné en 1921 pendant le Congrès des Nationalités à Tachkent dans l’ex-URSS, à la population du Sud du Turkestan chinois. Mais encore une fois, je ne répète pas l’histoire ici. Mais ce fut le début du nationalisme ouïghour contemporain, contesté encore une fois par Haji Yakub Yusubi pour qui le nationalisme commence en 1877. Le drapeau de la seconde République du Turkestan Oriental, la légende de Mère Louve qui serait l’origine des Turks, les noms des rois ou empereurs de l’Asie centrale, les deux fameux penseurs ouïghours du XIème siècle…sont devenus depuis le début de XXe siècle les symboles de la fierté ethnique et de l’identité ouïghoure.

Un ethnonyme est un nom propre d’une collectivité, d’un groupe ethnique, d’un peuple. C’est une auto-désignation, le nom par lequel les membres d’une collectivité se désignent, ou désigné par les autres, comme c’est le cas le plus fréquent et il demeure stable sur une longue période historique, mais ce n’est pas une règle générale. Les Gitans ou Tsiganes comme on les appelle, mais qui  eux se désignent comme Roms, en fournissent un bon exemple. [3](P.J. Simon)

Pour Max Weber, un « groupe ethnique » n’existe qu’à partir du moment où ses membres ont conscience de leur situation ou de leur qualité commune. Le groupe ethnique est donc moins une communalisation, au sens de relation sociale, qu’une communauté imaginaire à laquelle les acteurs croient. Mais c’est surtout l’objet de cette croyance qui est fondamental dans l’approche de Weber : les faits ethniques sont, selon lui, tous basés sur la même « croyance en une origine commune », réelle ou fictive.[4] (Weber, Économie et Société)

La revendication des noms des rois ou des célèbres savants du monde turc par les Ouïghours comme par les autres turcophones, notamment Ouzbeks, est devenue un phénomène courant et nous le voyons très souvent dans les prénoms des hommes ouïghours ou ouzbeks.  Ces noms sont devenus une marque de l’identité ethnique. L’origine ethnique d’Alshir Nawayi, un célèbre poète en Asie centrale et au Moyen-orient est jusqu’à aujourd’hui un sujet qui fâche les Ouïghours et les Ouzbeks. C’est parce qu’il n’y a pas de frontière ethnique, entre ces deux groupes qui partagent les mêmes cultures et pratiquement la même langue.

Reconstruction et renforcement de l’identité ouïghoure dans la diaspora

Les Ouïghours sont d’origine nomade comme beaucoup d’autre peuple dans le monde. La migration ouïghoure contemporaine se divise en trois périodes importantes depuis 1949. La première vague est au début des années 50, une deuxième avant la Révolution Culturelle et la dernière est depuis fin 80-début 90. Jusqu’au milieu des années 90, la destination migratoire était essentiellement les Républiques turcophones de l’Asie centrale, attachées à l’URSS, l’Inde et le Pakistan. (Comme le dit le géographe Gildas Simon, celui qui a fui pour sa survie à l’intérieur ou à l’extérieur des limites de son Etat d’origine n’est pas un migrant comme un autre, il n’a pas choisi de l’être ; son plus cher désir est de pouvoir revenir chez lui et d’y vivre en sécurité, sa principale logique est celle du retour définitif au pays. C’est pourquoi il cherche à s’installer dans un pays frontalier, le plus près possible de la frontière afin de garder le contact et des liens avec ceux qui sont restés et surtout de pouvoir revenir chez lui, dès que la situation se sera améliorée et que la paix civile sera revenue.) [5]

A partir des années 90, à la suite de l’ouverture des frontières par le gouvernement chinois dans un souci de développement commercial avec l’extérieur, les Ouïghours ont trouvé de nouveau le moyen de communiquer avec le monde extérieur. Les étudiants, les hommes d’affaires commencent à partir en Europe, Amérique du Nord, au Japon et en Australie. Ce changement de destination, d’une part pour des raisons d’étude pour les étudiants et pour d’autres, la coopération étroite entre les pays turcophones de l’Asie centrale fraîchement indépendants, avec la Chine ne laisse aucune chance aux Ouïghours qui souhaitent militer contre la Chine. Les organisations indépendantistes ouïghoures dans ces pays sont interdites et les militants sont arrêtés et mêmes livrés aux autorités chinoises.

