Guantanamo, la fermeture programmée

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Yes, we can…

La décision de Barack Obama de fermer Guantanamo, prise seulement deux jours après son investiture, a été saluée par toute la communauté internationale et par les organisations de défense des droits humains. Mais cette décision ne remet pas en cause la politique globale de lutte contre le terrorisme initiée, en réponse à la tragédie du 11 septembre 2001, par le président Bush, son gouvernement et la hiérarchie militaire. Analyse…

Les Etats-Unis ont manipulé les lois internationales grâce à la mise en place d’un nouveau cadre juridique. Cette politique, dans laquelle s’inscrit l’ouverture du centre de détention de Guantanamo, a donné lieu à son propre cortège d’abus et de violations des Droits humains. Dans les mois qui suivent l’attaque contre le World Trade Center, un ensemble de lois et de décrets présidentiels contraires au droit national et international, donnent au seul pouvoir exécutif et au président en particulier, les pleins pouvoirs pour décider d’ «utiliser toutes les forces nécessaires et appropriées »  contre toute personne pouvant être impliquée dans les attaques du 11 septembre.

Le Patriot Act voté par le Congrès autorise la détention d’une personne n’ayant pas la citoyenneté américaine sans qu’aucune charge n’ai été retenue contre elle et sans limitation de durée si le gouvernement a des « raisons raisonnables » de penser  que cette personne peut constituer une menace pour la sécurité nationale.

Le président peut, seul, désigner une personne comme «ennemi combattant» si elle est suspectée d’être terroriste. Ce statut inventé, qui n’existe dans aucune loi internationale y compris dans les Conventions de Genève,  place ces personnes dans un vide juridique total. Seul l’exécutif, et non le judiciaire, a désormais la compétence pour déterminer si un détenu est un «ennemi combattant» sans obligation de rendre de comptes.

Le Pentagone en décembre 2001, déclare que la base de Guantanamo étant située en dehors du territoire souverain des Etats-Unis, les Cours fédérales n’ont pas compétence pour examiner une requête en «habeas corpus» introduites par des «étrangers ennemis».

Le président instaure également des commission militaires, dépendantes du pouvoir exécutif qui nomme leurs membres, qui vont devoir juger les «ennemis combattants» pouvant retenir à charge contre eux les informations obtenues sous la torture contre eux, voire requérir la peine de mort.

Cette série de lois établie au nom de la Sécurité nationale met en cause les Droits humains fondamentaux protégés par la Constitution des Etats-Unis et par les lois internationales que les Etats-Unis ont ratifiés, dont : les Conventions de Genève, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le Pacte International pour les Droits Civils et Politiques, la Convention contre la Torture et la Convention pour l’Elimination de toute forme de  Discrimination Raciale.

Janvier 2002, début du transfert des prisonniers vers Guantanamo

En même temps que l’arsenal juridique se met en place, une campagne médiatique, de désinformation et de peur d’une nouvelle attaque, est entretenue aux USA pour galvaniser l’opinion publique et ainsi soutenir la politique globale de lutte contre le terrorisme. D’un autre côté, comme l’ont déclaré d’anciens agents de la CIA, le gouvernement veut des résultats immédiats pour rassurer cette même opinion publique, il faut donc «trouver» des coupables et arrêter des «terroristes». Les autorités américaines promettent alors une récompense d’environ 5.000 dollars à quiconque leur remettra toute personne pouvant être suspectée de terrorisme. Les dénonciations et les arrestations sur un simple ouï dire se multiplient, en particulier au Pakistan où 5.000 dollars représentent une fortune pour la plupart des habitants.

Vendus aux forces américaines, la plupart de ces détenus sont d’abord interrogés à Abou Graïb, Bagram ou Kandahar, et soumis à des interrogatoires utilisant la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants. En Décembre 2002, un médecin légiste travaillant sur la base de Bagram déclare : «n’avoir vu de pareils blessures que sur un individu sur lequel aurait roulé un bus».

