Servir au mieux la diplomatie française

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Pierrick Le Jeune, maître de conférence en science politique à l’Université de Bretagne 0ccidentale (UBO) et chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et Jacques Serba, chercheur associé à l’IRIS signent cette analyse pour Grotius International.

Si la diplomatie française est l’une des plus dynamiques, les politiques successives des gouvernements ont néanmoins conduit à des critiques s’agissant de sa notoriété voire de son efficacité.

La source de ces critiques est à rechercher notamment dans les propos de ceux qui craignent une certaine forme de « privatisation » des activités diplomatiques (ici entendue au sens large : diplomatiques, consulaires, coopération et développement).

Les ambassades avaient une certaine allure après la réforme de 1999. Cette réforme était logique et bien conçue. Bien que la répartition de compétences des nouveaux acteurs (Ministère des Affaires Etrangères et Agence Française de Développement) n’était pas définitivement fixée, l’économie générale de la réforme était bien dessinée. Voici que depuis 2004, sous prétexte de rationalisation, d’économies et d’achèvement de la réforme, on est revenu sur l’architecture de la réforme de 1999 en adoptant de nouvelles tendances.

L’une des nouvelles tendances est de faire glisser des activités opérationnelles vers des « agences », Campus France, UbiFrance, France Expertise Internationale, Agence Française de Développement ou encore Institut Français, qui sont créées ou transformées sous la forme d’Etablissements Publics Industriels et Commerciaux (EPIC). L’Etat est le seul à participer au conseil d’administration de l’EPIC, il détient seul le capital de la structure et on assure que la privatisation n’est pas envisagée. Mais quelles sont les garanties qu’il en soit toujours ainsi, regrettent les détracteurs des dernières évolutions, en rappelant les précédents des privatisations de ce type d’établissements[1] ?

En outre, si les mécanismes mis en œuvre sont classiques, ils font également l’objet de critiques.

Les agents publics rémunérés sur le budget de l’Etat deviennent des personnels détachés (fonctionnaires) ou se verront proposer un contrat de droit privé (non fonctionnaires). L’Etat alimente en dons et subventions ces agences qui ont des règles de gestion de leurs activités proches de celles des entreprises privées (personnel généralement sous statut de droit privé, règles de gestion financières et comptables, soumission au droit commercial, etc.). D’une certaine manière, il y a transformation d’argent public en argent privé puisque ces EPIC sont assimilés à des entreprises (avec cependant il est vrai quelques caractères particuliers notamment parce qu’ils sont chargés d’une mission de service public) et sont donc sensés commercialiser des prestations, des produits contre un prix. L’affectation d’agents par détachement ou encore davantage dans le cas d’une mise à disposition est donc également vue, dans une certaine mesure, comme une transformation de ressource publique au sens large en ressource privée. En d’autres termes, pour beaucoup, la recherche de souplesse s’assimile en fait  à une forme de privatisation.

Certes, le transfert d’activités et d’agents vers des acteurs considérés comme « privés » présente l’avantage de réduire le nombre d’agents dans les structures étatiques (les établissements publics sont des organismes décentralisés avec une autonomie administrative et financière) et de répondre ainsi à l’exigence de la révision générale des politiques publiques (RGPP) de réduction du nombre de fonctionnaires. Mais il existe une face moins visible de cette opération : les fonctionnaires ou les agents privés sont ou seront toujours indirectement à la charge de l’Etat (directement ou par des subventions versées aux organismes) ; la prestation de service peut être plus chère à long terme et moins satisfaisante que l’exercice direct de l’activité.

