En 2001, les promoteurs de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ont eu pour ambition d’améliorer l’efficacité de l’action publique et de renforcer le rôle du Parlement en matière budgétaire. En 2005, c’est-à-dire quelques mois avant le premier budget piloté sous l’empire de la LOLF, les responsables du 2ème groupe de travail de la Conférence Nationale de la Vie Associative se sont voulu rassurants en affirmant que « la LOLF ne constitue pas une menace pour la pérennité des relations contractuelles entre l’Etat et les associations » (1). Il est vrai que la pérennité des relations dépend avant tout du rôle qu’entend donner l’Etat aux partenaires privés, ainsi que de sa capacité contributive, et non d’une loi organique. Néanmoins, pour les associations subventionnées, la LOLF, en raison des contraintes techniques qu’elle impose à la gestion directe mais aussi indirecte des deniers publics, allait nécessairement toucher à leurs ressources voire à leur indépendance.
Si les craintes en matière de perte d’indépendance sont infondées, il n’en demeure pas moins que la LOLF entraîne des conséquences sur l’affichage des relations Etat/Organisations non gouvernementales (ONG).
La culture de performance, voulue par les promoteurs de la LOLF, a pu légitimement faire craindre à des ONG une perte de leur indépendance.
La loi de finances accompagnée de ses annexes, modélisée par la LOLF, met en avant des politiques publiques tout en précisant les orientations stratégiques, les objectifs et les indicateurs associés. Parce que la culture de résultat née de la LOLF oblige à l’exhaustivité, impose la précision et les justifications au premier euro, et donc la traçabilité s’agissant de la destination des crédits, il allait de soi que les acteurs subventionnés seraient amenés à définir clairement leurs actions par rapport à une politique publique donnée. En effet, les ONG pour obtenir satisfaction – ces subventions, sont invitées à montrer dans quelle mesure leurs orientations correspondent à celles prises par l’Etat : « Les associations dont les actions concordent avec les politiques publiques peuvent faire une demande de subvention » (…) si leurs actions « s’inscrivent dans la réalisation d’un programme et, plus précisément, d’une action déterminée (…). »(2)
S’il en est ainsi des orientations des associations, il n’en va pas autrement de leur gestion voire de leur organisation. En effet, les associations en recherche de subventions sont invitées cette fois à coller aux principes lolfiens en adoptant le triptyque des objectifs socio-économiques, financiers et qualitatifs, autrement dit tenir compte respectivement des attentes du citoyen, du contribuable et de l’usager (3). Parce que le Diable se cache parfois dans les détails, d’aucuns ont vu, dans cette culture des objectifs et indicateurs de performance, un moyen technique d’une maîtrise effective de l’Etat sur les missions et la gestion des ONG.
Mais pour autant, peut-on réellement soutenir que les ONG subventionnées perdent de leur indépendance?
En pratique, la LOLF ne réduit pas l’indépendance des ONG subventionnées
Crier haro sur l’Etat, revient à faire fi des intentions des promoteurs de la LOLF, qui, parlementaires de droite comme de gauche, n’ont jamais eu l’intention de corseter les associations. C’est également ignorer le rôle qu’aujourd’hui l’on veut faire jouer à l’Etat, rôle qui est notamment mentionné dans « Les Jaunes »:« La politique de développement de la vie associative illustre un rôle moderne de l’Etat qui labellise, habilite, dispense un conseil expert, accompagne, contrôle, évalue et met en œuvre des actions d’amélioration du contexte dans lequel évoluent les associations (…) (4)».
Quant au Diable, il ne manipule pas seul la calculette des indicateurs dans le sombre dessein de rompre l’équilibre des partenariats Etat/ONG : l’Etat est amené avec « les associations à déterminer les modalités d’évaluation de l’action associative avec les objectifs et les indicateurs du programme budgétaire (5)». Même lorsqu’il s’agit de l’urgence, le Fonds Humanitaire d’Urgence (FHU) « finance majoritairement des projets présentés et mis en oeuvre par des ONG ainsi que l’aide en nature directe apportée par la France en cas de crise (6)», étant rappelé ainsi au passage qu’une demande de subvention constitue une initiative de l’association et que l’Etat par principe n’en espère aucune contrepartie directe.