Parmi eux des mineurs (le gouvernement américain reconnaîtra en 2008 qu’environ 2500 mineurs ont été détenus sous son contrôle en Irak, Afghanistan et Guantanamo), dont certains âgés à peine de 14 ans au moment des faits qui leur sont reprochés, sont maintenus en détention et soumis au même traitement que les adultes au mépris du droit international (seuls les USA et la Somalie n’ont toujours pas signé la Convention Internationale des Droits de l’Enfant).

Début 2002, les premiers transferts de prisonniers se font vers la base de Guantanamo, lieu délibérément choisi par les autorités américaines pour y placer des détenus déclarés «ennemi combattant», loin de la justice et des lois. Cette prison devient alors un symbole international des attaques systématiques des Droits Humains perpétrés par les USA dans le cadre de sa politique de lutte contre le terrorisme. Les détenus sont coupés de tout contact extérieur et leurs familles restent sans aucune nouvelle de leurs proches.

Les prisonniers y sont maintenus en isolement prolongé dans des conditions inhumaines et dégradantes, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux, sans procès équitable. De plus, ils sont soumis à des interrogatoires utilisant le plus souvent des techniques assimilables à de la torture. Les suicides, les morts, les grèves de la faim se multiplient. En 2004, les photos des actes infligés aux prisonniers dans la prison d’Abou Graïb en Irak font le tour du monde.

Les autorités américaines par la suite reconnaîtront officiellement avoir autorisé l’utilisation de techniques assimilables à la torture comme le «simulacre de noyade». Fait inhabituel, le CICR fait part publiquement de son inquiétude à propos du régime de détention à durée indéterminée et de son impact psychologique sur les prisonniers. Le Comité des Nations Unies contre la torture se joint aux appels des organisations de défense des Droits Humains demandant la fermeture du centre de détention de Guantánamo Bay.

Mais, alors que l’attention internationale se focalise sur Guantanamo, « partie émergée de l’iceberg », la CIA conduit un programme de détentions secrètes et d’interrogations, de disparitions forcées et de «restitutions». Guantanamo devient un élément central du réseau mondial des «restitutions». Ce programme, illégal en regard des lois internationales, est dirigé par la CIA, et validé par le  président Bush qui confirmera son existence en 2006 lorsqu’il annoncera le transfert des «sites noirs» vers Guantanamo des 14 détenus dit «de haute valeur».

Un programme qui consiste à  enlever partout dans le monde, en dehors de toute procédure judiciaire, des personnes sous le prétexte d’être potentiellement des terroristes pour être conduits dans « des sites noirs » où elles vont être interrogées, maltraitées, et maintenues au secret et à l’isolement le plus complet pendant des périodes pouvant aller jusqu’à 4 ans et demi. En 2007 le directeur de la CIA révèlera qu’une partie des bandes vidéo effectuées pendant les interrogatoire ont été détruites faisant disparaître de possibles preuves d’exactions et permettant donc de renforcer l’impunité pour les responsables de ces actes.

L’agence utilise des avions loués par des sociétés agissant dans la légalité pour transférer secrètement ces personnes et les disperser un peu partout dans le monde. On a signalé l’existence de ces centres en Afghanistan, en Égypte, en Jordanie, en Syrie à Diego Garcia, au Pakistan, en Thaïlande et dans des pays d’Europe de l’Est.

Ces « disparitions forcées » sont facilitées grâce  à l’aide de pays européens qui jouent des rôles allant de la complicité tacite à la participation active en aidant des agents américains à enlever un suspect dans la rue comme en Italie; ou en acceptant sur leur propre sol les «sites noirs» de la CIA. La plupart des Etats ferment les yeux sur le survol de leur territoire par ces avions; certains les autorisent à se poser sur leur sol pour se ravitailler. De plus, des agents gouvernementaux de certains pays européens se rendent à Guantanamo ou sur certains sites secrets pour y interroger leurs ressortissants en dehors de tout cadre légal. Les prisonniers après avoir été torturés dans ces sites secrets sont, parfois relâchés, mais le plus souvent transférés à Guantanamo.

