Kenya : Le problème des excréments humains dans les bidonvilles

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L’odeur des déjections humaines est insupportable dans les latrines qui se trouvent derrière la maison de Nancy Anyango, à Manyatta, un bidonville tentaculaire de la ville de Kisumu, à l’ouest du Kenya. Non loin de là, des ordures se sont amoncelées entre les longues rangées de cahutes. De loin, on entend le bourdonnement des mouches.

Ces fosses à ciel ouvert accentuent le risque de maladies. Elles représentent également un danger physique pour les enfants. Il y a à peine deux mois, Mme Anyango a perdu son fils de trois ans, tombé dans l’une d’entre elles alors qu’il jouait avec d’autres enfants.

« Ces ordures dégagent une odeur puante et, lorsqu’il pleut, elles envahissent nos maisons et nous sommes obligés de déménager. En plus, nos enfants sont en danger, car ils jouent au milieu des déchets », a dit Mme Anyango à IRIN.

Selon les autorités locales, le bidonville compte 45 000 habitants et seulement 30 latrines. La plupart des habitants choisissent donc de se soulager dehors, d’autant plus que l’usage de ces latrines est payant.

« Un habitant d’un bidonville aussi pauvre que moi doit faire un choix. Je ne peux pas dépenser 10 shillings kenyans (0,12 dollar) tous les jours pour aller aux toilettes alors que cet argent peut me permettre d’acheter un jerrycan d’eau pour me laver ou faire la lessive », a dit Walter Opicha, un habitant du bidonville.

À Kibera — sans doute le plus grand bidonville du pays — qui se situe dans la capitale, Nairobi, les conduites d’égout à ciel ouvert rejettent les effluents devant les habitations. Faire ses besoins dans des sacs plastiques que l’on jette n’importe où est monnaie courante. Ces sacs, appelés « toilettes volantes », sont parfois simplement lancés au loin.

En 2009, on recensait 170 000 habitants à Kibera. Or, d’après la municipalité de Nairobi, le bidonville ne compte que 1 000 toilettes publiques.

De nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) construisent des latrines. En mars 2012, l’ONG Sanergy a installé 20 latrines collectives dans les bidonvilles kenyans. Ces efforts sont cependant minimes en regard de l’ampleur des besoins.

Selon Amnesty International, les bidonvilles de Nairobi comptent une latrine pour 50 à 150 personnes. De nuit, le risque de viol est élevé pour les femmes qui utiliseraient ces latrines.

« Peu de toilettes sont construites et nous sommes très nombreux à Kibera. Les gens continuent de se soulager à l’extérieur ou, chez eux, dans des sacs plastiques qu’ils jettent dehors. Parfois, ces sacs atterrissent sur le toit de leurs voisins », a dit à IRIN Allan Obonyo, un habitant du bidonville.

« Même si vous vouliez utiliser ces toilettes, vous ne pouvez pas le faire de nuit, car vous risquez d’être frappé par des voyous ou, si vous êtes une femme, d’être violée », a-t-il ajouté.

Les mauvaises conditions d’hygiène contribuent aux épidémies de diarrhée, maladie qui tue un enfant sur cinq en Afrique.

Selon le Centre de recherche sur la population africaine et la santé, 40 pour cent des enfants de moins de trois ans de Kibera sont atteints de diarrhée, soit une prévalence trois fois supérieure à celle du reste de la capitale.

L’accès à l’eau potable est lui aussi insuffisant. Selon le recensement de 2009, seulement 38 pour cent des zones urbaines disposaient de systèmes d’eau courante.

Ces conditions sont communes. Au Kenya, entre 60 et 80 pour cent de la population urbaine vit dans un bidonville. À Nairobi, les établissements informels couvrent seulement six pour cent de la surface résidentielle totale, mais abritent 60 pour cent de la population de la ville.

Selon les analystes, l’accroissement démographique urbain et l’absence d’aménagement du territoire proprement dit sont les principaux responsables.

« La population migre vers les villes pour trouver du travail. Cela ajoute une pression supplémentaire sur des infrastructures déjà surchargées, notamment dans les zones résidentielles, et le gouvernement est pris au dépourvu et semble impuissant », a dit à IRIN Collins Asweto, expert en santé publique de l’université des Grands Lacs.

La plupart des bidonvilles sont illégaux. Ce qui, selon les experts, sert d’excuse au gouvernement pour ignorer le problème.

« Les bidonvilles poussent sans aucune autorisation du gouvernement, qui affirme ne pas pouvoir fournir de services dans un lieu qui n’existe pas. Là est tout le paradoxe », a dit à IRIN Aggrey Nyange, maître de conférence en urbanisme à l’université de Nairobi.

Par ailleurs, d’éventuelles initiatives visant à offrir des services de première nécessité aux habitants des bidonvilles pourraient conduire à des démolitions ou des expulsions.

« Même dans les établissements informels actuels, des démolitions seront inévitables pour que ces services puissent être mis en place, car comment installer des conduites d’égout à Kibera autrement ? Il n’y a pas assez de place », a dit M. Nyange.

La surpopulation entrave l’accès aux bidonvilles, ont dit de hauts fonctionnaires à IRIN.

« Les camions de ramassage des ordures ne peuvent pas passer dans la plupart de ces bidonvilles, car les allées sont trop étroites. Certaines personnes ont en outre construit leur maison sur des conduites d’égout, ce qui empêche pratiquement de faire quoi que ce soit lorsque ces canalisations sont bouchées », a dit Patrick Odongo, responsable de l’aménagement du territoire de la municipalité de Nairobi.

Un changement radical est nécessaire pour que le Kenya atteigne son objectif de diviser par deux le nombre de personnes sans accès à des installations sanitaires d’ici 2015.

« Transformer les bidonvilles kenyans nécessite une réelle volonté politique. Pour commencer, le gouvernement doit contraindre les propriétaires à construire des installations sanitaires dans les bidonvilles avant qu’aucune cabane ne puisse y être installée, » a dit M. Nyange.

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