La diaspora ouïghoure commence à se constituer réellement à partir des années 80-90 à l’échelle mondiale, bien que les exilés ouïghours en Turquie soient particulièrement actifs avec le chef charismatique Isa Alptékin. Entre 1990-95, deux organisations importantes sont implantées à Munich en Allemagne, le pays qui a accueilli le plus grand nombre de migrants ouïghours en Europe. En 1998, l’Association ouïghoure américaine est créée à Washington. A partir de 2000, les pays scandinaves commencent à recevoir des demandeurs d’asile ouïghours de l’intérieur et de l’extérieur du Turkestan chinois. En 2004, le Congrès Mondial Ouïghour est fondée et il  regroupe toutes les organisations ouïghoures politico-culturelles. Aujourd’hui, le CMO a ses branches dans les pays européens tels que l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume- Uni, la Suède, la Finlande, la Norvège et enfin la France.

Il est difficile de donner un chiffre exact des migrants ouïghours dans le monde : la Turquie (en 2000, les statistiques officielles turques montraient 10,000 Ouïghours. Les autorités turques ont donné la nationalité encore à 4000 Ouïghours migrants en 2010 à la suite du conflit sanglant sino-ouïghour en juillet 2009), l’Australie et le Canada avec les pays du Moyen-Orient sont les grands foyers de la migration jusqu’en 2000. L’Europe commence à véritablement devenir une destination migratoire depuis peu, notamment les pays scandinaves et les Pays-Bas qui accueillent depuis ces dernières années de nombreux demandeurs d’asile ouïghours. Les politiques migratoires des pays européens ne facilitent pas l’installation de ces Ouïghours en Europe. Dans les pays moyen-orientaux, les Ouïghours n’ont pas d’organisation à cause de lois qui interdisent la création d’association.

Le nombre exact des Ouïghours installés dans le monde n’est claire à personne faute d’une statistique officielle. Selon les estimations des dirigeants ou représentants ouïghours dans les différents pays, nous donnons ici une estimation officieuse de la diaspora ouïghoure. Les données ci-dessous sont à prendre avec caution, car les Ouïghours dans la diaspora ont souvent tendance à grossier les chiffres.

 Région du monde  Nombre d’Ouïghours    Région du monde  Nombre d’Ouïghours
   Asie centrale   1, 500,000   Turquie   15000
   Australie   7000   Canada   5000
   Moyen-Orient   3000   Pays-Bas   2000
   Scandinaves   2000   Etats-Unis   2000
   Allemagne   1500   Japon   1500
   France   500   Angleterre   100
  Suisse   30

 

Avec des divisions internes causées par des positions différentes sur le but de la lutte anticolonialiste chinoise, les Ouïghours semblent être aussi divisés que les autres diasporas. Aussi, comme dans toutes les diasporas, le discours sur la nation et la souveraineté est omniprésent dans le discours des leaders politiques. Elle ne présente jamais la même désignation des frontières politiques. Spécialiste de la diaspora arménienne, la sociologue Martine Hovanessian montre le souci d’unité nationale des organisations arméniennes pour maintenir un même discours avant l’indépendance de l’Arménie. [6] Pour tenir un même discours contre l’ennemi commun, les dirigeants ouïghours de la diaspora imposent parfois leur position aux associations politiques dans les différents pays. Ce discours nationaliste semble nécessaire pour trouver une force puissante contre la politique colonialiste et répressive de la Chine dans sa région dite autonome.