L’opposition de la Cour Suprême des Etats-Unis

Guantanamo est donc le lieu final privilégié de destination de ces hommes arrêtés dans le cadre de la politique américaine de guerre contre le terrorisme au moins jusqu’en 2004. En effet en 2004, des avocats saisissent la Cour Suprême des Etats-Unis (Rasul v. Bush)  qui se prononce en faveur de la possibilité pour les détenus de contester leur détention devant les Cours américaines fédérales de justice, contestation récusée par les autorités américaines jusqu’alors. A partir de 2004, après la décision de la Cour, il semble que les transferts se ralentissent vers Guantanamo, par contre le nombre de détenus augmentent à Bagram. En 2004, il y avait environ 300 détenus à Bagram et 600 à Guantanamo, en juin 2008  il n’y avait plus que 270 détenus à Guantanamo contre 600 à Bagram.

En 2006, (Hamdam v. Rumsfeld) la Cour invalide le système des commissions militaires le jugeant contraire à la constitution. Le président Bush contourne cette décision en faisant voter par le Congrès la loi sur les Commissions Militaires quelques mois après. Cette loi rétroactive permet de maintenir et de renforcer le système mis en place dès 2001 et assure une complète impunité pour tous ceux qui ont été impliqués dans des actes de torture. Puis en juin 2008, la Cour Suprême (Boumediene v. Bush) reconnaît le droit à l’ «habeas corpus» pour les prisonniers de Guantanamo. Cette même année, les élections présidentielles en automne amènent pour beaucoup l’espoir que la justice va être enfin rendue.

Juste après son investiture en janvier 2009 le président Obama signe 4 décrets présidentiels salués par tous comme un premier pas vers une véritable justice dans lesquels il déclare entre autre la fermeture du centre de Guantanamo pour, au plus tard, janvier 2010. Depuis son investiture, il apparaît clairement que d’importantes mesures ont été prises, notamment pour mettre fin aux politiques désastreuses en matière de détention et d’interrogatoire mises en place sous le précédent gouvernement. Cependant, ces changements encourageants ne doivent pas faire oublier qu’environ 229 hommes restent détenus illégalement à Guantánamo et que les USA refusent toujours d’accepter sur leur propre sol des ex-détenus prétextant qu’ils pourraient poser un risque pour la sécurité des Etats-Unis.

De nombreuses discussions sont en cours avec d’autre pays pour y transférer, en particulier, ceux dont la libération avait été approuvée lors de l’examen ordonné par le pouvoir exécutif, ou ordonnée par des tribunaux américains, ainsi que ceux qui ne peuvent pas être renvoyés dans leur pays d’origine par crainte d’y subir torture ou autres violations des Droits Humains. A ce jour, seules la Grande Bretagne, la France et les Bermudes ont concrètement accepté d’anciens détenus sur leur sol, certains pays comme l’Irlande, l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Hongrie seraient en train de finaliser les négociations… Par contre, d’autres pays comme les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède ont refusé, estimant que la responsabilité de trouver une solution en incombe aux USA uniquement.

D’autre part, le Président Obama dans son discours du 22 mai dernier a déclaré qu’un certain nombre de détenus ne pourraient être poursuivis devant des Cours fédérales car les preuves retenues contre eux pourraient être «corrompues» et qu’il faudrait donc trouver un cadre légal pour les maintenir en détention pour une durée illimitée (les Etats-Unis ont signé la Convention contre la Torture qui proscrit l’utilisation des preuves obtenues sous la torture). Enfin malgré la volonté réaffirmé du Président, dans ce même discours, de fermer Guantanamo, le Congrès votait quelques jours plus tard, à la quasi unanimité, contre la libération des fonds demandé par le Président Obama pour fermer le centre de détention.

D’autres « Guantanamo » sont-ils possibles ?

