Reconstruire Port-au-Prince pour construire Haïti

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Assis sur un bureau provisoire dans une pièce sans fenêtre, le président René Préval semble dépassé par l’ampleur du séisme qui s’est abattu sur Haïti. «Les Haïtiens me reprochent de n’avoir pas su exprimer ma douleur, mais comment peuvent-ils imaginer que je ne sois pas sensible à un tel drame : plus de 220.000 morts ou disparus et près d’un million de sans abris?» s’interroge comme pour lui-même et le monde entier le président haïtien…

Comment ne pas être abasourdi par ces masses de bâtiments détruits et tous ces déplacés regroupés par milliers, au Champ de Mars, face au bidonville Cité de l’Eternel, comme dans beaucoup d’autre lieux encore ? Plus d’un mois après le choc du 12 janvier, l’émotion est encore bien présente à Port-au-Prince. Il y a ceux qui ont pu évacuer, ceux moins nombreux qui reviennent pour apporter leur soutien et enfin ceux qui n’ont jamais quitté Haïti.

Certains d’entre eux sont décidés à aller de l’avant. Parmi la classe dirigeante haïtienne, Leslie Voltaire, ancien ministre et actuellement représentant de Bill Clinton à Haïti, affiche ses plans. Des plans de développement  de la ville dont les premières versions, jamais mises en œuvre, remontent à 20 ans.

Pointant du doigt sur la carte, l’autoroute envisagée sur toute la baie pour désengorger Port-au-Prince, il énumère les aménagements urbains à prévoir pour une reconstruction cohérente de cette ville dépassée par sa population. Ce plan d’aménagement prévoit aussi une évolution des infrastructures routières à travers le pays pour désenclaver les régions.

A travers le séisme qui a frappé Port-au-Prince, c’est tout le pays qui pourrait bénéficier de la reconstruction de cette ville. On sent la volonté et la motivation de nombreux cadres haïtiens qui savent que tout doit être mis en œuvre dans cette phase de reconstruction pour ne pas risquer de sombrer davantage. Parmi eux, le Pr. Bill Pape est un rocher sur lequel on peut bâtir un programme santé ambitieux pour Haïti.

Fondateurs des centres Gheskio(1), Bill Pape et Marie-Marcelle Deschamps sont connus par tous les acteurs clés haïtiens dans leur combat pour la santé. Leur motivation et leurs compétences sont reconnues internationalement grâce notamment à leur lutte contre les maladies infectieuses, en particulier le sida et la tuberculose. Proche de l’association FOCAL dédié à l’action communautaire et sociale, et présidée par l’ancienne premier ministre Michelle Duvivier, l’union de ces deux grandes organisations haïtiennes pourrait servir de base à l’élaboration d’un programme «santé globale» pour Haïti.

Michelle, Bill, Marie-Marcelle et leurs partenaires haïtiens savent que les priorités sont multiples et qu’il faut les intégrer rapidement pour d’abord assurer la santé de tous ceux qui sont sans abris et délocalisés. Insalubrité, manque d’eau et d’hygiène, pauvreté accrue, dépendance alimentaire : toutes les plaies haïtiennes que  certains soignent depuis des années viennent de se rouvrir au grand jour.

On sent pour l’instant encore sur Port-au-Prince une sorte d’état de grâce au sein des habitants solidaires face à ce nouveau défi, mais pour combien de temps ? Les pluies viennent d’arriver et déjà les camps de déplacés prennent l’eau. Ceux de Cité de l’Eternel qui sont sortis de leur bidonville pour s’agglutiner sur un terrain de foot sont en train de s’embourber lentement. Mais, ils ne bougeront que pour un meilleur emplacement de vie, pas pour retourner dans la misère permanente de Cité de l’Eternel ou de Cité Soleil. Ces dizaines de milliers de déplacés rassemblés par camps dans différents lieux de Port-au-Prince sauront se servir de leur visibilité d’aujourd’hui pour ne plus sombrer dans l’oubli d’hier.

La marge de réussite est étroite car nombreux sont les risques d’échecs. Trop de dispersion de l’aide internationale peut nuire à l’efficacité. La «diversité» tant affirmée par les ONG doit être au service des besoins des haïtiens et en appui à leurs programmes prioritaires qui doivent être définis conjointement avec les partenaires internationaux. L’aide américaine s’est déjà fortement positionnée pour les grands chantiers de reconstruction.

Haïti a besoin de béton neuf mais surtout de la prise en compte de ces dizaines de milliers de déplacés qui vivent sans moyens pérennes dans la pauvreté et l’insalubrité. Si rien n’est fait pour ces extrêmement vulnérables et que parallèlement se signent à millions de dollars des contrats de reconstruction, une disparité grandissante deviendra le foyer d’une insécurité paralysante. Cette insécurité pourrait gangréner toutes les activités économiques et sociales du pays et Haïti sombrerait dans un nouveau chaos.

Afin de limiter ce risque, les acteurs internationaux de l’aide internationale doivent impérativement se concerter pour déterminer avec les haïtiens, leurs programmes prioritaires. C’est par une approche multisectorielle, concertée entre haïtiens et soutenue par la communauté internationale que l’on pourra voir se relever Port-au-Prince. Les dimensions sociales, économiques et sécuritaires devront être simultanément prises en compte lors de la  conférence des grands pays donateurs prévue le 21 mars prochain au siège des Nations-Unies à New-York.

Les spécialistes des situations de crise savent que face à un conflit ou une catastrophe, les populations concernées se retrouvent souvent dans un premier temps plus proches, touchées par le même destin et bien souvent soudées face à l’épreuve.

Cette proximité est précieuse car elle peut être fondatrice d’une nouvelle solidarité face à l’ampleur de la tache à conduire pour la reconstruction du pays. Que la communauté internationale soit vigilante dans la répartition de son aide et dans son soutien aux haïtiens afin de contribuer à une véritable reconstruction solidaire du pays et limiter les risques de disparités qui deviendraient un facteur aggravant de l’insécurité potentielle à Port-au-Prince.

Au-delà des moyens financiers et matériels indispensables à la reconstruction d’Haïti, la façon de les mettre en œuvre sera prépondérante, ici encore plus qu’ailleurs.

(1) GHESKIO : www.gheskio.org

Benoit Miribel

Benoît Miribel est Président d’Honneur d’ACF et directeur général de la Fondation Mérieux.

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