Apport des TIC dans la construction de la diaspora ouïghoure

Le développement des nouvelles technologies a beaucoup évolué depuis la fin des années 80, ce qui a influencé naturellement les autres domaines de la vie sociale et professionnelle. L’un de ces changements majeurs se trouve
très visiblement dans le phénomène migratoire à la suite de la multiplication des modes de migration dans l’espace physique et des différents modes de regroupement dans un territoire numérique. L’invention du web, notamment la version web 2.0 (blogs, réseaux sociaux en ligne, etc.) a produit un changement révolutionnaire dans la vie des migrants. Les Ouïghours de la diaspora utilisent ce nouvel outil pour faire entendre leur cause dans leur pays d’installation et aussi pour renforcer le lien et la fierté ethnique parmi les migrants ouïghours. Le web a joué un large rôle dans la formation et construction de la diaspora ouïghoure qui affirme de plus en plus son identité et ses positions vis-à-vis de la Chine.

Si le nationalisme ouïghour dans la région est exarcerbé depuis l’arrivée massive des migrants Han, le manque de respect de ces derniers envers les autochtones majoritairement musulmans, l’inégalité socio-économique et la liberté religieuse extrêmement surveillée, ce sentiment est multiplement renforcé dans la diaspora par le discours des dirigeants politiques, les médias diasporiques et notamment par les articles disponibles sur les sites, forums de discussion et blogs ouïghours de plus en plus nombreux. L’affirmation de l’identité ouïghoure sur ces sites se repère par la présence de  la couleur  bleue, la photo du célèbre savant ouïghour du XIème siècle Mahmut Kashgari ou encore la fameuse grande mosquée de Kashgar, Eidgah, sans oublier aussi la fameuse peinture « Muqam » de Ghazi Emet (Photo).

Sur le site de réseau social Facebook, le nombre de groupes nationalistes atteint 200. Le nombre d’internautes ouïghours est difficile à vérifier. Mais une partie importante parmi eux portent un nom de famille « Uyghur » ou intègrent à leur profil les symboles de l’identité ouïghoure tels que les portraits des rois antiques, le drapeau…

             Groupe       Nombre de fan   Nombre de fan qui porte un nom     nationaliste
  Uyghur Pride   1822   161 / 9,4%
  Dunya Uyghur Yashlar Munbiri    (Forum de la Jeunesse Ouïghoure)   555   114 / 20,54%
  Uyghur United   407   78 / 19,17%

(Les noms considérés comme nationalistes dans cet article : Uyghur, Ouïghour, Turan, Turkistan, Öztürk, Kashgari, Kaghan)

 

Voici une étude réalisée dans le cadre du projet E-diaspora Atlas de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme l’année dernière qui a porté sur 500 sites ouïghours[1] :

Après la comparaison des sites de la diaspora et ceux de la région ouïghoure, nous avons découvert que la première catégorie contient plus de sites que de blogs, alors que dans la région ces données s’inversent (145 sites diasporiques contre 46 dans la région). Les blogs de la région appartiennent tous à la plate-forme Blog Bus, la seule plate-forme autorisée en Chine. Tout blog appartenant à une autre plate-forme (wordpress, blog-spot…etc.) y est inaccessible. Seuls quelques blogs qui ne portent pas de discours politiques y sont accessibles: à savoir le site de l’Uyghur Academy, Jeckblog, le site de l’Association Ouïghoure d’Informatique.  Près de 80 sites sont morts, une dizaine de sites appartiennent à la diaspora mais la grande majorité était implantée dans la région. L’étude d’e-diaspora ouïghoure a été menée en 2010 juste après les évènements sanglants de juillet 2009, une période où toute connexion internet a été coupée dans la région ouïghoure pendant 10 mois. Après la réouverture, les sites les plus populaires chez les jeunes internautes ouïghoures comme Salkin, Xabnam et Diyarim ont été accusés d’avoir alimenté la manifestation de juillet 2009. Ces sites ont été interdits et les bloggeurs ont été arrêtés. La grande majorité des sites web sont bloqués et la seule possibilité pour ouvrir un blog est d’utiliser la plate-forme de Blog Bus. Parmi les 843 sites que nous avons recueilli au début de ce travail, autour de 600 sites sont en réalité des blogs crées sur Blog Bus. Les sites interdits ou bloqués ont retrouvé leur espace numérique sur cette plate-forme beaucoup moins performante que leur site web d’origine.