A ce stade, il n’est pas inutile non plus de souligner que la contractualisation des relations Etat/ONG n’a pas attendu la LOLF pour fleurir et que la loi du 12 avril 2000 déjà prévoyait que « (…) lorsque la subvention est affectée à une dépense déterminée »(…), « l’organisme de droit privé bénéficiaire doit produire un compte rendu financier qui atteste de la conformité des dépenses effectuées à l’objet de la subvention (7). »
Et puis en tout état de cause, si d’aventure l’Etat s’égarait dans un partenariat trop étroit, les juges sauraient lui rappeler que la LOLF n’enlève rien au droit qui protège les entités privées et, qu’à ce titre, il lui est fait obligation de ne pas nuire au caractère privé et autonome des associations (8), y compris lorsque ces dernières sont Reconnues d’Utilité Publique (RUP) comme beaucoup d’ONG humanitaires.
Si le Grand Soir des ONG n’a pas surgi de la LOLF, le problème n’est-il pas lié au fait que la transparence voulue par les promoteurs de la LOLF peut affecter les ONG habituées à une certaine forme de discrétion quant à leurs relations avec l’Etat ?
La transparence, voulue par les promoteurs de la LOLF, oblige certaines ONG à plus de pédagogie
Les ONG sont prudentes, parfois discrètes, dans l’affichage de leurs relations avec l’Etat. Les ONG, comme Solidarités international par exemple, prônant dans leur charte les vertus de l’indépendance, se veulent rassurantes: « Les financements (institutionnels) sont alloués à des opérations identifiées par l’association, sur la base d’évaluations de besoins, conduites par nos équipes sur le terrain, et en fonction d’objectifs précis, définis et vérifiables (9)».
Si comme l’Etat, les ONG prennent le soin de réaffirmer que chacun reste à sa place, oubliant parfois un peu vite le rôle des correspondants humanitaires, des ambassades et les discussions avec le Centre de crise en matière d’évaluation des besoins et des résultats, il n’en demeure pas moins que la transparence voulue par les promoteurs de la LOLF les obligent à se positionner de manière encore plus visible par rapport à des politiques publiques. On peut se demander alors si, plus qu’une crainte de perte d’indépendance, ce n’est pas cet effort d’affichage qui gène certaines associations? En effet, au-delà des discours vagues sur le ratio argent public/argent privé pour déterminer un ratio d’indépendance des ONG, la LOLF en promouvant des éléments précis dans les lois de finances, n’oblige-t-elle l’ONG à son tour à mieux expliquer à ceux qui sont concernés par son action de quelle manière elle adhère à telle ou telle politique, c’est-à-dire quelle est la nature de la communauté d’intérêt qui la lie à l’Etat ?
Le sujet concerne notamment des ONG humanitaires qui, subventionnées sur le Fond d’urgence humanitaire, traitent l’urgence à l’international dans des zones à forte insécurité. S’il leur est sûrement facile de justifier leur adhésion à la stratégie de la France quand cette dernière affirme qu’elle « doit pouvoir répondre aux situations de crise et de sortie de crise, en allouant rapidement des moyens humains et financiers adaptés aux besoins urgents des populations touchées (10)», il leur est moins aisé de reconnaître que leurs opérations humanitaires s’inscrivent dans « un des volets de l’action diplomatique de la France (11)». Et ce d’autant plus, si l’on souligne à nouveau que, contrairement aux marchés publics, les demandes de subventions relèvent de l’initiative des associations.
Plus que comme prestataire, l’ONG peut apparaître comme porteuse de la politique de l’Etat, au moins s’agissant d’un projet projet donné. C’est ce que pourrait en déduire le quidam à la lecture des « Jaunes (12)», le quidam, outre le député, pouvant être le citoyen, le militant de l’association, le destinataire de l’aide de l’ONG dans un pays donné voire un détracteur de la diplomatie française. Les sujets de discussion ne manquent pas, citons-en quelques-uns tirés des « Jaunes »: ONG Solidarités: « 450 000 euros demandés le 3 août 2011 pour une aide d’urgence aux populations affectées par la sècheresse dans les districts de Dobley et d’Afmadow, région du Bas-Djouba, Somalie du Sud »; Secours catholique: « aide (le 17 mars 2011) d’urgence aux déplacés et populations hôtes à l’Ouest de la Côte d’Ivoire »; Secours islamique d’Ile de France: « le 23 mars 2011 dans le cadre de la procédure d’urgence, 80 000 euros pour améliorer les conditions de vie des réfugiés en provenance de Libye, suite à l’insurrection du 13/02/2011 et localisés dans le camp de Choucha en Tunisie ».
