Afghanistan : la nouvelle stratégie à l’épreuve

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La conférence de Londres qui s’est clôturée le 28 janvier marque une évolution dans la stratégie de l’OTAN en Afghanistan. Si l’objectif poursuivi n’est toujours pas défini en toute clarté, on peut déceler cependant que la volonté des Etats-Unis, comme des autres membres de l’Alliance, est bien, un retrait à terme, avec l’espoir de laisser en place un gouvernement ami, associant éventuellement les «talibans modérés» et  contrôlant la situation.

Dans cette perspective, l’accroissement des effectifs de l’OTAN – 30.000 Américains auxquels s’ajouteraient en définitive 9.000 soldats alliés – devrait s’accompagner d’un renforcement des capacités de l’armée et de la police afghanes dont les effectifs passeraient, pour la première, de 100 à 171.000, pour la seconde, de 96 à 134.000.

De même une amélioration de son efficacité devrait être obtenue par une intensification des actions de formation. A l’effort militaire devrait être jointe une ouverture politique pour «gagner les esprits et les coeurs» et rallier les talibans modérés en leur offrant un emploi convenablement rémunéré et en les associant à la construction du nouvel Afghanistan. Le président Karzaï convoquera un conseil tribal élargi – la Loya Jirga, pour parler des perspectives de paix.

Dans le même temps les Etats-Unis ont fermement rappelé à l’ordre les autorités pakistanaises en leur demandant une coopération  plus étroite avec les forces de l’OTAN.

Cette stratégie avalisée par le président Obama après de nombreux mois de réflexion a été de  fait communiquée, sans véritable concertation préalable, à ses partenaires de l’OTAN auxquels il a demandé appui et renforts militaires.

Il s’agit d’un compromis négocié au sein de l’administration américaine et qui a essayé de concilier préoccupations de politique intérieure et nécessités militaires. Si son élaboration a été laborieuse, sa mise en oeuvre sur le terrain frappe par sa rapidité.

Il est naturellement trop tôt pour en apprécier les résultats. Cependant, d’ores et déjà, elle appelle plusieurs commentaires.

L’offensive déclenchée dans la province du Helmand le 13 février, baptisée «Mushtarak» soit «Ensemble» en langue darie, est  sans doute parmi les plus importantes, tant par les moyens mis en œuvre – 15.000 combattants – que par  une participation inédite de l’Armée Nationale Afghane, aux opérations,  à hauteur de 2.500 hommes.

Le bilan des pertes côté talibans reste pour l’instant modeste, ceux-ci préférant le harcèlement à l’affrontement direct des troupes engagées. La résistance sur le terrain est cependant, malgré la disproportion des effectifs,  plus forte que prévue, notamment en milieu urbain. Cette opération fortement médiatisée semble ainsi poursuivre une finalité plus politique que militaire : il s’agit essentiellement d’afficher sa force et la bonne coopération entre l’Alliance et l’ANA, à laquelle on a laissé le soin de hisser le drapeau afghan sur les bâtiments publics de la ville reconquise de Marjah.

Le Pakistan, après les visites successives d’Hillary Clinton et de Robert Gates, affiche un appui nettement plus actif à l’Alliance que par le passé, tout en excluant une offensive contre les talibans afghans qui se trouvent dans la zone tribale du Waziristan Nord. Mais il entend bien réaffirmer ses intérêts en Afghanistan.

A cet égard la conférence de presse tenue par le chef d’état-major, le général Kayani le 1er février à Islamabad, est sans ambiguïté. «Le Pakistan a des intérêts stratégiques à long terme et entend bien les conserver».

Cette affirmation intervient à un moment où l’Inde multiplie ouverture de consulats dans le pays et apporte aide humanitaire et financements pour réaliser des projets de développement. Cet activisme inquiète les autorités pakistanaises, dont «l’obsession indienne» reste prioritaire. Le général Kayani peut faire valoir, d’ores et déjà, deux succès majeurs à quelques jours d’intervalle.

En effet, l’attitude plus coopérative de l’armée pakistanaise, notamment des services de renseignements – l’ISI – qui associe à ses opérations la CIA, a déjà produit des résultats : la mort confirmée d’Hakimullah Mehsud, chef du Tarik-i-taliban, mouvement des talibans pakistanais, et l’arrestation dans un faubourg de Karachi, du mollah Abdul Ghani Baradar, numéro 2 et chef militaire des talibans afghans.

