Istanbul, et après ?

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World humanitarian summit

Que pouvons-nous attendre du 1er Sommet Mondial Humanitaire (SMS) d’Istanbul les 23 et 24 mai prochain ?

Organisé dans une région directement concernée par ses enjeux, le Sommet devrait réunir des milliers de personnes invitées par les Nations Unies. Pourquoi ? D’une part en raison d’une période critique qui voit se multiplier des urgences humanitaires plurielles, conflits et catastrophes naturelles avec des enjeux migratoires sans précédent ; et d’autre part, en raison de la Réforme Humanitaire des Nations Unies, entreprise il y a un peu plus d’une décennie, qui vise à mettre l’organisation onusienne au cœur d’un système humanitaire international.

On peut comprendre qu’avec 135 millions de personnes dans une quarantaine de pays concernées par une assistance humanitaire, Ban Ki-Moon nous appelle à « tous nous mobiliser en faveur de l’Humanité » (1). Pour le HCR, tout laisse à penser que 2015 est l’année où le nombre de déplacements forcés dans le monde a dépassé 60 millions de personnes pour la première fois. Les priorités humanitaires internationales sont actuellement fortes et découlent pour la plupart de causes politiques, à l’exception des catastrophes naturelles parmi lesquelles on peut inclure la dernière crise Ebola de 2014 venue frapper directement des pays fragiles sur le plan sanitaire.

Ces raisons justifient de permettre à tous les acteurs concernés de débattre des enjeux et de la meilleure façon d’intervenir auprès des personnes vulnérables sur le plan humanitaire.

Néanmoins, au-delà de l’intérêt d’échanger sur les priorités et les pratiques, comment aborder la question de la normalisation onusienne de l’action humanitaire internationale portée par les gouvernements ? Dans quel sens se fait cette normalisation et permet-elle véritablement de secourir les plus vulnérables ? Est-elle favorable à la défense des principes humanitaires ?

Cette question sera présente à l’esprit de nombreux responsables humanitaires d’ONG internationales qui n’ont pas tous apprécié à Genève en octobre dernier une certaine promotion des ONG nationales ou détriment des ONG internationales.

Si on peut se réjouir des capacités grandissantes de nombreuses ONG nationales à travers le monde, on ne doit pour autant pas occulter l’importance des ONG humanitaires transnationales qui sont tout au plus une cinquantaine mondialement à pouvoir se projeter en urgence dans un contexte de crise.

Si parmi celles-ci, à l’exception de MSF, la plupart des ONG françaises telles qu’ACF ont des budgets bien inférieurs à celui de grosses ONG humanitaires mondiales, elles demeurent indispensables pour apporter leur expertise dans ces contextes de crise.

Entre compétition potentielle ou complémentarité constructive, le maillage des actions de terrain entre ONG nationale et internationale doit se faire prioritairement en faveur des bénéficiaires de l’aide. Est-ce bien dans ce sens que nous avancerons collectivement après Istanbul ?

Certains diront que les ONG internationales devraient se poser continuellement la question du transfert de leurs compétences et de leurs moyens à des ONG nationales dans les pays où celles-ci sont en mesure de le faire aussi bien et parfois même mieux.

Le maillage entre ONG humanitaires transnationales et ONG nationales permet de constituer des alliances de complémentarités, et indéniablement, cet axe-là va se développer dans les prochaines années. Il est encouragé par les bailleurs de fonds et par la logique même de renforcement des capacités dans les pays en crise ou en développement.

Les États passent par les agences onusiennes qui elles-mêmes se tournent vers les ONG nationales ou internationales pour la mise en œuvre de leurs programmes dans un pays en crise. Les fondations et les entreprises sont invitées à apporter leur contribution au financement de l’action humanitaire internationale.

Cependant, les questions complexes telles que celles liées aux missions intégrées onusiennes ne semblent pas à l’ordre du jour d’Istanbul. Sans doute pour ne pas aborder ouvertement des sujets de désaccords qui nous renverraient au final, comme bien souvent, sur le sujet épineux du rôle des Nations Unies au sein du système international. En effet, s’il est incontestable qu’elles représentent l’organisation la plus adaptée pour la gestion de la sécurité internationale, on peut discuter le fait qu’il en soit de même pour la gestion des actions humanitaires. Lorsqu’il cumule simultanément sécurité et assistance humanitaire, ce système onusien entrave bien souvent le second au profit du premier, mettant de facto en difficulté les organisations non gouvernementales qui se voient assimilées à cette organisation politique et donc entravées dans leur action auprès des plus vulnérables.