Et que dire à ses mandants soucieux d’indépendance – voire sourcilleux- , lorsque l’ONG est la première ONG en termes de projets financés par le MAE (2010: Solidarités International: 6 projets, 930 K€; Handicap International: 5 projets, 867 K€; Acted: 4 projets, 712 K€ (13)? Ou encore quand l’ONG voit son projet évalué dans le cadre d’un Fonds de Solidarité Prioritaire (FSP) du Ministère des affaires étrangères, comme c’est le cas par exemple du Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement (CCFD) qui a disposé de 45 000 euros pour le « Renforcement réseau de l’économie solidaire, appui fonds coopératif-Laos? »(14)
La LOLF rend visible tout rapprochement qui de ce fait, d’une manière ou d’une autre, doit être assumé. Mais quel est le meilleur moyen d’adhérer à une stratégie si ce n’est d’en écrire une partie?
Les ONG subventionnées ont intérêt à afficher le résultat de leur politique d’influence sur l’Etat,
voire de renforcer cette dernière
Si l’Etat se félicite de ses partenariats, les associations avancent dans ce domaine à petits pas. Cela dit, rares désormais sont celles qui postulent que l’argent d’un l’Etat de droit, dès qu’il passe la frontière, devient inéluctablement celui de la Raison d’Etat. Certes, cela est dû au fait qu’une part de cet argent passe entre leurs mains, mais c’est aussi lié à l’appréciation que les ONG portent sur le résultat de leur politique d’influence sur l’Etat, via des instruments comme « Coordination Sud (15)», grâce à la sensibilité de certains ministres, en raison de leur profil, à des sujets humanitaires (16), ou encore aux contacts réguliers entre agents de l’Etat et responsables et salariés des ONG.
Les ONG, se voulant influentes, peuvent en effet mettre en avant le fait que « la stratégie humanitaire de la République française » de 2012 à 2017 (…) a été « « élaboré(e) en concertation avec des représentants du monde associatifs (…) (17)» et que « le CDC (Centre de crise) assure (…) qu’il soutient, la mise en œuvre des principes fondamentaux de l’action humanitaire que sont l’humanité, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance (18)», même s’il convient de se demander ce que signifie « neutralité » de la France sur la scène diplomatique. Les ONG peuvent également souligner la reconnaissance de leur professionnalisme par l’Etat: « le CDC a noué un partenariat étroit avec les ONG françaises, détentrices d’un large éventail de compétences et d’une expertise reconnue (19) ».
Si l’on rajoute que « Le FUH, (…) se caractérise par une grande souplesse – voulue notamment par les ONG – qui lui permet de réagir rapidement et efficacement face à l’émergence de nouvelles priorités tout en conservant une capacité de financement pour des actions traditionnelles (20)», on en arrive à paraphraser Gilles Jeannot pour qualifier les résultats de la politique d’influence des ONG sur l’action de l’Etat : le Centre de crise a repris des principes inscrits dans des chartes des ONG qu’il a « dilués dans une routine bureaucratique »; il est une « administration qui intègre les méthodes d’intervention promues dans le monde associatif (21)».
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La LOLF n’a pas eu les effets négatifs redoutés par les ONG subventionnées. En revanche, du fait de la transparence qu’elle promeut, elle oblige à plus de pédagogie en matière de relations Etat/ONG, étant rappelé qu’il est plus aisé pour les ONG d’afficher un partenariat autour d’une stratégie d’Etat lorsqu’elles ont tenté de la façonner en profitant d’un contexte libéral favorable à l’externalisation de l’action de l’Etat.