La négociation avec les talibans modérés, si tant est qu’ils existent, peine à s’engager sérieusement. Certes des contacts ont déjà eu lieu, notamment à Dubaï, mais ils semblent au point mort. L’Arabie saoudite, sollicitée, ne souhaite pas s’impliquer dans un tel processus. Le Pakistan pourrait être un intermédiaire valable mais il est suspect, sa distinction entre «bons» et «mauvais» talibans étant appréciée en fonction de ses propres intérêts.

Ces éléments, qui peuvent avoir un effet favorable sur l’évolution de  la situation, ne doivent pas faire oublier l’ampleur des problèmes auxquels font face le gouvernement Karzaï et l’Alliance et les données de base qui restent préoccupantes.

Le président Karzaï, après le fiasco de l’élection présidentielle, a perdu en crédibilité malgré la refonte d’une équipe plus présentable. Son principal rival, Abdullah Abdullah, reste en position de retrait et de contestation. Sa tournée européenne en cours confirme sa volonté d’apparaître comme une alternative crédible. A l’inefficacité gouvernementale, à quelques ministres près, s’ajoute la défaillance des structures administratives locales, avec des gouverneurs sans effectifs et sans moyens financiers.

La lutte contre la corruption est plus un slogan récupéré par les autorités qu’une réalité efficace. Il en est de même des tentatives de faire régresser la culture du pavot, dont l’Afghanistan reste le premier producteur mondial d’opium qui est acheminé, pour l’essentiel, vers les marchés moyen-orientaux et européens ;

L’image des troupes de l’OTAN assimilées à des forces d’occupation reste ternie par les dommages collatéraux à répétition, inhérents à tout conflit asymétrique et à l’utilisation intempestive de frappes aériennes, notamment par drones. Les excuses du général McChrystal ne suffisent pas à  atténuer leur impopularité et le réflexe de rejet spontané de la population à leur égard.

L’influence des talibans s’étend maintenant sur une large partie du territoire afghan, y compris dans le nord,  provoquant un climat d’insécurité croissante.

Les progrès vers une meilleure coordination de l’aide et du renforcement de son efficacité, régulièrement évoqués, restent du domaine des vœux pieux.

Le consensus  international sur la question afghane demeure problématique. L’Afghanistan est un champ clos où s’affrontent pays voisins ou proches, qu’il s’agisse de l’Iran, du Pakistan, de l’Inde, voire des républiques ex-soviétiques de l’Asie centrale.

Les opinions publiques des pays qui ont engagé des troupes sont de plus en plus critiques. Elles ne comprennent ni les enjeux, ni l’intérêt de poursuivre une guerre impopulaire dont on ne voit pas la fin. L’engagement de troupes en Afghanistan est devenu, notamment en Allemagne, au Canada et aux Pays Bas, un problème de politique intérieure pouvant déboucher sur des crises gouvernementales, comme en témoigne la démission récente du gouvernement néerlandais.

En fait l’Afghanistan reste fondamentalement ce qu’il a toujours été : un pays où seigneurs de la guerre et chefs tribaux affirment leur pouvoir, s’opposent ou s’allient au gré des circonstances. Le pouvoir central y reste structurellement faible et la population essaie de vivre, voire de survivre, au milieu de turbulences et de violences dont elles sont les principales victimes.

Ainsi pour les pays de l’OTAN, la question reste inchangée. Comment se retirer  en évitant que l’Afghanistan ne devienne à nouveau un refuge des mouvements radicaux qui retrouveraient ainsi une base à la fois de repli, d’entraînement et de projection pour des actions terroristes menaçant  pays voisins ou lointains ?

Lors d’un récent colloque tenu à Paris à l’initiative de la Fondation Jean Jaurès, Hubert Védrine estimait qu’il fallait «rester pour des raisons de vigilance aussi longtemps que nécessaire». Est-ce que cet objectif pourra encore être longtemps accepté par des opinions qui acceptent de moins en moins le coût financier et humain d’un engagement militaire incertain ? Telle est en effet la  question  fondamentale. Une seule chose est certaine : l’année 2010 s’annonce difficile.

(Publié le 26 février 2010)

Denis Bauchard

Denis Bauchard

Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001).

Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.

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Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001). Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.