Si les premières initiatives prises pour aborder le passé méritent d’être saluées, la fermeture du centre de Guantanamo ne doit pas être purement symbolique. Elle ne doit pas occulter les autres dimensions de la guerre contre le terrorisme, qui serviraient de prétexte à l’ouverture de centres comme celui de Bagram où actuellement environ 500 personnes dépérissent en détention dans des conditions pires qu’à Guantanamo et ce sans pouvoir contester la légalité de leur emprisonnement.

La façon dont le nouveau gouvernement aborde la question des détentions sur la base aérienne de Bagram est en effet préoccupante. Le 20 février 2009, en réponse à un juge fédéral qui l’invitait à préciser la ligne de conduite du nouveau gouvernement concernant les détenus de Bagram, le ministère de la Justice a répondu qu’«après examen de la question, le gouvernement avait décidé de conserver la même position qu’auparavant», celle du gouvernement Bush.

De même, le Président Obama a réaffirmé que les États-Unis continuent de se réserver le droit d’avoir recours aux «restitutions» et a autorisé la CIA à détenir des personnes pour de courtes périodes sans que le cadre juridique régissant ce type de détentions soit bien défini. Le gouvernement américain continue également d’invoquer le spectre d’une « guerre » perpétuelle, où le champ de bataille pourrait être n’importe où dans le monde pour permettre de détenir des personnes dans le cadre de cette « guerre » sans limitation de durée. Le Président Obama a également déclaré que les responsables des violations des Droits Humains commises dans le passé n’auraient pas à rendre de comptes, ce qui renforce l’impunité instaurée par le précédent gouvernement. Il n’a prévu aucune commission d’enquête indépendante chargée de mener des investigations sur tous les aspects de la politique précédente dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme».

Enfin le Président demande de se conformer au «Manuel de terrain, de l’armée» pour l’utilisation des techniques d’interrogatoires ce qui ne constitue pas une protection suffisante pour les détenus car ce document autorise : la privation de sommeil, l’isolement et l’utilisation de la peur des détenus, qui sont contraires au Droit international.

Lors de sa prise de fonction le 20 janvier 2009, le président Barack Obama a hérité d’une politique initiée par son prédécesseur, en réaction aux attentats du 11 septembre 2001, basée  sur une violation quasi systématique des lois internationales relatives aux Droits humains. Elle a été marquée par la torture, le placement des détenus en isolement prolongé, la détention illégale, les disparitions forcées, les transferts secrets d’un pays à l’autre en dehors de tout cadre juridique, l’impunité pour les tortionnaires et l’absence de réparation à ce jour pour ceux qui ont été libérés.

La fermeture du centre de Guantanamo n’est pas une fin en soi car cette prison n’est que la «partie émergée» d’une politique qui a bafoué les Droits humains fondamentaux. D’autre part, il ne faut pas oublier que derrière cet acte politique, une histoire humaine tragique se déroule dans cette prison. Des hommes y sont enfermés, depuis 7 ans pour certains, torturés, détenus sans aucun procès équitable et sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre eux, et pour certains reconnus «libérables» par les autorités américaines.

Du fait qu’une grande partie du programme de lutte contre le terrorisme est né au sein du pouvoir exécutif fédéral dirigé par le président, Barack Obama a, certes, hérité du fardeau des atteintes aux Droits humains, mais aussi d’une occasion unique de réparer certains des préjudices causés à l’état de Droit pendant le mandat de son prédécesseur. Pendant la campagne de l’élection présidentielle, il s’était engagé à fermer le centre de détention de Guantánamo et à mettre un terme à la torture commise par des agents américains.

Il reste donc à voir dans quelle mesure ces engagements, qui ont été suivis par les 4 décrets présidentiels signés 2 jours après son investiture, entraîneront réellement les États-Unis sur la voie d’un plus grand respect de leurs obligations internationales relatives aux Droits humains.

Pour aller plus loin : www.amnesty.org/fr

Nathalie Berger

Nathalie Berger

Nathalie Berger est responsable de la coordination Etats-Unis pour Amnesty International France.

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