Le contenu des sites ouïghours de la région et de la diaspora est très divers, mais  une nette différence se dessine : ceux de la diaspora sont fortement politiques, tandis que les sites de la région s’autocensure plus qu’auparavant. Les sites religieux trouvent leur place dans la diaspora, car ils sont très peu tolérés en Chine. Sans surprise ces sites sur la religion islamique sont implantés en Arabie Saoudite et en Turquie. Dans les pays anglo-saxons, on trouve aussi trois sites évangéliques très performants et riches de contenu, destinés aux internautes ouïghours Min-kao-min, puisque aucun de ces trois sites n’utilise l’ouïghour latinisé.

Les pays où il y a une forte population ouïghour ne sont pas forcément les espaces numériques les plus développés. Considérée longtemps comme le foyer européen des Ouïghours, l’Allemagne compte seulement quatre sites actifs dans la diaspora. Même phénomène pour les pays européens nouvellement devenus cibles de demande d’asile ouïghour tels que la Norvège, la Suède et les Pays-Bas. Ces trois pays comptent chacun près de 2000 réfugiés ouïghours et les activités politiques sont particulièrement actives depuis ces trois dernières années. On ne retrouve ainsi qu’un seul site web dans le premier, deux dans le deuxième et cinq dans le dernier. En revanche, la France regroupe à elle seule 16 sites web malgré une très faible présence de la population ouïghoure réfugiée. Nous pouvons constater que la population Ouïghour en France se compose majoritairement de jeunes étudiants qualifiés par rapport aux autres pays européens où on retrouve plutôt une communauté réfugiée non académique.

Conclusion

Les sites, les forums et les groupes ouïghours sur Facebook deviennent de plus en plus nombreux même si leur contenu n’est pas pour autant très diversifié. Les articles religieux prennent une place dominante dans ces forums et groupes sur Internet. Ce phénomène est la conséquence d’une ignorance des gouvernements occidentaux de la cause ouïghoure et la récupération de cette revendication ouïghoure par les organisations religieuses. La question ne porte pas sur le nombre de sites ou de blogs religieux, mais sur la domination d’un discours religieux ou ultra-conservateur dans les forums censés avoir des contenus diversifés.

Ce renforcement de l’identité religieuse n’est pas seulement un phénomène du web. On le trouve d’abord en Turquie et dans les pays moyen-orientaux et moins mais non sans risque dans les pays occidentaux où ils sont aidés par leurs coreligionnaires et encore une fois, ignorés ou pas du tout soutenus par le pays d’installation.

Un autre constat va dans le même sens : l’identité turque. D’abord en Turquie, ensuite en occident, ils sont entourés de Turcs de Turquie chez qui ils trouvent un soutien moral et financier. La solidarité entre « peuples turcs » a renforcé l’identité turque et l’appartenance à une seule nation ou peuple turc est accentuée.

1. Dufoix, S., Notion, concepts ou slogan: qu’y a-t-il sous le terme de « diaspora »?, in Les diaspora, 2000 ans d’histoire, L. Anteby-Yemini, W. Berthomière, and G. Sheffer, Editors. 2005, PUR: Rennes. p. 53-63.
2. Schnapper, D. and C. Bordes-Benayoun, Diaspora et Nation. Science Humaine. 2006, Paris: Odile Jacob. 222.
3. Simon, P.-J., Différenciation et hiérarchisation sociales. Les Cahiers du Cériem, 1997(2): p. 18.
4. Patez, F., Les relations communautaires ethniques selon Max Weber. Les Cahiers du Cériem, 1997(2): p. 12.
5.  Simon, G., La Planète Migratoire dans la Mondialisation. Géographie, ed. E.U. Collection. 2008, Paris: Armand Colin. 255.
6. Hovanessian, M., La notion de diaspora: les évolutions d’une conscience de la dispersion à travers l’exemple arménien, in Diaspora, 2000 ans d’histoire, L. Anteby-Yemini, W. Berthomière, and G. Sheffer, Editors. 2005, PUR: Rennes. p. 65-79. [1] http://ediasporas.ticmigrations.fr/chercheurs/

 

Dilnur Reyhan

Dilnur Reyhan

Dilnur Reyhan, Doctorante en sociologie à l’Université de Strasbourg.

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