Cela dit, les choses pourraient changer en matière de pilotage de la performance et donc en termes de conséquences sur les associations. En effet, l’Etat, à juste titre, s’interroge sur le rôle des opérateurs, notamment sur leur dispersion et leur efficience présupposée. En outre, la Cour des comptes, qui a souligné la qualité des outils offerts par la LOLF, a regretté « La place limitée qu’occupe l’analyse des résultats dans les débats parlementaires, et le faible recours aux 894 indicateurs de performances présentés dans les documents budgétaires (qui) aboutissent immanquablement à laisser en friche certaines des possibilités les plus novatrices de la LOLF (22)».
Les évaluations des résultats devraient donc légitimement se raffermir, y compris celles dédiées à l’urgence et ce grâce aussi à la professionnalisation croissante du Centre de crise (23). Tout cela au nom de l’intérêt supérieur du contribuable, sourcilleux aujourd’hui face aux efforts demandés à chacun. De là à dire que les détracteurs de la LOLF ont eu raison trop tôt est un pas que nous ne nous risquerons pas de franchir.
(1) COLLINET, Jean-François BACHSCHMIDT, Philippe. La consolidation des relations contractuelles entre les pouvoirs publics et les associations, Rapport du groupe de travail N°2. In: CONFERENCE NATIONALE DELA VIE ASSOCIATIVE (mai 2005). P.2.
(2) RAYNAUT, Jean-Marie, AÏM-TUIL, Aurélie. Guide LOLF à l’usage des associations. Paris : Ministère des sports, dela Jeunesse, de l’Education populaire et de la Vie associative, 2007, p.13.
(3) 0p.cit.,p.15
(4) REPUBLIQUE FRANCAISE. Effort financier de l’Etat en faveur des associations. Annexe au Projet de Loi de finances pour 2013, Tome 1, p.7.
(5) RAYNAUT, Jean-Marie, AÏM-TUIL, Aurélie. Guide LOLF à l’usage des associations. Paris: Ministère des sports, de la Jeunesse, de l’Education populaire et de la Vie associative, 2007, p.15.
(6) MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES. Stratégie humanitaire de la République française. Paris: 6 juillet 2012, p.9.
(7) Article 10 dela Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
(8) Avis CE sect. Interieur 25 9 79 N°325560: M. Pomey, ECDE 1980-1981 N°32 p. 132
(9) Disponible ici .(Consulté le 20 décembre 2012)
(10) REPUBLIQUE FRANCAISE. Aide au développement. Mission interministérielle, Projets annuels de performances, Annexe au projet de loi de finances pour 2013, p. 8.
(11) MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES. Stratégie humanitaire de la République française. Paris: 6 juillet 2012, p.2.
(12) REPUBLIQUE FRANCAISE. Effort financier de l’Etat en faveur des associations. Annexe au Projet de Loi de finances pour 2013, Tome 1, p.28-29.
(13) CENTRE DE CRISE. Rapport d’activité sur l’action humanitaire d’urgence 2011. Paris: Ministère des Affaires Etrangères et Européennes, p.33.
(14) REPUBLIQUE FRANCAISE. Effort financier de l’Etat en faveur des associations. Annexe au Projet de Loi de finances pour 2013, Tome 1, p.23.
(15) http://www.coordinationsud.org/coordination-sud/missions-et-objectifs/
(16) SERBA, Jacques. Pour améliorer les relations Etat français/ONG humanitaires : tête-à-tête ou « Grenelle »?
(17) MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES. Stratégie humanitaire de la République française. Paris: 6 juillet 2012, p.3.
(18) CENTRE DE CRISE. Rapport d’activité sur l’action humanitaire d’urgence 2011. Paris: Ministère des Affaires Etrangères et Européennes, p.7.
(19) MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES. Stratégie humanitaire de la République française. Paris: 6 juillet 2012, p.16.
(20) Ibid.,p.20
(21) JEANNOT, Gilles. Les associations, L’Etat et la théorie de l’Institution de Maurice Hauriou. Les annales de la Recherche urbaine, N°89, juin 2011, P. 19-22. . P. 8-9
(22) COUR DES COMPTES. La mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Paris: Cour des comptes, novembre 2011,p.197.
(23) MOSTURA, Serge. Audition du Directeur du Centre de crise du Ministère des affaires étrangères et européennes. In: COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES DU SENAT (Compte rendu N°20, 23 novembre 2011, séance de 10H30).