Une autre nouvelle tendance, l’externalisation, peut être illustrée par l’activité des services des visas dans les consulats. Désormais, dans bon nombre de postes consulaires, la délivrance des visas, prérogative ô combien régalienne, a été réformée dans un souci d’efficacité et de rationalisation du travail fourni. La performance recherchée est rapportée à des indicateurs cohérents mais dont certains se demandent s’ils sont bien adaptés[2]. Pour demander un visa, il faut se rendre auprès d’un prestataire de services qui filtre les dossiers afin d’éviter les dossiers incomplets. Le dossier est ensuite transmis au service des visas qui accorde ou non le visa, le dossier étant alors récupéré auprès du prestataire par le demandeur. Si tout cela répond à la logique de la RGPP et son volet relatif à la réduction du nombre d’agents dans les consulats (notamment des agents recrutés localement pour accueillir le public), on peut s’interroger, d’une part, sur le fait que le surcoût lié au nouvel intermédiaire soit répercuté non pas sur le budget du consulat (pas totalement en tout cas) mais sur le demandeur ( le coût du visa augmente ipso facto de 50 % ) et, d’autre part, sur l’atténuation du concept d’Administration centrée-usagers – concept pourtant structurant des administrations – en supprimant tout contact direct avec l’usager. En outre, quid de la possibilité d’accorder un visa sur d’autres critères que ceux à caractère purement administratif ? Quid des critères de confidentialité nécessaires pour une activité par essence régalienne ?  Faut-il sur ce sujet suivre les pratiques des autres pays souvent adoptées au titre du « benchmarking » ?

La recherche d’économies est compréhensible, plus particulièrement à un moment où les finances publiques sont contraintes. Mais, si, les nouvelles tendances, y compris le mécénat et plus largement le partenariat public-privé (PPP), peuvent répondre aux besoins de financement et de souplesse dans la gestion financière et des ressources humaines, sont-ils pour autant les meilleurs outils pour répondre aux exigences conjuguées de la diplomatie, de la performance, de l’efficience et des principes du service public (en particulier les principes d’égalité et de gratuité) et de la fonction publique ? Ne conviendrait-il pas de faire un point d’étape sur la « modernisation » afin de déterminer les meilleures formules pour servir la notoriété et l’efficacité de notre diplomatie et ce, en revisitant également à cette occasion les notions d’Etablissement Public Administratif  et « d’Agence de Service Public  [3]».

[1]  Comme par exemple la SNCF, Aéroports de Paris, ou encore l’exploitant autonome de droit public France Telecom.
[2] Cf PLF2012 programme 151 p. 174 et s. Action 3 Visas. « Indicateur 1.1 Délais de traitement des documents administratifs et des demandes de titres point 5:
Le « délai moyen de délivrance des visas de court séjour » correspond à la moyenne des délais de délivrance des visas de court séjour qui ne nécessitent pas de consultation préalable (administration centrale, ministère de l’Intérieur ou partenaires Schengen) établis dans l’ensemble des représentations consulaires françaises dans le monde. Ce délai est mesuré entre la date de dépôt de la demande et la date d’édition de la vignette visa. Les délais de traitement des demandes de visas qui aboutissent à un refus ne sont pas pris en compte dans cette moyenne ; en effet, à ce jour, aucun outil ne permet de mesurer le délai écoulé entre le dépôt d’une demande de visa et la notification de refus au demandeur.
« Indicateur 1.2 : Coût par type de document point 6: Instruction d’une demande de visa (réseau) : cet indicateur (en charges de personnel uniquement) correspond à la moyenne pondérée des coûts observés dans les postes pilotes du contrôle de gestion. Il n’intègre pas les coûts d’administration centrale.
Rappelons encore que le coût du visa présenté n’intègre ni les charges induites par le passage à la biométrie ni celles versées par le programme 105 en comptabilité d’analyse des coûts (gaz, immobilier, mobilier, électricité, fournitures etc.). Les nombreuses incertitudes entourant l’évolution du nombre de demandes de visas adressées aux postes du réseau consulaires ont justifié le maintien à 19-20 € de la cible 2013 de l’indicateur 1.2.6. »
[3] Pour reprendre la formule d’ Yves Doutriaux et Thierry Le Roy évoquée sur http://www.senat.fr/rap/r08-458/r08-45818.html

Jacques Serba

Jacques Serba

Jacques Serba, Chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Sratégiques (IRIS, Paris), chargé de cours à l’Institut de Préparation à l’Administration de Brest (IPAG), intervenant à Sciences Po Aix-en-Provence et au Centro de Investigation y Docencia en Humanidades des Estado de Morelos (CIDHEM, Cuernavaca, Mexique)