En ce sens, la croissance continue des actions humanitaires dirigées par les agences onusiennes au regard des besoins liés à la sécurité et à l’administration civile des crises aurait pu faire l’objet d’un débat. En effet, on pourrait discuter de l’intérêt du renforcement des ONG nationales comme moyen de permettre aux agences onusiennes de se désengager de l’action humanitaire au bénéfice de la sécurité collective et de l’administration civile.

Revenir aux fondements de la mission des Nations Unies, en particulier la sécurité collective, n’est pas à l’ordre du jour d’Istanbul.

Au contraire, placer les Nations Unies au cœur d’un système humanitaire international fait partie des objectifs principaux de ce 1er Sommet Mondial Humanitaire. Ceci sur le registre d’un consensus apparent puisque toute l’approche, organisée sur de longs mois à travers tous les continents, a permis de niveler les contradictions majeures afin de préserver la participation du plus grand nombre sur les principaux dénominateurs communs.

On retrouve ainsi la démarche initiée il y a une dizaine d’années dans le cadre de la Réforme Humanitaire de Nations Unies avec comme point d’orgue la Global Humanitarian Platform qui avait abouti en 2007 à la validation des Principes du Partenariat (2).

Alors sous quel angle allons-nous aborder la question du partenariat en mai à Istanbul ? Celui qui crée des liens de subordination, de prestation, de sous-traitance ? Ou bien celui qui met tous les partenaires au même niveau, chacun étant reconnu au titre de ses compétences et de sa valeur ajoutée, dans un esprit de complémentarité, et associé de l’évaluation conjointe à la mise en œuvre, avec le partage des succès comme des échecs ?

En 2006, une première grande réunion était organisée à Genève avec ce qui constituait pour les Nations Unies les trois piliers opérationnels de l’action humanitaire internationale : les ONG, le mouvement Croix-Rouge et Croissant-Rouge et les agences onusiennes.

Conviés trois années de suite à Genève, les participants avaient débattu en particulier de la mise en œuvre des clusters, du Central Emergency Revolving Fund (CERF) et de la formalisation d’un cadre de partenariat (3). Lors de la première Global Humanitarian Platform en 2006, seules deux ONG humanitaires d’origine française étaient présentes : MDM et ACF. Une lettre de MSF International avait été adressée officiellement, en réponse à l’invitation onusienne, pour indiquer qu’il ne pensait pas être à sa place dans ce type de grand rassemblement. Cette fois-ci, le secrétaire général de MSF International figurait parmi les intervenants de la session plénière d’octobre dernier lors de la consultation finale à Genève. Néanmoins, MSF vient d’annoncer récemment à travers la voix de Joanne Liu, la présidente internationale, son boycott du 1er Sommet Mondial Humanitaire. Les raisons de ce revirement sont liées en particulier aux « restrictions inacceptables de certains États à l’accès aux victimes dans des pays en guerre ou la faiblesse de leurs réponses dans des pays en crise sanitaire majeure ».

Les tensions entre acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux sont un élément constitutif du développement de l’action humanitaire internationale. Prévenir une assistance humanitaire grâce à une action de plaidoyer en amont efficace fait partie intégrante de la mission des organisations humanitaires. De même, questionner l’organisation du système international humanitaire est un enjeu majeur. La diversité des approches permet précisément une adaptation à chaque contexte pour cibler, le plus efficacement possible, les populations en difficulté, de façon impartiale.

On peut attendre des gouvernements et des Nations Unies qu’ils puissent faciliter le travail des organisations humanitaires par des réglementations adéquates et des fonds dédiés aux priorités humanitaires, plutôt que de vouloir eux-mêmes les mettre en œuvre.

En effet, ce sont les ONG nationales et internationales qui sont les plus proches des populations sur le terrain et qui, par ailleurs, n’ont pas vocation à gérer administrativement des crises ou à assurer des missions de sécurité.

Alors, pourrons-nous affirmer à Istanbul les complémentarités des différents acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux qui se retrouvent partie prenante dans les enjeux humanitaires de terrain ? Une complémentarité totalement orientée vers les populations les plus vulnérables, tout simplement parce que c’est en leur nom que toutes ces interventions sont justifiées et qu’elles doivent mobiliser le plus d’attention et de moyens.

 

(1) Communiqué du 11 mars 2016 du Secrétaire Général Adjoint des Nations Unies.

(2) Voir site ICVA

(3) Définition des « Principles of Partnership » lors de la réunion en 2007 à Genève de la Global Humanitarian Platform (GHP). Ces principes sont : Equality, Transparency, Results-Oriented Approach, Responsibility and Complementarity. Ces « PoP » sont appelés à servir de cadre directeur dont les agences humanitaires doivent tenir compte dans leurs activités.

Benoit Miribel

Benoît Miribel est Président d’Honneur d’ACF et directeur général de la Fondation Mérieux.

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